Woods s.e.n.c.r.l.
L’affaire étudiée ici constitue un cas classique de responsabilité municipale pour avoir manqué aux obligations d’entretien des voies piétonnières. La juge de première instance, confirmée sur ce point par la Cour d’appel, avait retenu que sauf en de rares endroits, la Ville de Rosemère n’avait pris aucune mesure pour assurer la sécurité des piétons qui doivent marcher en bordure de rues résidentielles où il n’y a pas de trottoirs. Ainsi, en n’épandant aucun abrasif sur les rues secondaires et tertiaires sans trottoirs qui forment la plus grande partie du réseau routier de la Ville alors que les conditions climatiques le requéraient et alors qu’elle avait pourtant procédé à épandre du sel sur les rues et trottoirs des artères principales, autour des écoles et des lieux publics et à quelques endroits très passants, la Ville n’aurait pas agi de façon prudente et raisonnable et aurait fait preuve de négligence dans l’entretien de la rue sur laquelle l’intimée a chuté.
Quant à l’attribution des dommages non pécuniaires découlant des circonstances, une situation particulière se posait en appel. En effet, il s’avère que le jugement de première instance avait été rendu à peine deux mois après l’arrêt Brière, de sorte que la juge de première instance n’avait pu en appliquer les préceptes. La Cour d’appel convint qu’aucun reproche ne pouvait être adressé à la juge de première instance à cet égard. Cela dit, la victime recherchait désormais en appel l’augmentation des dommages réclamés en première instance au chapitre des dommages non pécuniaires sur la base des principes énoncés par la Cour d’appel dans Brière.
Reconnaissant l’importance de l’arrêt Brière, la Cour d’appel émet néanmoins certaines réserves quant à son applicabilité en toutes circonstances, et plus particulièrement, dans les circonstances particulières de l’espèce :
[31] La méthode suivie dans Brière c. Cyr a reçu l’aval de la doctrine la plus récente qui signale cependant qu’elle ne constitue pas une panacée :
« Cela ne nous dit pas comment établir le montant qui servira de base de calcul et on peut signaler des décisions où la « méthode proposée par le juge Beauregard » est mentionnée, sans que le détail des calculs nous soit fourni ou sans qu’il en résulte une indemnité évaluée de manière plus précise. »
[32] Ainsi, en l’espèce, l’intimée ne fournit aucune justification de son choix d’une indemnité quotidienne de 15 $. Elle reconnaît qu’un montant de 3 $ par jour ne donnerait droit qu’à une indemnité de 20 000 $, un montant de 5 $ à une indemnité de 30 911 $ et un montant de 10 $ par jour à une indemnité de 61 823 $.
[33] Par ailleurs, la méthode suivie dans Brière c. Cyr n’a pas encore été considérée par la jurisprudence comme ayant définitivement remplacé l’attribution d’un montant unique pour toutes les pertes non pécuniaires, souvent en s’inspirant d’exemples de la jurisprudence selon l’approche de la Cour suprême dans Andrews c. Grand & Toy Alberta Ltd.
[34] Enfin, il existe une différence notable entre la situation de l’intimée dans Brière c. Cyr et celle de l’intimée en l’espèce. Dans Brière, le préjudice non pécuniaire à indemniser chez la patiente victime d’une erreur professionnelle d’un dentiste consistait en la perte éventuelle d’une dent, d’une dysfonction temporo-mandibulaire et de douleurs intenses. Il s’agissait d’un préjudice devant se perpétuer en grande partie dans le futur. En l’espèce, même si l’intimée conserve des séquelles de sa chute, c’est surtout pendant la période écoulée entre le 18 novembre 2002 et septembre 2003 qu’elle a subi ses plus grandes souffrances. Cette distinction est retenue comme pertinente par le professeur Gardner.
Il sera intéressant de voir comment les tribunaux appliqueront les réserves émises par la Cour en l’occurrence face aux préceptes de l’arrêt Brière c. Cyr, et s’il s’ensuivra une nouvelle révision des méthodes d’indemnisation du préjudice non pécuniaire lié à un dommage corporel.
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/cCkn9P
Référence neutre: [2010] CRL 111
[1] J.E. 2007-1747.
[2] Andrews c. Grand & Toy Alberta Ltd., [1978] 2 R.C.S. 229.
[3] St-Adèle c. Rook, B.E. 2002BE-136 (C.A.).
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