Par Francis Hemmings
Lauzon Bélanger
Lespérance Inc.
Dans l’arrêt SIIIACQ c. Centre hospitalier régional de Trois-Rivières, 2012 QCCA 1867, la Cour d’appel se penche sur un litige
portant sur un mensonge au moment de l’embauche à une question susceptible de contrevenir à la Charte des droits et libertés de la personne,
L.R.Q., c. C-12 (« Charte »). Non seulement la
Cour d’appel analyse le droit applicable en l’espèce, mais aussi, cette
décision illustre bien un dilemme auquel peuvent faire face les personnes
souffrant ou ayant souffert de maladie mentale.
Les faits
Un individu fait une demande pour travailler
comme infirmier auxiliaire au Centre hospitalier
régional de Trois-Rivières (« CHRTR »). Pour y parvenir, il devra
remplir un questionnaire de pré-embauche dans lequel on retrouve des questions
portant sur la santé mentale de la personne. Cet individu cachera ses
antécédents en cette matière à son futur employeur.
Après un arrêt de travail,
son employeur finira par constater que cet individu avait menti sur ses
antécédents et que ses antécédents démontaient qu’il était à haut risque
d’absentéisme. Le CHRTR congédiera l’employé et son syndicat portera l’affaire
devant un arbitre de grief.
L’analyse
La Cour d’appel se prononce sur l’affaire à
la suite d’une décision défavorable à l’individu par l’arbitre de grief,
décision confirmée en Cour supérieure. Le juge Rochette débute son analyse par
l’étude de la norme s’appliquant à l’analyse de l’arbitrage en question. Il
conclut que les questions de droit soulevées par la Charte doivent être
analysées selon les normes de la décision correcte, alors que l’application du
droit aux faits doit être analysée selon les normes de la décision
raisonnable :
« [22] Pour ce qui
concerne la question de fond, la
réponse doit être nuancée. Il arrive qu'une question qui touche le
domaine des droits de la personne déborde le cadre habituel de la compétence
spécialisée de l’arbitre. En pareil cas, la norme de la décision correcte
s'applique. Tous conviennent de l'importance capitale pour le système
juridique québécois de l'interprétation d'une disposition de la Charte. […]
[23] Il peut toutefois en
aller autrement lorsqu'il s'agit d'appliquer une disposition de la Charte aux faits de l'espèce. Peu
après l'arrêt Dunsmuir, notre
Cour retenait la norme de contrôle suivante lorsque l'arbitre de griefs met en
application une disposition de la Charte.
Le juge Dufresne écrivait, pour la Cour :
[47] Comme le droit
et les faits ne peuvent, en l’espèce, être facilement dissociés, la norme
applicable est celle de la raisonnabilité, d’autant qu’il s’agit d’une
sentence arbitrale rendue dans un contexte de relations de travail qui commande
une grande déférence envers l'arbitre lorsque celui-ci décide, comme c’est le
cas ici, du fond du grief. […] Malgré le caractère quasi constitutionnel
de l'article 18.2 de la Charte québécoise, la norme de
contrôle demeure celle de la raisonnabilité,
lorsque, comme c'est le cas ici, l'arbitre applique cette disposition aux faits
de l'espèce. Ce n'est pas l'interprétation que donne l'arbitre à
l'article 18.2 de la Charte québécoise qui est en cause, mais l'application
qu'il en fait. […]
[24] Je suis en accord avec
cette proposition qui trouve écho lorsqu'il s'agit d'appliquer les articles 18.1 et 20 de la Charte. Il faudra donc
distinguer l'interprétation des dispositions pertinentes de la Charte de leur application aux faits de la
cause. Par exemple, l'application faite
par l'arbitre de l'article 18.1 de
la Charte, lorsqu'il détermine si
les questions posées par le CHRTR sont reliées à l'emploi d'infirmier
auxiliaire, pourra être révisée à l'aune de la norme de la décision
raisonnable.
[25] En revanche, des
déclarations fausses dans le contexte d'un questionnaire pré-embauche pourront
soulever des questions de droit importantes qui sont étrangères au domaine
d'expertise de l'arbitre de griefs. Le candidat
à un emploi peut-il mentir en réponse à une question qui contrevient à la Charte ? Quelle est, le cas
échéant, la conséquence juridique d'une fausse déclaration sur le lien
d'emploi ? Sous ce rapport, la norme de la décision correcte sera appliquée. »
[Références omises] [Nos soulignements]
Le juge aborde ensuite les questions de droit
qui se posent. En premier lieu, le mensonge du salarié vicie le consentement de
l’employeur. Ce même mensonge empêche l’employeur de qualifier la problématique
de l’état de santé du candidat et de proposer un accommodement.
En deuxième lieu, le juge analyse le
questionnaire en rapport avec la Charte. Le questionnaire sur la santé mentale est
discriminatoire au sens de l’article 18.1 de la Charte. En revanche, les
questions posées n’étaient pas sans lien avec les qualités requises pour
l’emploi au sens de l’article 20 de la Charte. Par conséquent, le recours du
demandeur doit être rejeté. Voici le raisonnement de la Cour d’appel :
« [50] L'analyse de
la discrimination comporte, en principe, deux volets. D'abord, le
demandeur doit faire une preuve de discrimination, soit démontrer un élément de
préjudice et un lien avec le motif de discrimination prohibé. En vertu de l'article 20 de la Charte, applicable ici, il incombe
ensuite à l'employeur de démontrer que la mesure reprochée est justifiée parce
que fondée sur les « aptitudes ou qualités » requises par l'emploi.
[51] Pour qu'une politique
d'embauche soit réputée non
discriminatoire, l'employeur doit démontrer, selon la démarche retenue par la
Cour suprême dans l'arrêt Méiorin: 1) que
l'exigence ou la norme contestée a été adoptée dans un but rationnellement lié
à l'exécution du travail en cause; 2) qu'il croyait sincèrement que la norme
était nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail; 3) que la norme
est raisonnablement nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail. […]
[54] La trame de notre
affaire est particulière. Elle se situe en amont de l'application d'une
exigence ou d'une norme potentiellement discriminatoire adoptée par un
employeur qui tente de la faire qualifier d'EPJ. Nous en sommes
encore à l'étape de la cueillette de l'information par l'employeur auprès de
personnes intéressées par un emploi. La Charte fait la distinction « entre la
protection qu'elle confère à l'encontre de la cueillette discriminatoire
d'informations et celle à l'encontre de l'utilisation discriminatoire de ces
informations ». Le régime juridique applicable ici se retrouve aux articles 18.1 et 20 de la Charte.
[55] Le salarié a répondu
faussement à un questionnaire. Il aurait pu agir ainsi lors d'une
entrevue pré-embauche. La problématique n'en est pas une de
discrimination à l'embauche, mais de fausse déclaration à cette étape préalable,
en réponse à un questionnaire dont la légalité est contestée.
[56] Le CHRTR n'a pas pu
procéder à une « évaluation individuelle des capacités » du salarié,
qualifier la problématique découlant de son état de santé et envisager des
accommodements. Les réponses erronées du
salarié l'en ont empêché. L'obligation d'accommodement n'est pas
née. L'employeur affirme qu'il n'aurait pas embauché le salarié s'il
avait su. Celui-ci aurait alors pu contester le refus d'embauche en
utilisant les recours mis à sa disposition par la Charte. […]
[62] Mais le portrait ne serait pas complet
si l'on s'arrêtait là. La législation en matière de droits de la personne
doit être prise en compte en raison de son caractère fondamental « qui lui
assure une suprématie de principe par rapport aux lois ordinaires ». Ainsi, le droit de l'employeur de
recueillir des renseignements du postulant ne doit pas porter atteinte aux
droits fondamentaux de ce dernier, notamment aux droits à la vie privée et à
l'égalité, comme le précisent les articles
16 et 18.1 de
la Charte. […]
[…]
[65] Il n'en faut pas
davantage pour conclure qu'en l'espèce, le salarié a fait une preuve prima facie de discrimination, qu'il a
démontré un élément de préjudice et un lien avec un motif de discrimination prohibé.
[…]
[75] L'arbitre est parvenu à la
conclusion mixte de droit et de fait que
les informations cachées étaient
importantes car « en relation directe avec le genre de travail
effectué ». En d'autres mots, l'arbitre établit que les
informations cachées étaient requises dans un but raisonnablement lié à
l'exécution du travail en cause.
[…]
[79] Je conviens qu'une
fausse déclaration ne peut être déterminante si l'omission porte sur un élément
que l'employeur n'aurait pas eu le droit de considérer en raison de l'article
18.1 de la Charte ou sur un élément insignifiant qui n'a
pas déterminé le consentement. Mais il ne s'agit pas de cela ici. »
[Références omises] [Nos soulignements]
Commentaires
Le paragraphe 79 illustre un dilemme auquel
peuvent faire face les gens souffrant ou ayant souffert de maladie mentale.
D’une part, ces personnes doivent répondre de bonne foi aux questions de leur
futur employeur. Mais en raison des stigmates associés à ces handicaps et d’une
certaine protection conférée lorsque ces questions n’ont pas de lien avec le
futur emploi, il peut être tentant de cacher des antécédents.
Le texte intégral de la
décision est disponible ici.
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