Par Francis Hemmings
Lauzon Bélanger
Lespérance Inc.
Dans
l’arrêt Laquerre c. Société canadienne
d’hypothèques et de logement, 2013 QCCA 95, la Cour d’appel se penche sur
le rejet d’une objection à la preuve basée sur le secret professionnel. Tout en
confirmant le jugement de première instance, la Cour d’appel fait une analyse
intéressante de la notion de secret professionnel en abordant ses
caractéristiques patrimoniales et l’ « exception de crime ».
Les faits
Dans
cette affaire, la Société canadienne d’hypothèques et de logement (« SCHL »)
poursuit un notaire (« notaire ») pour les pertes subies dans ce qui
apparaît être une fraude immobilière. Le notaire invoque le secret
professionnel pour refuser de produire des documents et de répondre à des
questions en lien avec ces documents.
Aux
yeux de la Cour d’appel et de la Cour supérieure et à la lumière des faits déjà
en preuve, une preuve prima facie de
fraude a été faite pour un ensemble d’immeubles. Par ailleurs, la SCHL est aux
droits des institutions financières qu’elle assure. Or, ce sont ces dernières
qui avaient mandaté le notaire pour qu’il
prépare les sûretés en lien avec leurs prêts. La question qui se pose est donc la
suivante : est-ce que l’un de ces deux faits permet de mettre en preuve
les faits protégés par le secret professionnel?
L’analyse
La Cour d’appel confirme le jugement de première
instance et permet à la SCHL de mettre en preuve les faits protégés par le
secret professionnel du notaire.
Elle base sa décision sur un ensemble d’arguments.
En premier lieu, elle mentionne que les bénéficiaires du secret professionnel
sont les institutions financières qui ont mandaté le notaire. Au surplus,
considérant que la SCHL est aux droits de ces institutions financières, elle a le
droit de mettre en preuve les faits protégés par le secret professionnel du
notaire. Même si elle est une tierce partie, le secret professionnel n’est pas
un droit extrapatrimonial et la SCHL a été subrogée dans les droits des
institutions financières en lien avec le secret professionnel du notaire. Voici
le raisonnement de la Cour d’appel sur ce point :
« [46] Faisant flèche de tout bois, l’Appelant
invoque encore le respect du secret professionnel en faveur des banques
prêteuses pour refuser de répondre aux questions de l’Intimée. Il paraît
quelque peu surréaliste de voir l’Appelant objecter aux victimes qui cherchent
réparation, le respect du secret professionnel dont elles sont elles-mêmes
bénéficiaires.
[47] Si les banques ont été les victimes immédiates
des passe-passe, c’est l’Intimée qui en est bel et bien la victime définitive,
c’est elle qui perd plus de deux millions de dollars. La présence de l’Intimée
au dossier est même l’une des composantes du plan frauduleux des passe-passe;
le coup a été monté en exploitant une faille de son système de vérification de
valeur des propriétés.
[48] L’Appelant invoque la thèse que « le
secret professionnel est un droit personnel extrapatrimonial » et donc que
l’Intimée est une tierce partie qui ne peut en dégager l’Appelant au nom des
banques, clientes du notaire. La thèse est intéressante et pourrait faire
l’objet d’une réflexion approfondie dans un autre contexte, peut-être dans une
affaire familiale ou successorale.
[49] Mais, ici, il n’est question que de gros
sous d’où une opinion divergente en doctrine :
450. …Selon nous, il est inexact
de prétendre que le droit au secret professionnel est, dans tous les cas, un droit
extra-patrimonial. Prenons le cas d’un rapport d’expertise qui a été rédigé à
la demande d’un avocat aux fins d’un litige. Ce rapport, bien qu’il soit
couvert par le secret professionnel de l’avocat en question, n’en a pas moins
une valeur patrimoniale. De plus, oserait-on prétendre que si le client pour
qui ce rapport a été rédigé décède, ses héritiers ne pourraient pas en faire
usage, faute de pouvoir renoncer à son caractère confidentiel ?
[50] Les banques prêteuses n’ont pas de secret
vis-à-vis l’Intimée qui, dès l’ouverture des dossiers, est partie prenante aux
prêts pour les garantir.
[51] De plus, il y a la subrogation légale en
faveur de l’Intimée par suite des indemnités versées aux banques. La Loi
nationale sur l’habitation prévoit :[…]» [Nos soulignements] [Références omises]
La Cour d’appel analyse ensuite le secret
professionnel en lien avec les confidences possibles des premiers vendeurs.
Noter qu’il n’y a pas d’allégations de participation à la fraude sur ces
premiers vendeurs. Voici le raisonnement de la Cour d’appel, basée sur la
notion de proportionnalité :
« [54] Comme
aucun soupçon de mauvaise foi ne pèse contre les Premiers Vendeurs,
l’ « exception de crime » ne joue pas à leur égard. Chacun d’eux
a droit à la protection du secret professionnel « pour les renseignements
confidentiels » révélés au notaire.
[…]
[57] La
documentation pertinente n’a rien de confidentiel en soi : les titres du
vendeur, les comptes de taxes, un certificat de localisation, la promesse d’achat
(ou de vente), le contrat du courtier, etc. […]
[59] À mon avis, on a
bien fait de ne pas les importuner et de ne pas les inquiéter par une visite
d’huissier entraînant presque inévitablement les frais d’une consultation
juridique et probablement une démarche pour officialiser une renonciation au
secret professionnel concernant des confidences… vraisemblablement
inexistantes.
[…]
[62] Bien
qu’improbable, il n’est pas impossible qu’un Premier Vendeur ait fait une
confidence au notaire ou lui ait transmis un document comportant un
renseignement sensible. Auquel cas, le notaire devra faire une objection
ponctuelle et le juge décidera s’il y a un secret à protéger et comment y
procéder, par avis à l’intéressé, par caviardage du document ou autrement.»
[Nos soulignements] [Références omises]
Finalement, le
troisième argument de la Cour d’appel pour permettre l’introduction en preuve
des faits protégés par le secret professionnel est l’ « exception de crime ».
Selon cette exception, duper une personne normalement tenue au secret
professionnel rend le secret professionnel inexistant. Incidemment, le
professionnel ne peut pas refuser de témoigner sur la base du secret
professionnel, puisque ce dernier n’existe tout simplement pas. Voici le
raisonnement de la Cour d’appel :
« [40] Ici, les
membres du Cercle restreint ont utilisé les services du notaire pour frauder.
L’ « exception de crime » fait qu’il ne saurait être question de
secret professionnel en leur faveur. Dans Descôteaux c.Mierzwinski[10], la Cour
suprême écrit :
[…]
« Dans
l'espèce, les communications ou documents dont on invoque le caractère
confidentiel sont ceux allégués dans l'inculpation comme ayant servi à la
commission de l'infraction reprochée. Indépendamment des principes de la Common
Law, ils ne jouissent pas plus du privilège de confidentialité que si les mêmes
informations et documents avaient
servi à tromper l'avocat lui-même pour obtenir de lui frauduleusement ses
services à des conditions spéciales.
Dans un cas comme dans l'autre, je ne crois pas que les fausses communications
faites à la victime éventuelle qui aura à assumer le coût desservices jouissent d'aucun caractère
confidentiel. En somme, une communication faite à un représentant de la Commission des services juridiques, si
elle est un élément d'une infraction commise au préjudice de celle-ci, ne jouit
d'aucun caractère confidentiel puisque dans de semblables circonstances il n'en
existe pas entre client et avocat. »
[…]
[44] Ici, les
fraudeurs ne se sont pas confiés au notaire appelant, ils lui ont caché leurs
intentions véritables. Ils n’ont pas recherché son aide, ils l’ont utilisé, ils
l’ont dupé selon sa propre version.
[45] En l’absence de
confidence, il n’y a pas de secret. En l’absence de secret, il n’y a pas de
dispense de déposer en justice pour le professionnel. Il n’y a pas non
plus nécessité d’obtenir ni même de rechercher la levée du secret auprès du
client fraudeur. De fait, il n’y a aucun droit fondamental à protéger et le
témoignage du professionnel se déroule alors comme celui de tout autre
témoin. » [Nos soulignements] [Références omises]
Sur la base de ces
arguments, la Cour d’appel permet la production en preuve des faits auxquels le
notaire s’est objecté.
La décision est
disponible ici.
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