Par Francis Hemmings
Lauzon Bélanger
Lespérance Inc.
Dans
l’affaire Construction Infrabec inc. c. Paul Savard, Entrepreneur électricien inc.
2012 QCCA 2304, la Cour d’appel analyse un contrat de construction. La Cour
d’appel doit notamment déterminer si une procédure de réclamation prévue dans
un contrat contrevient à l’article 2884 C.c.Q. C’est sur ce point que porte ce
billet.
Les faits
En
2003, le ministère des Transports (« Ministère ») octroie un contrat
à Construction Infrabec Inc. (« Entrepreneur »). Le contrat entre le
Ministère et l’Entrepreneur est un contrat à forfait. Tel qu’indiqué dans le
contrat à la clause 4.5 citée dans le jugement, « l'entrepreneur accepte comme paiement complet, à gain ou à perte, les
prix unitaires et globaux à forfait mentionnés sur le bordereau, y compris les
prix stipulés par le Ministère. ».
Il y a toutefois une clause (9.10) au contrat qui prévoit une
procédure de réclamation en cas d’imprévu. En vertu de cette clause, lorsqu’un
imprévu se produit, l’entrepreneur doit envoyer un avis au Ministère dans les
15 jours de sa survenance. Par la suite, si l’Entrepreneur et le Ministère ne
s’entendent pas, l’entrepreneur doit présenter une réclamation dans les 120
jours suivant l’estimation finale des travaux. En somme, même si l’Entrepreneur
prend un certain risque, une procédure de compensation existe.
L’Entrepreneur
avait sous-traité la partie concernant le réaménagement et l’installation d’un
système d’éclairage à Paul Savard Entrepreneur Électricien Inc.
(« Électricien »). Or, en cours de mandat, l’Électricien fait face à
des imprévus. L’Électricien demande une compensation financière à l’Entrepreneur
et envoie un avis au Ministère. Quant à
l’Entrepreneur, il n’envoie pas lui-même un avis au Ministère concernant les
imprévus auxquels l’électricien fait face.
L’Électricien
n’ayant été pas payé pour certains des imprévus, ce dernier poursuit
l’Entrepreneur. Incidemment, l’Entrepreneur appelle en garantie le Ministère,
malgré le fait qu’il n’ait pas envoyé d’avis au Ministère.
Le
juge de première instance accueille la majorité des demandes de compensation de
l’Électricien. Concomitamment, il rejette le recours en garantie de
l’Entrepreneur à l’encontre du Ministère, parce que l’entrepreneur n’aurait pas
respecté la clause 9.10.
En
appel, l’Entrepreneur s’attaque à la clause 9.10 qui a été décrite
précédemment. L’Entrepreneur affirme que la clause 9.10 crée un délai de
prescription conventionnel, ce qui contreviendrait à l’article 2884
C.c.Q. : « On ne peut pas convenir
d'un délai de prescription autre que celui prévu par la loi. ».
L’Entrepreneur a-t-il raison? En termes différents, est-ce que le délai prévu
conventionnellement est un délai de prescription? C’est la question à laquelle
doit répondre la Cour d’appel.
L’analyse
La Cour d’appel a
déterminé que le délai prévu à la clause 9.10 du contrat ne contrevient pas à
l’article 2884 C.c.Q. Puisque le contrat entre le Ministère et l’Entrepreneur
est à forfait, la clause 9.10 permet de créer un droit, plutôt que d’éteindre
un droit existant. Par conséquent, un délai dans une clause de révision de prix
dans un contrat à forfait ne contrevient pas à l’article 2884 C.c.Q.. Voici le
raisonnement de la Cour d’appel :
« [45] La clause
9.10 du Cahier des charges contrevient-elle à l'article 2884 C.c.Q.?
[46] Selon les
appelantes, la clause 9.10 crée un délai de prescription conventionnel,
puisqu'elle a pour effet de leur faire perdre leurs droits à l'expiration d'un
délai de 15 jours à compter du début des difficultés, ou de 120 jours suivant
la date de réception de l'estimation finale des travaux. Elle contreviendrait
ainsi à l'article 2884 C.c.Q. et le juge aurait commis une erreur de
droit en l'appliquant de façon à rejeter leur recours en garantie contre le Propriétaire. […]
[48] Je suis d’avis que l’argument de l’illégalité de la
clause 9.10 doit être rejeté. Comme l’écrit notre Cour, le délai de 120 jours
prévu à la clause 9.10 « ne crée ni délai de rigueur ni déchéance d’ordre
public ». En somme, les 120 jours ne forment pas un délai de prescription.
[49] Comme l'indique
clairement la clause 4.5 citée plus haut, les procédures de réclamations
instituées au Cahier des charges s'inscrivent dans un contexte où, sauf
dérogation, l'entrepreneur assume généralement le risque que les conditions
d'exécution du contrat diffèrent de celles prévues au contrat d'entreprise
établi sur une base forfaitaire. Ainsi, dans les cas où l'entrepreneur se
voit contraint d'effectuer des travaux supplémentaires imprévus, il doit en
principe en supporter les coûts, à moins que le contrat ne stipule le
contraire. Ce principe est codifié à l'article 2109 C.c.Q.
[50] Afin de tempérer la rigueur de cette règle, les contrats
d’entreprise octroyés par le ministère des Transports auxquels le Cahier des
charges s’applique contiennent une procédure de réclamation telle que celle
prévue aux clauses 4.9 et 9.10, qui permet à un entrepreneur d'obtenir
compensation du ministère lorsqu'il est contraint d'exécuter des travaux
additionnels en raison d'obstacles non prévus aux documents d'appel d'offres. Les
clauses dites « de révision de prix » servent à atténuer la rigueur
du principe de l'allocation des risques d'imprévision à l'entrepreneur en
permettant un ajustement ponctuel des obligations contractuelles par les
parties en cours d'exécution du contrat d'entreprise.
[51] À la fois le ministère et l'entrepreneur tirent avantage
de telles clauses : l'entrepreneur obtient la possibilité d'être indemnisé
pour les coûts excédentaires, tandis que le ministère s'assure d'être avisé des
changements aux conditions d'exécution et de la continuation des travaux. Les
auteurs Ian Gosselin et Pierre Cimon expliquent comment de telles clauses
s'inscrivent notamment dans les contrats d'entreprise de marché public, à
l'avantage de tous, en s'appuyant sur l'arrêt Corpex
(1977) inc., de la Cour suprême :
Bien
qu'en apparence ces clauses semblent être au seul bénéfice de l'entrepreneur,
elles offrent en réalité des avantages indéniables au propriétaire. En effet,
leur finalité est de favoriser avant tout le parachèvement des travaux en
excluant systématiquement l'annulation pour cause d'erreur, en contrepartie de
l'assurance accordée à l'entrepreneur d'ajuster le prix de son contrat dans une
telle éventualité. […]
[52] La clause 9.10
crée précisément un tel mécanisme permettant à un entrepreneur de formuler une
demande de compensation, et ce, avant la judiciarisation du litige entre les
parties. Ce processus offre aux deux parties l’opportunité de régler un
différend entre elles, par négociation entamée sur le chantier de construction,
lors de ce que le procureur général qualifie de phase
« administrative » avant d'éventuelles procédures judiciaires.
[…]
[54] On constate donc
que la procédure de réclamation du Cahier des charges est exorbitante du droit
commun, en ce qu'elle confère à un entrepreneur la possibilité d'obtenir une
réparation à laquelle il n'aurait normalement pas droit. En fait, le droit de
l'entrepreneur à une éventuelle compensation en application de la clause 9.10
dépend de l'envoi d'un avis d'intention à l'intérieur du délai de 15 jours. […]
[55] On ne peut par
conséquent assimiler ces délais contractuels à des délais de prescription
extinctifs, définis à l'article 2921 C.c.Q. comme des « moyen[s] d'éteindre
un droit par non-usage ou d'opposer une fin de non-recevoir à une
action ». […]
[56] Ce n’est donc
qu’une fois la réclamation correctement présentée dans la forme exigée et dans
le délai de 120 jours que le droit d’action de l’entrepreneur se cristallise. »
[Nos soulignements] [Références omises]
Le texte du
jugement est disponible ici.
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