François-Xavier
Robert
Ordre
des agronomes du Québec
Le
droit projette une image aride, à l’image de la planète Arrakis dans le livre Dune de Frank Herbert. Serait-ce cette
similitude qui fait en sorte que les références à la science-fiction dans les
décisions des tribunaux canadiens sont beaucoup plus communes que l’on aurait
pu l’imaginer ?
J’en
doute. À mon avis, le lien entre la science-fiction et le droit s’explique
particulièrement bien par cette phrase de Jean Giraudoux, citée sur le blogue
de Me Karim Renno : « Le droit est la plus puissante des écoles de
l’imagination. Jamais poète n’a interprété la nature aussi librement qu’un
juriste dans la réalité. »
Au Québec
Probablement
en raison du fait qu’à part le Capitaine Cosmos et ses Satellipopettes, le
répertoire québécois d’œuvres de science-fiction est plutôt pauvre, nos juges
réfèrent généralement à la science-fiction de façon péjorative.
Par
exemple, dans la décision Bissell c. Jacobson, 2010 QCCS 7040, la Cour supérieure devait se pencher
sur un argument du défendeur à l’effet que le comportement répréhensible du
demandeur avait pour effet de priver ce dernier de son recours en diminution de
prix.
Le
demandeur avait acheté l’appartement du défendeur. Or, la superficie de
l’appartement s’est avérée bien moindre que celle mentionnée à l’acte d’achat.
La défense à l’encontre de la réclamation du demandeur était que ce dernier
devait être privé de son recours, puisqu’il savait (ou aurait dû savoir) que la
superficie indiquée dans l’acte était supérieure à celle mentionnée an
certificat de localisation.
La
Cour supérieure rejette cet argument :
« [31] Cette
prétention est intéressante, mais relève davantage de la science-fiction que de
l'argumentation juridique. En effet, il n'y a aucune preuve pour soutenir cette
thèse, puisque Bissell a témoigné qu'il n'avait jamais consulté les dimensions
apparaissant au certificat de localisation. D'ailleurs, pourquoi aurait-il pris
la peine de vérifier la superficie de l'appartement alors que Jacobson, qui
connaissait l'appartement bien mieux que lui, lui garantissait une superficie
de 4 200 pi2? »
Dans
une affaire, Girard c. Saguenay (Ville de), 2009 QCCS 5164, où l’ancien directeur général de la
Ville de Saguenay poursuivait celle-ci et son maire, Jean Tremblay, leur
reprochant de l’avoir congédié illégalement, la Cour supérieure émet le
commentaire suivant quant au témoignage du premier magistrat de la
municipalité :
« [94] Quant au
témoignage du Maire, il était truffé d’hésitations, de cafouillage,
d'exagération, d’oublis, de contradictions et de faux prétextes. Certains des
événements relatés par ce dernier relevaient de la pure science-fiction à titre
d'exemple les explications quant à la présence des médias à l'hôtel de ville le
jour de la suspension du Directeur. »
La Cour municipale de
Joliette, dans la décision Notre-Dame-des-Prairies
(Municipalité de) c. Loyer, C.M. Joliette, no
07-00469-68001142612, 12 juin 2007, j. Beauséjour, voit une certaine similitude
entre le témoignage d’un défendeur et notre sujet d’aujourd’hui :
« [46] La défense
repose essentiellement sur une possibilité que le véhicule dont la vitesse fut
captée par le policier ne soit pas le véhicule qui a été intercepté.
[47] En effet, le défendeur
allègue qu’il y avait sur les lieux et au même moment deux véhicules exactement
semblables de même marque, de même couleur et ayant les ailes arrières d’une
couleur différente et remplies de potée sur les lieux
[48] Le radariste n’ayant
pas vu l’interception, il n’a pas pu confirmer à l’intercepteur qu’il
s’agissait du bon véhicule.
[49] Les informations
transmises par le radariste à l’intercepteur pouvaient très bien s’appliquer à
l’autre véhicule et le policier s’est trompé de véhicule.
[50] Le Tribunal ne
croit pas l’accusé sur sa version. Elle est invraisemblable et relève de la
science-fiction. »
Comme
on peut le constater, les tribunaux québécois ont une vision péjorative de la
science-fiction, y référant pour décrire une fabrication de l’esprit, quelque
chose d’invraisemblable, voire un mensonge.
Sur ce point, on m’en voudrait de ne pas rappeler l’existence de la décision Église raëlienne c. Gratton, 2006 QCCS 3560, où il était justement question d’une race extraterrestre, les Elohim et dans laquelle la Cour supérieure écrit :
« [120] D’une
part, le demandeur, sous l’alias Raël, raconte d’abord l’histoire de ce qui lui
serait arrivé. Pour bien comprendre, au Québec, on pourrait dire
que Claude Vorhilon est à Raël ce que Michel Noël est au Capitaine Bonhomme ou
ce que Jacques Desrosiers est à Patof, à la différence que Raël demande à ses
disciples de croire ses contes.
[121] Les gens sont libres de croire et nul ne saurait le
leur reprocher, si ce n’est au nom d’une certaine lucidité.
[…]
[150] Le tribunal, quant aux rencontres des Elohim avec
Raël, n’accorde aucune crédibilité à ce dernier. Le gros bon sens le
commande. Il ne s’agit pas d’une question de religion, il s’agit d’une
question de fait. Son récit tient à des hallucinations et à des
fantasmes, à moins qu’en toute connaissance de cause il ne mente au tribunal. »
Ailleurs
au Canada
Les
tribunaux des autres provinces semblent avoir une vision plus positive de la
science-fiction.
Par exemple, dans la decision New Brunswick Union of Public and Private Employees v. New Brunswick (Natural Resources, May 5th 2012, adj. McEvoy), l’arbitre est appelé à trancher le grief déposé par un employé mécontent du fait que le poste qu’il convoitait et occupait par intérim, avait été octroyé à un tiers.
L’arbitre, se référant à un film de
science-fiction des plus connus, résume ainsi l’affaire qu’il a entendue :
« 97. On the same essential
facts, the parties presented diametrically opposed theories of this matter. In
terms of popular culture, the case for the Union and the Grievor is akin to Star
Wars: Episode V - The Empire Strikes Back; for the Employer, it is
Aesop’s famous fable about The Tortoise and the Hare. In my view,
this matter is much closer to the fable than the movie. The present tale is of
two employees; one with evident advantages who did not ultimately succeed in
achieving his goal and a second who prepared with dedication and ultimately
succeeded. »
Peut-être en raison du fait
que l’acteur incarnant le célèbre capitaine Kirk était un Canadien, la
jurisprudence contient de surprenantes références à Star Trek.
Par exemple,
dans R. v. Armishaw, 2011 ONSC 5624, la Cour supérieure de l’Ontario rendait
sa décision par rapport à un voir-dire sur une déclaration faite par l’accusé
aux policiers.
« [63] The notion of futile resistance is apt. One
can hardly hear those words without being put in mind of “The Borg” portrayed
in Star Trek, The Next Generation. That civilization was known to
overwhelm and assimilate entire other civilizations; in stating its intent the
Borg collective always announced, “Resistance is futile”. When I
compare Staff Sergeant Smyth’s interview with the November 19 interview
conducted by Detective Sergeant Gill, I observe a great difference in Mr.
Armishaw’s body language. For most of the Gill interview Mr. Armishaw sits in a
forward stance, often with his hands on his knees. He actively engages
Detective Sergeant Gill. In Staff Sergeant Smyth’s interview, Staff
Sergeant Smyth leans forward into Mr. Armishaw’s space and engages him.
He speaks quietly and with authority. There is no issue of shouting or
brow-beating or badgering Mr. Armishaw. The best words I can think of to
describe Sergeant Smyth’s demeanour and tone are “quietly relentless”.
That approach to Mr. Armishaw is consistent with the notion that resistance is
futile. The consequence of this approach is that Mr. Armishaw backs up as
far as he can. He sits much more upright in his chair. The chair is
placed near to the wall that blocks further escape. To be sure, it would
be more difficult for Mr. Armishaw to lean forward now that he has a cast on
his arm. That said, I do not believe that it was his cast that made Mr.
Armishaw assume a different posture in the second interview. »
La déclaration de
l’accusé fut exclue de la preuve, notamment en raison du fait que le policier
qui l’avait recueillie n’avait pas respecté le droit à l’avocat du prévenu.
Dans
une décision de la Cour suprême de Colombie-Britannique, Berry v. LaBelle, 2010
BCSC 239, la juge utilise sa connaissance d’office de Star Trek pour comprendre
le témoignage du demandeur :
« [14] It is evident from Dr. Fehlau’s October 15, 2008
report that over time – her report does not indicate when – she began to
suspect that Mr. Berry had suffered a rupture of his platysma muscle on the
left side. The platysma muscle is a platelike muscle that originates in
the cervical area and comes around to the skin around the mouth and jaw.
It acts to wrinkle the skin of the neck and to depress the jaw.
Mr. Berry said this suspected injury manifested itself in a change to the
appearance of the left side of his neck and face when he pretended to do what
he called a “Kardassian neck flare”; a Kardassian, if I may take judicial
notice, being an alien species on one of the several Star Trek television
series.»
Il
convient toujours de faire preuve d’une grande prudence lorsqu’on réfère à la
science-fiction dans un écrit. Par exemple, dans R. v. G.C., 2010 ONSC
178, un juge de la Cour supérieure de l’Ontario démontre une mauvaise
compréhension d’un certain film mettant en vedette Keanu Reeves :
« [31] Finally, there is some evidence from KBJ that places G.C. outside
the Foot Locker at the time of the shooting. KBJ testified that he was
with a group of people that included G.C. and that he recalled G.C. talking
about being at the Foot Locker and telling them that he had been dodging
bullets like on the Matrix. This is a reference to a popular science
fiction-action movie in which aliens are able to slow down time and to duck
bullets as if they were coming towards them in slow motion. […] I
accept KBJ’s evidence on this point as both truthful and reliable.»
C’est
terminé pour aujourd’hui. «Longue vie et prospérité» à nos lecteurs, comme
disait un certain personnage aux oreilles pointues dans La Patrouille du Cosmos (ainsi avait été traduit le nom Star Trek).
Ma citation préférée sur le sujet, bien qu'elle n'utilise pas le mot "science-fiction", vient de la juge Cohen dans M.N.C. Multinational Consultants Inc./Consultants Multinational inc. c. Dover Corp., J.E. 99-1867:
RépondreSupprimerTo accept these factual submissions, despite all of the evidence to the contrary, requires a suspension of disbelief usually associated with the theatre and not the courtroom.
Je pense qu'on va être obligés de faire un billet décontracté du vendredi sur le théâtre.
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