Par Magdalena Sokol
LaSalle Sokol,
avocats
L'enfant majeur des
parties est autiste et affecté de contraintes sévères à l'emploi, de sorte
qu'il est incapable d'atteindre son autonomie financière. Il bénéficie de
prestations de solidarité sociale de l'État en vertu de la Loi sur l'aide
aux personnes et aux familles. Quel effet a le versement par l'État de
telles prestations à un enfant majeur inapte au travail sur l'octroi d'une
pension alimentaire en matière familiale? Vu la jurisprudence partagée à
ce sujet, la Cour d'appel, à l'unanimité, répond à cette question dans Droit
de la famille - 13675 (2013 QCCA 488).
Les faits
Les parties se sont
mariées en 1991 puis se sont divorcées en 2007 après 16 ans de vie
commune. Elles sont les parents de deux enfants majeurs, soit X (21 ans)
et Y (19 ans). L'enfant X,
qui est à la charge de Madame, est atteint d'autisme sévère en sus de présenter
des problèmes d'épilepsie. Depuis l'âge de la majorité, il bénéficie de
prestations d'environ 896,00 $ par mois du Ministre de l'Emploi et la
Solidarité sociale (ci-après « l'État »). Ces prestations lui
sont versées pour contrainte sévère à l'emploi. Sa condition requiert un
encadrement et des soins constants. Il ne pourra jamais atteindre son
autonomie financière.
Au mois de mai 2012, Monsieur signifie à Madame une requête en annulation de pension alimentaire (pour les deux enfants et Madame personnellement) et en modification de la charge de l'enfant X. Le 25 juillet 2012, l'honorable Ross Goodwin, j.c.s., maintien le statu quo quant à la charge de l'enfant X et fixe une pension alimentaire de 100,00 $ par mois pour son bénéfice. De plus, il fixe une pension alimentaire de 500,00 $ par mois au bénéfice de Madame, car sa capacité de travail est réduite, notamment en raison de la condition de santé de l'enfant X.
Monsieur se pourvoit en appel. Il reconnaît que l'enfant X est un enfant à charge suivant la Loi sur le divorce (art. 2). Par contre, il prétend que comme l'État prend en charge les besoins de base de l'enfant X, tous besoins additionnels non couverts par l'État doivent être prouvés afin qu'une pension alimentaire soit fixée au bénéfice de l'enfant X.
Madame prétend plutôt qu'une telle preuve n'est pas requise : l'obligation alimentaire des parents a préséance à toute prestation versée par l'État.
Analyse
Tout d'abord, la Cour
d'appel rappelle la norme d'intervention quant aux ordonnances alimentaires en
matière familiale : le juge de première instance a un très large pouvoir
discrétionnaire.
Ensuite, quant à la pension alimentaire au bénéfice de l'enfant X, la Cour d’appel mentionne que suivant la jurisprudence, le versement par l'État de prestations à un enfant majeur inapte au travail ne met pas fin à l'obligation alimentaire des parents. Cette pension alimentaire prend sa source tant dans la Loi sur le divorce (art. 2) que dans le Code civil du Québec (articles. 585, 586 et 599).
Or, la jurisprudence est partagée quant à l'effet du versement par l'État de telles prestations sur l'obligation alimentaire des parents envers leur enfant à charge :
« [22] Par exemple, dans Droit de la famille – 112294
et Droit de la famille – 1594, les juges évaluent les besoins de
l'enfant majeur inapte au travail qui ne sont pas couverts par les prestations
de l'État. Cette évaluation faite, ils condamnent le parent débiteur à verser,
en sus de la prestation de l'État, une pension alimentaire pour couvrir les
besoins additionnels de l'enfant majeur.
[23] À l'inverse, dans Droit de la
famille – 3060 et Droit de la famille – 11653, les juges évaluent la
pension alimentaire que doit recevoir l'enfant majeur en vertu des règles
applicables en matière alimentaire. Ils condamnent le parent débiteur à payer
la pension alimentaire ainsi déterminée et déclarent que la prestation de
l'État est supplétive et qu'elle couvre les besoins additionnels à ceux
défrayés par la pension alimentaire. Dans ces deux jugements, les juges affirment
que l'obligation alimentaire décrétée par le Code civil du Québec et la Loi
sur le divorce n'a pas été affectée par les dispositions de la Loi sur
la sécurité du revenu. »
Cela dit, vu les deux
courants divergents de jurisprudence, la Cour d’appel interprète les
dispositions législatives applicables pour répondre à cette question.
Elle fait alors la
distinction entre les règles applicables d’une part, au programme d’aide
sociale et d’autre part, aux prestations de solidarité sociale.
Elle conclut que dans
le premier cas (programme d’aide sociale), l’obligation alimentaire des parents
envers leur enfant majeur à charge a préséance et advenant l’insuffisance des
ressources des parents, les besoins sont comblés par l’État.
Puis, elle conclut
que dans le deuxième cas, les prestations de solidarité sociale sont accordées
sans tenir compte de la contribution alimentaire des parents.
Ainsi, dans
le cas présent, l'enfant X, majeur et inapte au travail, a le droit de
bénéficier des prestations de solidarité sociale de l'État indépendamment de la
contribution de ses parents pour subvenir à ses besoins :
« [24] À mon avis, la réponse à la question dépend de l'interprétation de concert des dispositions législatives applicables. L'enfant majeur, qui est incapable de subvenir à ses besoins en raison de maladie ou d'invalidité, a droit de recourir à deux sources distinctes pour combler ses besoins. Il s'agit de vérifier qui, de l'État ou des parents, doit en premier combler les besoins de base fixés selon les règles prescrites (en matière familiale ou suivant la Loi sur l'aide aux personnes et aux familles) et qui doit combler les autres besoins, s'il en est.
[25] D'une part, le Code civil du
Québec prévoit que les parents en ligne directe au premier degré se doivent
des aliments (art. 585 C.c.Q.). Dans le cas de l'enfant majeur qui n'est
pas en mesure d'assurer sa propre subsistance, le parent qui subvient en partie
à ses besoins peut exercer pour lui un recours alimentaire (art. 586 , al. 2, C.c.Q.).
[26] D'autre part, la Loi sur l'aide
aux personnes et aux familles (ci-après la Loi) énonce des principes
et orientations destinés à lutter contre la pauvreté et l'exclusion sociale
(art. 1 de la Loi). La Loi met en œuvre des mesures, des
programmes et des services pour accompagner les personnes dans leurs démarches
vers l'atteinte et le maintien de leur autonomie économique et sociale (art. 2
de la Loi) et notamment des programmes d'aide financière (art. 3 de la Loi).
[27] Sous son titre II, la Loi prévoit
différents types de programmes d'aide financière 1) le programme d'aide sociale
(art. 44 à 66 de la Loi); 2) le programme de solidarité sociale (art. 67
à 73 de la Loi); 3) le programme alternative jeunesse (art. 74 à 78 de
la Loi) et 4) les programmes spécifiques (art. 79 à 83 de la Loi).
[28] Si l'on examine d'abord les
dispositions du programme d'aide sociale (art. 44 à 66 de la Loi), il
faut remarquer que, pour bénéficier d'une prestation, l'adulte doit établir que
ses ressources sont inférieures au montant qui est nécessaire pour subvenir à
ses besoins selon le calcul prévu à l'article 48 de la Loi en tenant
compte de la prestation de base qui lui est applicable « selon le montant et
dans les cas et conditions prévus par règlement » (art. 52 de la Loi).
La prestation est égale au déficit des ressources sur les besoins calculé en
déterminant la prestation de base et en soustrayant notamment le montant
déterminé à titre de contribution parentale selon le règlement (art. 55 1° et
2°f) de la Loi).
[29] Notons que l'article 57 de la Loi
édicte une présomption absolue selon laquelle l'adulte reçoit une contribution
parentale, sauf dans les situations où le législateur reconnaît en quelque
sorte qu'il est« autonome » :
57. Est réputé recevoir une
contribution parentale l'adulte qui ne remplit aucune des conditions suivantes
:
1° avoir, pendant au moins deux ans,
sans compter toute période durant laquelle il fréquente à temps plein un
établissement d'enseignement, subvenu à ses besoins et résidé ailleurs qu'à la
résidence de son père ou de sa mère ;
2° avoir, pendant au moins deux ans,
occupé un emploi rémunéré à temps plein ou reçu, pour un tel emploi, des
prestations en vertu de la Loi sur l'assurance-emploi (Lois du Canada, 1996,
chapitre 23) ou reçu des prestations en vertu de la Loi sur l'assurance
parentale (chapitre A-29.011) ;
3° être ou avoir été lié par un mariage
ou une union civile ;
4° vivre maritalement avec une autre
personne de sexe différent ou de même sexe et avoir cohabité, à un moment
donné, avec celle-ci pendant une période d'au moins un an ;
5° avoir ou avoir eu un enfant à sa
charge ;
6° détenir un diplôme universitaire de
premier cycle ;
7° être enceinte depuis au moins 20
semaines, cet état devant être constaté par un rapport médical ; ce rapport
peut être remplacé par un rapport écrit, constatant la grossesse, signé par une
sage-femme et indiquant le nom et la date de naissance de l'adulte, le nombre
de semaines de grossesse et la date prévue pour l'accouchement ;
8° avoir cessé, pendant au moins sept
ans, d'être aux études à temps plein depuis qu'il n'est plus soumis à
l'obligation de fréquentation scolaire.
Toutefois, n'est pas réputé recevoir
une contribution parentale l'adulte qui démontre que ses père et mère sont
introuvables, ou qu'ils manifestent un refus de contribuer à subvenir à ses
besoins ou qu'ils ont exercé de la violence à son égard.
[30] L'article 63 de la Loi
prévoit que l'adulte doit exercer les recours de nature alimentaire
susceptibles d'avoir un effet sur son admissibilité à un programme ou qui
réduiraient le montant de l'aide :
63. L'adulte seul ou les membres de la
famille doivent exercer leurs droits ou se prévaloir des avantages dont ils
peuvent bénéficier en vertu d'une autre loi lorsque la réalisation de ces droits
et avantages aurait un effet sur l'admissibilité de l'adulte ou de la famille à
un programme d'aide financière ou réduirait le montant de cette aide.
Toutefois, dans le cas d'un adulte qui
n'est pas réputé recevoir une contribution parentale en vertu du deuxième
alinéa de l'article 57, le ministre est, à moins que l'adulte n'ait choisi
d'exercer son recours alimentaire, subrogé de plein droit aux droits de ce
dernier pour faire fixer une pension alimentaire ou pour la faire réviser. Le
ministre peut également exercer les droits de tout autre créancier d'une
obligation alimentaire aux fins d'une telle fixation ou révision s'il estime
que la situation de ce dernier compromet l'exercice de ces droits.
Ne constitue pas un manquement aux
obligations prévues au premier alinéa le fait pour un adulte ou un des membres
de la famille de réaliser des activités bénévoles auprès d'un organisme sans
but lucratif.
[31] La lecture de concert des
articles 52, 57 et 63 de la Loi amène certains constats quant au programme
d'aide sociale. Le premier a trait à l'obligation pour tout adulte de se
prévaloir des avantages et d'exercer ses droits prévus dans une autre loi (art.
57 et 63 de la Loi). Le second concerne le caractère subsidiaire de la
prestation d'aide sociale (art. 52 de la Loi). Dans ces situations,
l'obligation alimentaire des parents envers leurs enfants a préséance et, en
cas d'insuffisance des ressources, les besoins sont comblés par l'État.
[32] Contrairement à la prestation
d'aide sociale, la prestation de solidarité sociale, applicable dans notre
dossier, obéit à des règles différentes dont celle de ne pas tenir compte de la
contribution parentale.
[33] Le programme de solidarité
sociale vise à accorder une aide financière de dernier recours aux personnes
qui présentent des contraintes sévères à l'emploi (art. 67 et 70 de la Loi).
[34] Les articles 73 de la Loi
et 155 du Règlement sur l'aide aux personnes et aux familles (ci-après
Règlement) prévoient une règle pertinente à la contribution
parentale qui diffère de celle applicable en matière de prestation d'aide
sociale. La prestation de solidarité sociale est, en effet, accordée sans égard
à la contribution parentale :
73. Les dispositions de la présente loi
et des règlements relatives au Programme d'aide sociale s'appliquent au présent
programme, compte tenu des adaptations nécessaires, à l'exception de celles
portant sur la contribution parentale et l'allocation pour contraintes
temporaires.
155. À l'exception des dispositions
prévues à la section I, à la sous-section 1 de la section II et à la
sous-section 4 de la section III du chapitre III du titre IV, et sauf
disposition contraire du présent chapitre, les dispositions du présent
règlement relatives au Programme d'aide sociale s'appliquent au Programme de
solidarité sociale, compte tenu des adaptations nécessaires.
[35] La sous-section 4 de la section
III du chapitre III du titre IV, dont traite l'article 155 du Règlement,
concerne la contribution parentale et elle ne s'applique pas au programme de
solidarité sociale.
[36] Cela signifie que le majeur
inapte au travail en raison d'une contrainte sévère a droit à la prestation de
solidarité prévue à la Loi, et ce, indépendamment de la contribution de
ses parents. Si le majeur inapte a des besoins additionnels à ceux couverts par
la prestation de solidarité sociale, il a droit de demander une contribution à
ses parents en vertu du Code civil du Québec ou de la Loi sur le
divorce.
[37] Je note que, à l'époque
pertinente, le Règlement prévoyait que l'allocation mensuelle de
solidarité sociale était de 896 $, qui, indexée depuis le 1er
janvier 2013, est de 918 $ (art. 156 Règlement).
[38] Ici, le juge de première instance
a réduit la pension alimentaire à 100 $ par mois pour combler les besoins
additionnels de X. L'appelant ne convainc pas que le juge a commis une erreur
en décidant que son fils a des besoins supérieurs à ceux couverts par la
prestation de solidarité sociale.
[39] L'appelant touchait un revenu de
95 000 $, en 2012 et de 106 000 $, en 2013. En conséquence, il a largement les
moyens de payer une pension alimentaire de 1 200 $ par an pour son fils. Il
faut reconnaître que la preuve n'a pas identifié de façon très précise les
besoins de X, mais, en cette matière, une attitude rigide et minimaliste n'est
pas de mise lorsque, d'une part, les ressources du débiteur alimentaire ne sont
pas limitées et que, d'autre part, les besoins que l'on cherche à combler sont
essentiels. » [nos soulignés]
Commentaires
La Cour d’appel a
distingué entre les prestations d’aide sociale qui sont supplétives à
l’obligation alimentaire des parents envers leur enfant par rapport aux
prestations de solidarité sociale qui sont indépendantes de l’obligation
alimentaire des parents.
Puis, elle a maintenu
la pension alimentaire fixée par le juge de première instance au bénéfice de
l'enfant X, malgré que la preuve n'ait pas démontré de façon précise les
besoins de l'enfant X non couverts par l'État. En effet, la Cour d'appel
a jugé que Monsieur avait les moyens de payer une telle pension alimentaire et
a tenu compte de son « attitude rigide et minimaliste ».
Le texte intégral de la décision est disponible ici.
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