Avocate
Dans l’affaire El-Alloul c. Québec (Procureure générale), 2016 QCCS 4821, la Cour supérieure
est saisie d’une demande en jugement déclaratoire laquelle recherche les deux conclusions
suivantes : (1) la liberté de religion de Madame El-Alloul a été atteinte
lorsqu’une juge a refusé qu’elle témoigne en raison de son hijab ; et (2) Madame
El-Alloul a le droit de témoigner en portant un hijab.
Faits
Le 11 février 2015, le fils de
Madame El-Alloul, alors qu’il conduisait sa voiture, a été arrêté. Considérant
que son permis était suspendu, les policiers ont saisi la voiture qui appartiennait
à Madame El-Alloul.
Le 20 février 2015, elle a
déposé une demande afin d’obtenir la mainlevée.
Le 24 février 2015, en lien
avec cette demande, elle a comparu devant la juge Marengo afin de témoigner.
En raison de ses convictions,
Madame El-Alloul porte le hijab.
Bien que ceci ait été expliqué
à la juge Marengo, cette dernière a refusé de l’entendre soutenant que la Cour
est un lieu dépourvu de signes religieux.
La juge Marengo s’est
également fondée sur l’article 13 de l’ancien Règlement de la Cour du Québec lequel se lit comme
suit : Toute personne qui comparait devant le tribunal doit être
convenablement vêtue.
Par
analogie, elle a expliqué que les chapeaux et les lunettes sont interdits. Selon
elle, les mêmes règles doivent être appliquées pour tous et dans cette optique,
elle n’a pas voulu entendre Madame El-Alloul, si elle portait le hijab.
Le
dossier a été remis sine die, car Madame El-Alloul a choisi de ne pas
retirer son hijab.
Le 27 mars 2015, elle a déposé
une demande en jugement déclaratoire et une plainte auprès du Conseil de la
magistrature du Québec.
Est-ce que la juge Marengo
pouvait refuser de l’entendre ? S’agit-il d’une atteinte à la liberté de
religion ? Est-ce que la Cour est un endroit séculier où les convictions
religieuses, quelles qu’elles soient, n’ont pas leur place ? Est-ce que le
jugement déclaratoire est le remède approprié dans un tel cas ?
Analyse
Débutant son analyse, la Cour
supérieure, se ralliant aux propos de la juge McLachlin de la Cour suprême,
dans l’arrêt R. c. N.S., [2012] 3 R.C.S. 726, rejette l’argumentation de la
juge Marengo à l’effet que la Cour est un lieu séculier dépourvu de signes
religieux.
Quant au jugement déclaratoire,
elle rappelle que celui-ci est désormais prévu à l’article 142 du Code de procédure civile :
142. La demande en justice peut avoir pour objet d’obtenir, même en
l’absence de litige, un jugement
déclaratoire déterminant, pour solutionner une difficulté réelle, l’état du
demandeur ou un droit, un pouvoir ou une obligation lui résultant d’un acte
juridique. (Nos emphases)
Pour qu’une demande en
jugement déclaratoire soit octroyée, certaines conditions doivent être
satisfaites :
[24] La
lecture conjuguée des articles 142, 10 et 85 du Code de procédure civile, de la doctrine et de la jurisprudence
sous l’article 453 de l’ancien Code de
procédure civile permet de résumer
les conditions de recevabilité de la demande en jugement déclaratoire
ainsi :
i)
le demandeur doit démontrer un
intérêt à solutionner une difficulté réelle;
ii)
l’intérêt du demandeur rattaché à cette difficulté réelle doit être né et actuel;
iii)
le tribunal n’est pas tenu de se
prononcer sur des questions théoriques ou dans les cas où le jugement ne pourrait mettre fin à l’incertitude ou à
la controverse soulevée;
iv)
la demande en jugement déclaratoire doit
rechercher à faire déterminer, par le tribunal, l’état du demandeur ou un
droit, un pouvoir ou une obligation lui résultant d’un acte juridique;
v)
elle ne peut être utilisée pour
contourner les attributions de compétences déterminées par le législateur;
vi)
elle ne sera pas accordée lorsque
le jugement aura peu ou pas d’utilité ou lorsqu’il existe d’autres recours
prévus à la loi.
(Références omises) (Nos
emphases)
Rappelons que les deux
conclusions recherchées sont les suivantes : (1) la liberté de religion de
Madame El-Alloul a été atteinte lorsqu’une juge a refusé qu’elle témoigne en
raison de son hijab ; et (2) Madame El-Alloul a le droit de témoigner et
ce, même si elle porte un hijab.
La Cour supérieure considère
que la première ne remplit pas les conditions. La demande en jugement
déclaratoire n’est pas le remède approprié dans le cas en l’espèce. En effet,
la première conclusion attaque directement la décision de la juge Marengo et
dans un tel cas, il faut former un appel ou un pourvoi en contrôle judiciaire.
Quant à la deuxième
conclusion, bien que la demande en jugement déclaratoire soit un véhicule
procédural approprié, la Cour supérieure souligne que sa recevabilité est
dépendante des critères ci-haut mentionnés.
En raison de la décision de la
juge Marengo, Madame El-Alloul est d’avis que son droit de témoigner en portant
le hijab est désormais incertain.
Bien que Madame El-Alloul ait
des craintes, il en demeure que celles-ci sont subjectives et qu’elles ne
constituent pas une difficulté réelle.
[44] L’autre
difficulté alléguée, c’est la crainte de El-Alloul de ne pas avoir accès aux
tribunaux dans le futur si elle se présente coiffée de son hijab. Cette appréhension repose sur la
présomption que tous les juges de la Cour du Québec décideront de la question
du port du hijab en salle d’audience comme l’a malheureusement fait la juge
Marengo. Or ce postulat est purement hypothétique. En effet, rien dans la
preuve ne permet au Tribunal de conclure que la décision isolée de la juge
Marengo est suivie par l’ensemble des juges de la Cour du Québec.
[45] La situation aurait été fort différente,
peut-être, si la preuve avait révélé que, de façon systématique, les juges de
la Cour du Québec refusent d’entendre les femmes qui se présentent pour
témoigner portant un hijab. Fort heureusement pour El-Alloul et l’ensemble des
justiciables, cette preuve n’existe pas. (Nos emphases)
Par ailleurs, selon l’avis de
la Cour supérieure, octroyer un jugement déclaratoire quant à cette conclusion,
constituerait une ingérence dans la manière dont un juge gère la tenue d’une
audience et décide de permettre le port ou non du hijab.
La Cour supérieure, se ralliant
encore aux propos de la juge McLachlin de la Cour suprême, dans l’arrêt R. c. N.S., [2012] 3 R.C.S. 726,
explique que
le seul fait d’être musulmane ne suffit pas pour permettre le port du hijab en
salle d’audience. Cette femme doit démontrer que sa volonté de porter le hijab
est fondée sur une croyance religieuse sincère.
Pour terminer, la Cour
supérieure énonce que :
[50] Comme
on peut facilement le constater, chaque
cas est un cas d’espèce qui doit être évalué à la lumière du contexte qui
existe lors de la comparution du témoin. On ne peut d’avance déclarer, dans l’absolu et hors contexte, que
El-Alloul aura le droit au port du hijab lors de ses prochaines comparutions
devant la Cour du Québec. Nul ne peut prédire l’avenir. L’état du droit sur cette question peut
évoluer, la croyance religieuse de El-Alloul peut changer. Il faut donc éviter
de prononcer un jugement pour le futur qui lierait les juges de la Cour du
Québec et les empêcheraient d’exercer leur discrétion judiciaire. (Nos
emphases)
Le texte de la décision
intégrale se trouve ici.
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