Par Sophie Lecomte
Avocate
Dans son arrêt Lainco inc. c. Construction Gamarco inc. 2016 QCCS 5124, la Cour supérieure
est saisie d’une demande en rejet d’une action en garantie en vertu des
articles 168 par. 3 C.p.c. et 51 et suivants du C.p.c.
Ainsi, lorsque l’irrecevabilité de la
demande en vertu de l’article 168 par. 3 et son rejet en vertu des articles 51
et suivants C.p.c. sont soulevés en même temps, le Tribunal devra analyser tout
d’abord la première demande.
Faits
En l’espèce, la défenderesse en
garantie (ci-après, la « Ville »),
demande le rejet de l’action en garantie intentée contre elle par Construction
Gamarco inc. (ci-après, « Gamarco »),
l’entrepreneur général chargé des travaux en litige.
Gamarco demande que la Ville soit
condamnée à l’indemniser de toute somme qu’elle pourrait être appelée à payer
relativement à la retenue contractuelle et aux conditions de chantier que lui
réclame son sous-traitant dans la demande principale.
La demande de rejet de la Ville est
fondée sur les articles 168 par. 3 C.p.c. et 51 et suivants du C.p.c., se
lisant comme suit :
Article 168
Une partie peut opposer l’irrecevabilité de la
demande ou de la défense et conclure à son rejet dans l’une ou l’autre des
circonstances suivantes:
1° il y a litispendance ou chose jugée;
2° l’une ou l’autre des parties est incapable ou
n’a pas la qualité exigée pour agir;
3° l’une ou l’autre des parties n’a manifestement
pas d’intérêt.
Elle peut aussi opposer l’irrecevabilité si la
demande ou la défense n’est pas fondée en droit, quoique les faits allégués
puissent être vrais. Ce moyen peut ne porter que sur une partie de celle-ci.
La partie contre laquelle le moyen est soulevé peut
obtenir qu’un délai lui soit accordé pour corriger la situation mais si, à
l’expiration de ce délai, la correction n’a pas été apportée, la demande ou la
défense est rejetée.
L’irrecevabilité d’une demande n’est pas couverte
du seul fait qu’elle n’a pas été soulevée avant la première conférence de
gestion.
Article 51
Les tribunaux peuvent à tout moment, sur demande et
même d’office, déclarer qu’une demande en justice ou un autre acte de procédure
est abusif.
L’abus peut résulter, sans égard à l’intention,
d’une demande en justice ou d’un autre acte de procédure manifestement mal
fondé, frivole ou dilatoire, ou d’un comportement vexatoire ou quérulent. Il
peut aussi résulter de l’utilisation de la procédure de manière excessive ou
déraisonnable ou de manière à nuire à autrui ou encore du détournement des fins
de la justice, entre autres si cela a pour effet de limiter la liberté
d’expression d’autrui dans le contexte de débats publics.
Décision et analyse
La Cour déclare que lorsque
l’irrecevabilité de la demande en vertu de l’article 168 par. 3 et son rejet en
vertu des articles 51 et suivants C.p.c. sont soulevés en même temps, le Tribunal
devra analyser tout d’abord la première demande.
I. L’irrecevabilité en vertu de
l’article 168 par. 3 C.p.c.
[14] Les principes à retenir dans le cadre de
l’analyse de l’irrecevabilité fondée sur l’article 168 par. 3 C.p.c. sont bien définis par la Cour d’appel dans
l’arrêt Bohémier c. Barreau du Québec :
➢ les allégations de la procédure
visée doivent être tenues pour avérées ce qui comprend les pièces déposées à
leur soutien;
➢ seuls les faits allégués doivent
être tenus pour avérés et non pas la qualification qu’en font leurs auteurs;
➢ le Tribunal n’a pas à décider des
chances de succès du demandeur ni du bien-fondé des faits allégués. Seul le
juge du fond pourra décider si les allégations de faits ont été prouvées après
avoir entendu la preuve et les plaidoiries;
➢ le Tribunal doit déclarer
l’action recevable si les allégations de la procédure visée sont susceptibles
de donner éventuellement ouverture aux conclusions recherchées;
➢ la requête en irrecevabilité n’a
pas pour but de décider avant procès des prétentions légales des parties. Son
seul but est de juger si les conditions de la procédure sont solidaires des
faits allégués, ce qui nécessite un examen explicite, mais également implicite
du droit invoqué;
➢ on ne peut rejeter une requête en
irrecevabilité sous prétexte qu’elle soulève des questions complexes;
➢ en matière d’irrecevabilité, un
principe de prudence s’impose. Dans l’incertitude, il faut éviter de mettre fin
prématurément à un procès;
➢ en cas de doute, il faut laisser
à la partie visée la chance d’être entendue sur le fond.
a. S’agissant des conditions de chantier, la Cour retient :
[19] Même avérées,
les allégations de l’action en garantie de Gamarco, ne mentionnent aucune
obligation de garantie. Gamarco laisse
entendre que, du seul fait que son sous-traitant, Lainco, lui fasse une
réclamation concernant les conditions de chantier, la Ville est tenue de
l’indemniser, puisqu’elle a fourni à Lainco les plans et devis au moment de la
soumission de cette dernière et est donc responsable. […]
[22] La
documentation jointe à l’action en garantie provenant de Lainco et les
allégations de la demande introductive d’instance en garantie modifiée
n’établissent pas de lien entre la Ville et Lainco, ni que la première soit partie au contrat ou liée par les
obligations de Gamarco envers Lainco.
[23] La
demande en garantie ne comprend pas non plus d’allégation d’une faute
contractuelle de la Ville, non plus qu’aucune faute extracontractuelle.
[24] Gamarco
ne soutient pas davantage que la Ville devrait être tenue solidairement
responsable avec elle de ses obligations envers Lainco. Elle n’allègue pas non
plus d’obligation légale à laquelle la Ville aurait failli. (Références
omises) (Nos soulignements)
Cette analyse convainc la Cour que les
éléments requis pour une action en garantie ou une action récursoire sont inexistants.
Le Tribunal vient préciser que le
simple fait pour Gamarco d’alléguer que la Ville serait responsable des
conditions de chantier ne peut être retenu comme une ouverture à une action en
garantie. Le Tribunal n’est pas lié par la qualification que les parties
peuvent donner aux faits allégués. En effet, les faits doivent impérativement
appuyer la conclusion de droit et permettre de la justifier.
b. S’agissant de
la retenue contractuelle, la Cour retient :
[29] Gamarco demande à ce que la Ville
l’indemnise pour toute condamnation concernant la retenue contractuelle que lui
réclame Lainco. Elle fait valoir que le contrat de sous-traitance prévoit :
La retenue contractuelle sera payée 35 (trente
cinq) jours après réception du paiement de la retenue de l’entrepreneur
générale. (transcrit tel quel) (Références omises)
La Cour estime que cet argument est insuffisant
pour conclure que la Ville doit indemniser Gamarco de la retenue contractuelle
payable à son sous-traitant.
Ainsi, sur la question de
l’irrecevabilité en vertu de l’article 168 par. 3 C.p.c., le Tribunal en vient à
la conclusion que la demande en garantie est irrecevable et doit être rejetée.
II. Le rejet en vertu des articles
51 et suivants C.p.c. :
En
l’espèce :
[33] La
Ville soutient que l’interrogatoire du représentant de Gamarco et le contrat
d’entreprise conclu avec cette dernière démontrent encore davantage l’absence
d’obligation de garantie ou de responsabilité de la Ville à l’égard des
obligations de Gamarco envers Lainco et que l’action en garantie est abusive
et ne respecte pas les fins de la justice. (Références omises) (Nos soulignements)
Le Tribunal vient ici nous rappeler la
règle de droit applicable à une telle demande fondée sur les articles 51 et
suivants C.p.c.
La Ville doit établir le caractère
abusif de la demande en garantie ou de la conduite de Gamarco dans le cadre des
procédures. Elle doit démontrer de façon sommaire que la demande est mal
fondée, n’a pas de chance de succès ou est téméraire à un point tel qu’elle
doit être sanctionnée par son rejet.
Et, si la Ville franchit cette première
étape, Gamarco devra établir qu’elle n’agit pas de façon excessive ou
déraisonnable et que sa demande se justifie en droit.
La Cour vient préciser que :
[35] Tout comme pour
l’irrecevabilité, la demande en rejet fondée sur les articles 51 et
suivants C.p.c. doit être
analysée avec prudence puisqu’elle a pour conséquence de mettre un terme aux
procédures avant que les parties ne soient entendues. (Références omises) (Nos soulignements)
La Cour accueille la demande de la
Ville sur le fondement des articles 51 et suivants C.p.c.
En effet, l’action en garantie de
Gamarco vise à obtenir l’exécution d’une obligation qui apparaît contraire au
contrat entre les parties.
En l’espèce, Gamarco ne se décharge pas
de son fardeau d’établir que sa demande se justifie en droit alors que la Ville
établit son caractère mal fondé et l’absence de ses chances de succès.
Le Tribunal retient :
[36] L’interrogatoire du représentant de Gamarco, qui est l’interlocuteur de Lainco et
de la Ville pour l’exécution de ces contrats, démontre encore davantage le
caractère mal fondé du recours en garantie tel qu’entrepris.
[37] Ainsi, en ce qui concerne la
réclamation de Lainco pour des conditions de chantier, non seulement M.
Arduini ne fait état d’aucune faute de la Ville à cet égard dans son
interrogatoire, mais il témoigne qu’à la réception de la réclamation de
Lainco, il l’a transmise à la Ville, sans plus.
[38] Quant à la retenue contractuelle, il témoigne que
Gamarco devrait être payée vers le 26 août 2016, lors
de l’acceptation finale et que se sont les déficiences en cours de correction
qui en ont retardé le paiement. L’interrogatoire ne révèle pas que la Ville
serait fautive dans le paiement de cette retenue contractuelle ce que
d’ailleurs, Gamarco, n’allègue pas.
[39] Il y a aussi lieu de rappeler que Lainco allègue le
contrat la liant à la Ville, sans le produire. Ce contrat est produit par la Ville dans le
cadre de la demande en rejet. Il ne contient
aucune clause obligeant la Ville à tenir Gamarco indemne de toute réclamation
de ses sous-traitants, ou encore de Lainco pour les travaux qui concernent
cette dernière. […] (Références omises) (Nos soulignements)
La Cour site l’arrêt de la Cour d’appel Hôpital Maisonneuve-Rosemont c. Buesco
construction inc., 2016 QCCA 739 qui énonce que :
[277] L’assignation en justice ne peut
résulter d’un exercice aléatoire visant à joindre plusieurs défendeurs dans
l’espoir de découvrir, lors du procès, un motif qui permettrait d’atteindre
l’un d’eux. L’intervention forcée d’un tiers est un acte tout aussi grave et ne
peut être motivée par la crainte de devoir un jour supporter seul les
conséquences d’un jugement défavorable. (Références omises)
Tant en vertu de l’article 168 par. 3 qu’en
vertu des articles 51 et suivants C.p.c., la Cour rejette la demande introductive
d’instance en garantie de Gamarco.
Le texte de la décision intégrale se trouve ici.
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