Jean-Philippe MacKay
Vincent Ranger
Avocats, Sarrazin Plourde
Un syndic ad hoc peut-il
enquêter et déposer des plaintes disciplinaires pour des dossiers pour lesquels
le conseil d’administration d’un ordre professionnel ne l’a pas spécifiquement
mandaté ?
Le Tribunal des
professions, dans Adessky c. Avocats (Ordre professionnel des), 2016 QCTP 139,
juge qu’un syndic ad hoc a outrepassé les limites de la résolution du comité
exécutif du Barreau qui l’avait nommée à cette fonction en déposant des
plaintes contre un professionnel.
Le Tribunal tranche que
le rôle d’un syndic ad hoc au sens de l’article 123.1 du Code des professions,
RLRQ, c. C-26 (C.prof.) se limite aux dossiers qui lui ont été confiés lors
de sa nomination, et ce, même si l’acte de nomination ne dresse pas de liste de
dossiers à proprement parler.
Faits
Le 25 et 26 août 2009,
l’intimé est nommé par le comité exécutif du Barreau à titre de syndic ad hoc.
La résolution ne comporte aucun détail quant à la portée de son mandat, mais un
sommaire exécutif préparé en vue de la réunion identifie 7 dossiers qu’il
aurait à sa charge.
Trois mois plus tard,
la syndique du Barreau lui transfère un nouveau dossier, celui de l’appelant
Adessky.
Au terme de l’enquête sur ce dossier, le syndic ad hoc dépose une plainte disciplinaire contre ce dernier et le Conseil de discipline le déclare coupable sur trois des chefs reliés à l’usage de son compte en fidéicommis. Il lui impose une amende de 5 000 $ et une radiation temporaire de quatre ans.
Le Conseil refuse du même coup de rejeter la plainte pour cause d’irrégularité de la nomination du syndic ad hoc. L’appelant invoquait l’absence de mention expresse du numéro de dossier le concernant dans la résolution du Comité exécutif.
Le Conseil rappelle que l'article 78 de la Loi sur le Barreau, RLRQ, c. B-1 et l'article 121.3 C.prof. ne contiennent aucune exigence de forme précise pour les actes de nomination des syndics ad hoc. Au surplus, le Conseil souligne que le serment de confidentialité qu’a prêté l’intimé avant le début de son enquête conformément à l’article 124 C.prof. contient une mention expresse du numéro de dossier de l’appelant.
Au terme de l’enquête sur ce dossier, le syndic ad hoc dépose une plainte disciplinaire contre ce dernier et le Conseil de discipline le déclare coupable sur trois des chefs reliés à l’usage de son compte en fidéicommis. Il lui impose une amende de 5 000 $ et une radiation temporaire de quatre ans.
Le Conseil refuse du même coup de rejeter la plainte pour cause d’irrégularité de la nomination du syndic ad hoc. L’appelant invoquait l’absence de mention expresse du numéro de dossier le concernant dans la résolution du Comité exécutif.
Le Conseil rappelle que l'article 78 de la Loi sur le Barreau, RLRQ, c. B-1 et l'article 121.3 C.prof. ne contiennent aucune exigence de forme précise pour les actes de nomination des syndics ad hoc. Au surplus, le Conseil souligne que le serment de confidentialité qu’a prêté l’intimé avant le début de son enquête conformément à l’article 124 C.prof. contient une mention expresse du numéro de dossier de l’appelant.
Lors de l’appel, le
Tribunal des professions autorise les parties à déposer, à la suite de l’audience,
de nouveaux éléments de preuve, notamment le sommaire exécutif de la résolution
nommant l’intimé syndic ad hoc dans certains dossiers, la lettre de la syndique
du Barreau qui confie le dossier de l’appelant à l’intimé, une lettre d’un
syndic adjoint à la secrétaire du Barreau soulevant une interrogation quant à
la nomination de l’intimé dans les dossiers de l’appelant et, finalement, une
résolution du Conseil d’administration du Barreau qui confirme la nomination de
l’intimé à titre de syndic ad hoc dans les dossiers de l’appelant et qui ratifie
tous les actes qu’il a posés dans ceux-ci.
Décision
Le Tribunal des
professions accueille l’appel et prononce un arrêt des procédures en faveur de
l’appelant.
Le Tribunal rappelle que
le syndic ad hoc, bien qu’il possède les droits et pouvoirs et d’un syndic ne
fait pas partie du bureau du syndic. Conformément à l’article 78 de Loi
sur le Barreau, le syndic ad hoc n’exerce les pouvoirs du syndic que dans le
cadre du mandat spécifique qu’il reçoit du conseil d’administration.
Le Tribunal précise :
Le Tribunal précise :
[48] Le fait que le syndic ad hoc ne
puisse être assimilé au syndic ou au syndic adjoint et qu’il ne fasse pas
partie du bureau du syndic n’en fait pas pour autant un acteur moins important.
Dans les limites de son mandat, il possède les droits, pouvoirs et obligations
du syndic, sauf les exceptions qui y sont prévues. Or, le concept même de
syndic ad hoc vise une désignation spécifique pour l’accomplissement d’une fin
particulière ou faite dans un but précis, ou encore, faite « pour
cela ».
[référence
omise]
De l’avis du Tribunal,
il ressort des éléments nouveaux déposés en preuve par les parties que le comité
exécutif du Barreau n’a pas nommé l’intimé pour le dossier de l’appelant,
puisque celui-ci ne figure pas au sommaire exécutif préparé en vue de l’adoption
de la résolution.
En d’autres termes, la portée de la résolution est déterminée par le sommaire exécutif en question :
En d’autres termes, la portée de la résolution est déterminée par le sommaire exécutif en question :
[51] Manifestement, la preuve nouvelle
établit clairement que l’intention de la syndique et du Comité exécutif était
de nommer l’intimé à titre de syndic ad hoc dans des dossiers déterminés (un à
un), qui portaient des numéros déterminés, soit les numéros qui apparaissent au
sommaire exécutif. C’est là le processus suivi dans le présent cas.
[52] Or, le texte de la résolution du
Comité exécutif précise qu’elle est adoptée:
CONSIDÉRANT
la demande de la syndique, Me Michèle St-Onge, du 3 aout 2009;
[référence
omise]
La nomination de l’intimé
serait ainsi le fait de la syndique du Barreau qui lui a confié le dossier en
novembre 2009. En l’absence d’un acte de nomination spécifique émanant du comité
exécutif, le Tribunal tranche que l’intimé n’a pas validement été nommé pour
agir dans le dossier de l’intimé :
[57] Cela étant, l’intimé n’avait pas le
pouvoir d’agir à titre de syndic ad hoc pour le dossier de l’appelant. Il n’avait
donc pas le pouvoir d’entreprendre une enquête à l’égard de l’appelant. Il ne
pouvait pas non plus déposer une plainte disciplinaire contre lui. Il n’avait
aucune autorité pour accomplir l’un ou l’autre de ces actes qui, conséquemment,
sont nuls. Ce faisant, le Conseil de discipline n’était pas saisi d’une plainte
au sens de l’article 116 C.prof. et était donc sans compétence pour en juger.
Le Tribunal opère
ensuite des distinctions entre le présent dossier et deux précédents invoqués
par l’intimé (Labrie c. Roy, J.E. 2004-90 (C.A.) et Sylvestre c. Parizeau, J.E.
98-585 (C.A.)). En bref, le Tribunal est d’avis que les irrégularités relatives
aux serments de discrétion prêtés par des syndics dans ces deux affaires ne se
comparent par à un vice touchant la nomination elle-même.
Finalement, pour ce qui
est de la résolution du conseil d’administration qui confirme à postériori la
nomination de l’intimé et qui ratifie les actes posés par ce dernier, le
Tribunal tranche qu’il n’est pas possible de confirmer une nomination qui n’a
jamais existé en premier lieu.
En somme, le Tribunal
est d’avis que la question de la validité de la nomination du syndic ad hoc en
est une qui relève de l’ordre public et que la seule issue possible est le
rejet de la plainte au motif que tous les gestes posés par l’intimé le furent
en l’absence de toute compétence.
Commentaire
La décision du tribunal
est de nature à surprendre.
Premièrement, sur le
plan technique, le Tribunal accorde un rôle prépondérant au sommaire exécutif,
un document préparatoire, qui a mené à l’acte juridique formel, c’est-à-dire la
résolution du comité exécutif. Alors que la résolution du comité exécutif ne comportait
aucune mention des dossiers pour lesquels l’intimé était nommé syndic ad hoc, le
Tribunal en fait une lecture qui dépend du sommaire exécutif, lequel est un
document extrinsèque qui ne possède, sur le strict plan juridique, aucun poids
vis-à-vis de l’acte de nomination lui-même. Il s’agit d’un raisonnement sévère en
regard des conséquences draconiennes auxquelles arrive le Tribunal : la
nullité complète des actes du syndic ad hoc.
Deuxièmement, bien qu’il
soit vrai qu’un syndic ad hoc possède des pouvoirs d’enquête extraordinaire en
lien avec la protection du public, le dépôt d’une plainte n’est pas le rôle
exclusif d’une personne nommé à titre de syndic. Toute personne peut déposer
une plainte au Conseil de discipline (art. 128, al. 2 C.prof.).
Il est ainsi incongru que le vice de nomination d’un syndic ait un impact sur
le cheminent de la plainte : le syndic ad hoc aurait pu déposer la plainte
à titre personnel et cette plainte appartient ensuite au Conseil et doit être
tranchée sur la base de la preuve qui sera administrée à l’audition. Le
Tribunal aurait pu distinguer encore les actes qui nécessitent réellement
l’habilitation législative et ceux qui peuvent être exercés par quiconque.
Finalement, l’on aurait
pu s’attendre à une mise en balance de l’objectif de protection du public (art.
23 C.prof) et du droit de l’appelant à une procédure équitable. Or, le Tribunal
ne fait aucune mention de l’objectif de protection du public dans son
raisonnement, préférant plutôt un raisonnement fondé sur une analyse stricte de
la légalité de l’habilitation administrative du syndic ad hoc. La présente
décision d’ailleurs est susceptible d’avoir un impact sur l’instruction de
toute plainte déposée par un syndic ad hoc. En effet, il est à prévoir que les
conseils de discipline saisis de telles plaintes devront se pencher non
seulement sur l’acte de nomination lui-même, mais aussi sur le contexte
entourant son adoption, afin de déterminer si tout le processus disciplinaire,
dans la mesure où la plainte est concernée, est ultra vires des pouvoirs du
syndic ad hoc. Jusqu’où iront les conseils et les plaideurs pour mener cette
enquête sur la validité de la nomination ?
Le texte intégral de la
décision est disponible ici.
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