Avocat en droit municipal et
administratif
Dans l’affaire Leclerc c. Ville de Lévis (2016 QCCS 6328), le juge Louis Dionne,
de la Cour supérieure, siégeant en appel de condamnations de la Cour
municipale, traite de l’application des règlements de zonage et de nuisances
aux activités de parachutisme exercés sur le terrain de l’appelante.
Bien que ce jugement soit intéressant
pour son analyse des moyens constitutionnels, il est également l’occasion d’un
rappel pratique pour tout plaideur qui invoque des droits acquis en matière
municipale.
En effet, le juge Dionne rejette la
défense de droits acquis soulevée par l’appelante, au motif que celle-ci n’a
pas prouvé que l’activité exercée était légale avant l’entrée en vigueur de la
réglementation actuelle.
Le plaideur qui souhaite invoquer ce
type de défense doit donc établir la légalité de l’activité à un moment
antérieur.
Résumé
du jugement
Depuis les années 1970, une piste
d’atterrissage est aménagée sur les lots de l’appelante.
En septembre 2011, l’organisme
ParaQuébec commence à effectuer des tests de saut en parachute et y aménage un
lac artificiel (« swoop pond ») à cette fin.
Toutefois, ce n’est qu’à l’été 2012 que
les activités commerciales de parachutisme prennent leur envol.
Le 26 juin 2012, le nouveau règlement de
zonage de la Ville entre en vigueur et interdit l’exercice du parachutisme.
En 2014, la Ville émet plusieurs
constats d’infraction à l’appelante pour avoir toléré sur son terrain un usage
prohibé, soit l’exercice du parachutisme.
En Cour municipale, le juge Vachon
déclare l’appelante coupable des infractions reprochées et la condamne aux
amendes prévues.
Siégeant en appel, le juge Dionne
analyse la défense de droits acquis soulevée par l’appelante.
Il reconnaît que l’exercice du
parachutisme s’est amorcé avant l’entrée en vigueur du règlement de zonage,
mais rejette la prétention de droits acquis, en l’absence de preuve de sa
légalité à l’origine :
[75] La preuve révèle que dès 2011, on prépare la venue de ParaQuébec à Pintendre pour la saison de parachutisme 2012, saison qui a débuté près de deux mois avant l’entrée en vigueur du Règlement sur le zonage.
[76] À première vue, l’on peut donc penser qu’il existe des droits acquis en faveur de l’appelante puisque, comme elle le prétend, ses activités économiques reliées au parachutisme ont débuté sur sa propriété à compter de la mi-septembre 2011, soit avant l’entrée en vigueur du Règlement sur le zonage de l’intimée.
[77] Cependant, cela n’est pas suffisant pour déterminer que l’appelante avait effectivement des droits acquis en l’espèce puisque lesdits droits n’existent que lorsque l’usage dérogatoire antérieur (parachutisme et centre de formation en parachutisme) à l’entrée en vigueur des dispositions prohibant un tel usage était légal en vertu de l’ancien Règlement sur le zonage. Or, le Tribunal ne retrouve pas une telle preuve dans la présente affaire.
[78] Comme le mentionne le juge Gaétan Pelletier, j.c.s., dans l’affaire Ville de Baie‑St-Paul c. Cie Tremblay, reprenant les propos du professeur Lorne Giroux, aujourd’hui juge à la Cour d’appel du Québec, l’on ne peut prétendre à des droits acquis à l'encontre d'une modification si l'usage était illégal sous l'ancien règlement. Un droit acquis ne saurait naître d'une dérogation basée sur une infraction à une loi ou à un règlement, que cette infraction ait été sanctionnée ou non par une pénalité. C’est pourquoi il conclut comme suit :
[24] En conséquence, considérant qu'une personne désirant invoquer des droits acquis doit en faire la preuve, et que l'exercice légal du droit en question avant son interdiction est un élément essentiel du fardeau de preuve [...]
[79] En l’espèce, l’appelante n’a pas, de l’avis du Tribunal, rempli l’une des conditions essentielles et nécessaires pour se prévaloir de la défense de droit acquis, soit la démonstration de la légalité antérieure de l’usage dérogatoire. Il faut donc répondre à la première question en litige [la défense de droits acquis] par la négative.
Après avoir conclu à l’absence de droits
acquis, le Tribunal analyse les moyens constitutionnels soulevés par
l’appelante. Il déclare la réglementation des usages constitutionnellement
inapplicable à l’exercice du parachutisme et accueille l’appel à l’égard des
infractions concernant un usage prohibé.
Commentaires
Ce jugement rappelle que le plaideur qui
souhaite invoquer une défense de droits acquis a le fardeau de prouver non
seulement l’antériorité de l’usage par rapport à la réglementation en vigueur,
mais également la légalité de cet usage à un moment antérieur.
Il devra, par exemple, introduire en
preuve la réglementation régissant les usages lors du début des activités
litigieuses ou faire admettre qu’aucune réglementation ne régissait les usages
à cette époque. Cet aspect de la preuve de droits acquis est souvent négligé.
La confusion provient sans doute du fait
que les droits acquis sont souvent invoqués en défense contre un recours pénal
ou civil introduit par l’autorité administrative (i.e. la municipalité). C’est
alors l’autorité administrative qui a le fardeau d’établir l’illégalité actuelle
de l’activité et qui introduit en preuve sa réglementation. Il n’en faut pas
plus pour penser, à tort, qu’en l’absence de preuve de l’illégalité antérieure
de l’activité, sa légalité doit être présumée.
Le jugement rendu en l’espèce nous
rappelle qu’au contraire, le fardeau de prouver la légalité antérieure de
l’activité, condition essentielle de l’existence de droits acquis, repose sur
celui qui les invoque.
Le texte intégral de la décision est
disponible ici.
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