Par Audrey Corsi Caya
Avocate
Dans la décision Régie de l’assurance maladie du Québec
c. Tribunal administratif du Québec,
2016 QCCS 6156, la Cour supérieure est saisie d’une demande de contrôle
judiciaire formulée par la Régie de l’assurance maladie du Québec (la « RAMQ ») à l’encontre d’une
décision rendue par le Tribunal administratif du Québec (le « TAQ »).
En appliquant la norme de contrôle de la
décision raisonnable, la Cour a conclu que la décision rendue par le TAQ ne
faisait pas partie des issues possibles acceptables, a annulé la décision du
TAQ et a rétabli la décision initiale de la RAMQ.
Contexte
Le cœur du litige concerne la définition d’un
« adulte hébergé » au sens de la Loi
sur l’aide aux personnes et aux familles, RLRQ, c. A-13.1.1 (la « Loi ») et du Règlement sur la contribution
des usagers des établissements de santé et de services sociaux, RLRQ, c. S-4.2,
r.6 (le « Règlement »).
Suite à une ordonnance de garde, une personne
prestataire de l’aide sociale (ci-après « Monsieur ») s’est retrouvée hébergée dans un établissement de
santé contre son gré puis a été admise en soins de longue durée.
Quelques jours après l’admission initiale de
Monsieur, la RAMQ a été avisée de la situation par l’établissement de santé.
En avril 2011, la RAMQ a alors transmis un avis
de décision à Monsieur l’informant qu’il devait verser une contribution
mensuelle pour son hébergement en soins de longue durée. L’avis de décision
précisait que Monsieur pouvait demander une réduction ou une exonération de sa
contribution en fonction de sa situation financière.
En mai 2011, la RAMQ a transmis un avis de
réclamation : en raison de l’hébergement en établissement de santé, les
prestations mensuelles d’aide sociale de Monsieur se retrouvaient réduites, car
il était devenu un « adulte hébergé » au sens du Règlement. La RAMQ a
donc demandé le remboursement de la somme payée en trop pour la prestation du
mois de mai 2011. La mère de Monsieur a demandé la révision de la décision.
Monsieur a également présenté une demande
d’exonération de sa contribution pour son hébergement en mai 2011.
La RAMQ l’a exonéré de toute contribution pour
son hébergement, et ce, depuis son admission en avril 2011, mais a maintenu sa
décision de diminuer les prestations d’aide sociale et sa réclamation du
montant payé en trop. La mère de Monsieur a demandé une révision de cette
décision de la RAMQ au TAQ.
Le TAQ a déterminé que Monsieur n’était pas un
« adulte hébergé » au sens du Règlement et a renversé la décision de
la RAMQ en s’appuyant sur l’analyse suivante :
« [39] Le syllogisme qui fonde la Décision du TAQ se résume
ainsi :
a) selon l’article 4 du Règlement, une personne tombe
dans la définition d’un adulte hébergé « dès
qu'une contribution peut être exigée à son égard en vertu de l'article 512 de
la Loi sur les services de santé et les services sociaux [RLRQ, c. S-4.2] »;
b) lorsqu’une personne est exonérée de toute
contribution, il n’y a plus rien qui « peut » lui être exigé
au sens de l’article 512 de la LSSSS;
c) ainsi, si une personne est exonérée du paiement de
toute contribution, elle n’est pas un « adulte hébergé » au sens de l’article 4 du Règlement. »
En outre, le TAQ a retenu l’argument de
Monsieur selon lequel son déficit de ressources n’avait pas été modifié durant
la période visée, car il devait encourir les mêmes dépenses telles que le
logement.
Selon le TAQ, l’interprétation de la RAMQ
forcerait les personnes temporairement hospitalisées à se départir de leur
logement, ce qui irait à l’encontre de l’objectif de la Loi.
Analyse
de la Cour supérieure
La Cour détermine rapidement que la norme de
contrôle appropriée est celle de la décision raisonnable. Elle doit donc
déterminer si la décision du TAQ est justifiée, intelligible et rationnellement
acceptable.
La Cour n’est pas convaincue de la justesse du
syllogisme sur lequel le TAQ a fondé sa décision. Suivant l’analyse du TAQ,
Monsieur ne serait pas un adulte hébergé au sens du Règlement, car dès qu’il a
été exonéré du paiement de la contribution pour son hébergement, aucune
contribution ne pouvait lui être exigée en vertu de la LSSSS de sorte que
Monsieur ne rencontrait plus la définition d’un adulte hébergé.
La Cour rappelle que le libellé de l’article 4
du Règlement établit qu’un usager est un « adulte hébergé » aux fins
de la fixation de la prestation d’aide sociale dès qu’une contribution peut lui
être exigée en vertu de la LSSSS. Aucune autre disposition ne permet de
modifier ultérieurement le statut d’un adulte hébergé en raison d’une
exonération de contribution. En effet, il suffit qu’une contribution puisse
être demandée d’un usager pour qu’il soit un adulte hébergé au sens du
Règlement. La Cour souligne que pour bénéficier d’une exonération, il faut
nécessairement qu’une contribution ait été exigible.
Pour la Cour, l’analyse du TAQ va à l’encontre
de l’économie de la Loi et du cadre
législatif en question :
« [66] En effet, selon le raisonnement retenu par le TAQ,
ce n’est que parce que Monsieur est entièrement exonéré du paiement
de la contribution qu’il ne tombe plus dans la définition d’un adulte
hébergé au sens de l’article 4 du Règlement. Ainsi, s’il est entièrement
exonéré du paiement de la contribution, il a droit, selon la Décision du TAQ,
au plein versement de sa prestation d’aide sociale. Dans un tel cas, Monsieur
n’est tenu au paiement d’aucune contribution pour son hébergement,
tout en continuant à recevoir des prestations d’aide sociale non réduite de
887,92 $ par mois.
[67] Toutefois, toujours selon le raisonnement retenu
par le TAQ, si Monsieur n’est pas exonéré du paiement de la
contribution pour son hébergement, sa situation correspond alors à celle d’un
adulte hébergé et, selon l’article 157 du Règlement, sa prestation d’aide
sociale est réduite à 186 $. Dans un tel cas, Monsieur est tenu au
paiement d’une contribution pour son hébergement de 1 392 $ par mois
à compter de mai 2011 et de 1 665,30 $ par mois à compter du 14 juin 2011, mais ce, en recevant des
prestations d’aide sociale de 186 $ par mois. »
(soulignements dans l’original)
Pour la Cour, cette analyse est illogique et
n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au
regard des faits et du droit.
En outre, la Cour rappelle que le Règlement
prévoit un mécanisme pour permettre aux adultes hébergés de payer les frais de
logement lors de leur hébergement. Comme le TAQ n’a pas fait référence à ces
dispositions dans sa décision, la Cour considère qu’à cet égard, il a commis
une erreur déraisonnable qui vicie son raisonnement.
Conclusion
Bien que la section des affaires sociales du
TAQ ait une expertise reconnue en matière de sécurité ou soutien du revenu, la
Cour n’hésitera pas à faire sa propre analyse des textes de loi et à intervenir
lorsqu’une analyse entreprise par le TAQ ne conduit pas à une issue possible
raisonnable.
Le texte intégral de la décision est disponible
ici.
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