Avocat, Sarrazin Plourde
La norme de contrôle régissant la
procédure d’appel à la Cour du Québec de certaines décisions du Tribunal
administratif du Québec (« TAQ ») fait l’objet d’une jurisprudence
bien établie.
Des appels à la réflexion se font
cependant entendre en doctrine et en jurisprudence.
L’arrêt récent de la Cour d’appel Procureure générale du Québec (Ministère des
Affaires municipales, des Régions et de l’Occupation du territoire (« MAMROT
»)) c. Fondation internationale
Azzahra inc., 2017 QCCA 240, nous donne l’occasion de revenir sur ces
appels à la réflexion.
Faits et historique procédural
Un évaluateur de la Ville de Montréal
détermine qu’un immeuble appartenant à la Fondation Internationale Azzahra (« Fondation »),
qui bénéficie par ailleurs d’une exemption pour institution religieuse en vertu
du par. 204 (8) de la Loi sur la
fiscalité municipale (« LFM »), n’a pas à payer de taxes
foncières aux termes du par. 204 (17) de cette même loi.
Le MAMROT demande, avec succès, la
révision des certificats émis par l’évaluateur devant le TAQ.
Saisie de l’appel de la décision du
TAQ, la Cour du Québec (l’honorable Jean-F. Keable) détermine que la norme de
contrôle applicable en l’espèce est celle de la décision raisonnable. La Cour
du Québec juge que la décision du TAQ appartient aux issues possibles
acceptables et rejette l’appel de la Fondation.
La fondation se pourvoit ensuite en
contrôle judiciaire devant la Cour supérieure (l’honorable Carol Cohen).
Suivant l’arrêt de la Cour d’appel
dans l’affaire Frères
Maristes (Iberville) c. Laval (Ville de), 2014 QCCA 1176, la juge
Cohen détermine que la Cour du Québec a bien identifié la norme de contrôle
applicable, soit la norme de la décision raisonnable, mais estime que celle-ci
n’a pas été correctement appliquée à la décision du TAQ.
Deux motifs d’intervention sont
invoqués pour rétablir la décision initiale de l’évaluateur municipal.
Premièrement, le TAQ tranche
déraisonnablement en ne tenant pas compte de la reconnaissance de la Fondation
Azzahra comme institution religieuse aux fins de l’exemption de taxes foncières
pour son immeuble abritant une mosquée.
Deuxièmement, le TAQ ne rend pas une
décision raisonnable en statuant que les activités principales d’une
institution religieuse doivent se rapporter à la religion et non à des
activités charitables.
L’arrêt
La première question sur laquelle la
Cour, sous la plume du juge Mainville, se penche est celle de la norme de
contrôle applicable aux appels des décisions du TAQ devant la Cour du Québec :
[29] La Cour doit déterminer si la juge de la
Cour supérieure a identifié la bonne norme de contrôle et si elle l’a appliquée
correctement.
[30]
Selon les enseignements de la Cour suprême du Canada, l’appel d’une
décision d’un tribunal administratif spécialisé à une cour de justice est
soumis, en principe, aux normes d’intervention applicables au contrôle
judiciaire. Se référant notamment à ACAIQ
c. Proprio Direct inc., l’arrêt de la Cour dans Frères Maristes applique ces enseignements et confirme ainsi que la
norme de contrôle applicable à un appel devant la Cour du Québec d’une décision
de la Section des affaires immobilières du TAQ est celle de la décision
raisonnable, hormis les rares cas d’ultra vires ou de questions de compétence.
À la lumière de cet arrêt, la juge de la Cour supérieure devait conclure, comme
elle l’a fait, que la Cour du Québec avait correctement identifié la norme de
contrôle de la décision raisonnable comme celle devant s'appliquer à l’appel de
la décision du TAQ dont elle était saisie.
[31]
Cela étant, l’application de la norme de contrôle de la décision
raisonnable à deux niveaux soulève plusieurs interrogations qu’il n’y a pas
lieu de traiter dans le cadre de cet appel.
(Références omises)
Le juge Mainville procède à l’analyse de la
raisonnabilité de la décision du TAQ au regard des deux motifs d’intervention
invoqués par la Cour supérieure.
Ce dernier conclut qu’il est effectivement
déraisonnable d’ignorer l’exemption dont bénéficiait la Fondation en vertu du
par. 204 (8) LFM (par. 32-35) et de refuser à cette dernière le statut
d’institution religieuse aux fins du par. 204 (17) LFM (par. 36-54).
À l’instar de la juge Cohen, le juge Mainville
conclut « qu’une seule conclusion raisonnable s’imposait au TAQ, soit
celle de confirmer la décision de l’évaluateur de Montréal » (par. 56).
Commentaires
Au paragraphe 31 de l’arrêt, le juge
Mainville fait écho aux commentaires du juge Émond dans l’arrêt Procureure
générale du Québec c. Ville de Montréal, 2016 QCCA 2108, voulant que
l’existence de deux niveaux de contrôle judiciaire suscite « plusieurs
interrogations qu’il n’y a pas lieu de traiter dans le cadre de cet
appel ».
Dans Ville de Montréal, le juge Émond s’exprime ainsi au nom de la
majorité – la juge Savard, dans une opinion concordante d’un paragraphe, estime
que ces commentaires ne sont pas nécessaires à la solution du pourvoi :
[44] En restreignant le champ d’intervention des
cours de justice siégeant en appel des tribunaux administratifs spécialisés,
i.e. en assujettissant de tels appels à une norme d’intervention déterminée en
fonction des principes du droit administratif, la Cour suprême a circonscrit
les pouvoirs que le législateur avait accordés à la Cour du Québec en semblable
matière. En pratique, cela signifie que la Cour du Québec effectue une forme de
« révision judiciaire » avant même que la Cour supérieure n’accomplisse un
exercice semblable en vertu de son pouvoir de surveillance et de contrôle,
lorsque la partie perdante choisit, comme elle est en droit de le faire, de se
pourvoir en révision judiciaire. Ainsi, l’on peut s’interroger sur l’utilité et
l’à propos d’un tel processus de révision en deux étapes successives et
similaires, cela d’autant plus qu’il peut s’avérer coûteux pour le justiciable.
[45] Une réflexion approfondie et prospective de la
question ferait sans doute œuvre utile.
Si tant est qu’elle soit nécessaire, quels
seraient les jalons de cette réflexion?
Deux aspects de cette réflexion me
paraissent pertinents.
En premier lieu, on peut se
questionner sur le plan de la constitutionnalité même d’un contrôle judiciaire
par une instance qui n’est pas une cour supérieure au sens de l’article 96 de
la Loi constitutionnelle de 1867.
Le professeur Paul Daly, dans son
article « Les appels administratifs au Canada » ((2015) 93 Canadian Bar Review 71, disponible ici) soulève plusieurs doutes quant à la conformité constitutionnelle de ce
phénomène.
J’en souligne deux :
-
La Cour du
Québec, en procédant au contrôle judiciaire de la décision du TAQ, exercerait
une fonction identique à celle qui relève de la compétence de surveillance et
contrôle de la Cour supérieure, sans que cette fonction ne soit un accessoire
au mandat du Tribunal (troisième étape de l’analyse du Renvoi sur la Loi de 1979 sur la location résidentielle, [1981] 1
R.C.S. 714)
-
L’exercice, en
première ligne, du contrôle judiciaire par la Cour du Québec priverait la Cour
supérieure de la possibilité d’un véritable contrôle judiciaire de la décision
du TAQ, car son rôle devient alors celui d’une cour d’appel, soit de vérifier
si la Cour du Québec a correctement identifié, puis appliqué, la norme de
contrôle.
En second lieu, même si la Cour du
Québec détenait un pouvoir d’appel plus élargi, notamment sur les questions de
droit, l’obligation du justiciable de saisir d’abord la Cour du Québec pour
ensuite se pourvoir en Cour supérieure soulève une question d’utilité pratique
et d’économie de moyens.
En ce sens, j’explique mal les
commentaires du juge Émond dans Ville de
Montréal, car le problème sur lequel il invite la réflexion ne semble pas
être l’existence même d’un appel intermédiaire à la Cour du Québec, mais bien l’existence
d’un contrôle judiciaire en « deux étapes successives et similaires ».
Or, une forme élargie d’appel à la
Cour du Québec des décisions du TAQ me semble être de nature à aggraver le
problème plutôt qu’à le régler.
C’est pourquoi la Cour d’appel dans Frères maristes explique que la déférence qui doit guider la Cour
du Québec lors de l’appel d’une décision du TAQ favorise la réalisation des
objectifs fondamentaux du droit administratif, « soit de favoriser par le moyen des tribunaux administratifs
la spécialisation des décideurs, la modicité des coûts d’accès et la célérité
des processus de décision » (par. 5).
En ce sens, la
spécialisation que l’on attribue aux tribunaux administratifs, le TAQ en
l’occurrence, est de nature à produire des décisions raisonnables au regard des
objectifs législatifs. Ainsi, la Cour du Québec, en limitant ses interventions
aux paramètres autorisés par le droit administratif, favorise la finalité des
décisions des instances administratives.
Toujours est-il que l’application du
même schéma d’analyse à deux niveaux – voire trois, car le pourvoi au fond en
Cour d’appel contre un jugement rendu en Cour supérieure obéit certes à sa
propre norme de contrôle, mais en réalité il s’agit de l’examen de la
raisonnabilité de la décision administrative sujette au contrôle judiciaire –
peut facilement s’assimiler à une mauvaise utilisation de précieuses ressources
judiciaires, en plus d’entraîner des coûts inutiles pour les justiciables.
Pour conclure, peut-être est-il
légitime, à l’instar du professeur Daly, de se questionner à savoir si la Cour
du Québec devrait jouer un authentique rôle d’appel, soit d’assurer la
cohérence et l’ordonnancement du droit dans le cadre de la Loi sur la justice administrative et ses lois connexes.
Certes, par l’imposition du cadre
d’analyse du contrôle judiciaire à l’appel devant la Cour du Québec, ce rôle
d’ordonnancement du droit est peut-être limité par la jurisprudence actuelle
sur la norme contrôle applicable.
Certains peuvent trouver l’état actuel
des choses insatisfaisant, mais il n’en demeure pas moins que l’approche
actuelle de la jurisprudence reflétée dans l’arrêt Frères maristes tend ultimement à favoriser un plus grand accès à
la justice en conférant une plus grande protection aux décisions du TAQ.
La déférence et l’accès à la justice :
voilà qui, à mon sens, devraient être les points de départ de toute réflexion
utile sur la question.
Le texte intégral de la décision est
disponible ici.
Excellente intervention sur un sujet qui chicotte plusieurs praticiens (dont moi-même qui agit devant le TAQ en évaluation foncière et en expropriation) et sur lequel je me promettais d’écrire un jour. J’aurai deux commentaires.
RépondreEffacerComme cela a été bien identifié, le cadre actuel empêche la Cour du Québec de jouer pleinement le rôle que le législateur a voulu lui donner. L’article 159 de la Loi sur la justice administrative prévoit que les décisions de la section des affaires immobilières, ainsi que celles rendues en matière de protection du territoire agricole sont susceptibles d’appel « sur permission d’un juge, lorsque la question en jeu en est une qui devrait être soumise à la Cour ». Selon la jurisprudence développée par la Cour du Québec, il s’agit essentiellement de questions nouvelles ou controversées. Il ne s’agit pas de corriger chacune des décisions, mais de répondre à des questions dont l’intérêt dépasse celui des parties pour donner des « directives » au TAQ (bref, de favoriser la cohérence et l’ordonnancement du droit, tel que mentionné).
Or, on se retrouve parfois dans des situations où un premier juge de la Cour du Québec autorise l’appel parce qu’une question spécifique est d’intérêt pour la Cour, et où le juge qui rend le jugement au fond dit que la décision du TAQ était raisonnable, bien que le contraire aurait pu l’être aussi (bref, la question d’intérêt n’est pas tranchée). Quelle perte de temps pour le système judiciaire!
L’arrêt Edmonton (Ville) c. Edmonton East (Capilano) Shopping Centres Ltd., 2016 CSC 47, rendu en novembre, confirme que la situation est définitivement bloquée du point de vue judiciaire, à cause des précédents. La seule option restante serait une intervention législative pour déclarer que la Cour du Québec doit appliquer les mêmes normes que la Cour d’appel (décision correcte sur les questions de droit et déférence sur les questions de faits, incluant l’appréciation des expertises). Ainsi, la Cour du Québec pourrait jouer pleinement son rôle d’ordonnancement du droit, tout en respectant l’expertise du TAQ sur les questions, par exemple, d’évaluation des immeubles.
Concernant maintenant la révision judiciaire à la Cour supérieure, mon constat est le même : la CS refait le même travail que la CQ siégeant en appel. Je comprends que des préoccupations constitutionnelles inviteraient à diriger les recours plutôt à la CS qu’à la CQ. Cependant, en pratique, la CQ a beaucoup plus de juges et ceux-ci semblent avoir plus de disponibilités pour entendre les appels. De plus, les juges de la Division administrative et d’appel ont la chance de développer une expertise sur les questions découlant des appels du TAQ (bien que la CQ soit un tribunal généraliste).
En pratique, je suggérerais plutôt de rétablir l’appel sur la permission à la Cour d’appel des décisions de la CQ rendues en ces matières, afin d’éliminer le passage par la Cour supérieure. Constitutionnellement, cela serait peut-être viable puisque les juges de la CA sont nommés suivant l’article 96 LC 1867. Je ne suis pas encore certain du modèle idéal (et c’est toujours difficile d’écarter complètement le pouvoir de contrôle de la CS), mais ce serait à réfléchir. Chose certaine, le modèle actuel n’est certainement un exemple d’efficience!
Nous vous remercions pour votre commentaire qui alimente la réflexion!
EffacerEnfin, quant à la question d'accès à la justice et de finalité des décisions administratives, il faut se rappeler que l'appel à la CQ a été prévu seulement dans les matières où les intérêts économiques en jeu permettent de soutenir de tels appels.
RépondreEffacerJe me souviens avoir lu des extraits de débats parlementaires dans certaines décisions en la matière. Le projet initial de la Loi sur la justice administrative ne prévoyait aucun appel, justement pour limiter les coûts. Par contre, certains intervenants ont fait remarquer que dans les matières immobilières (au sens large), les intérêts économiques étaient tels que de tels appels pourraient se justifier et favoriser la cohérence des décisions administratives, d'où leur ajout.
Nous vous remercions pour votre commentaire qui alimente la réflexion!
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