TRAVAIL :
La plaignante, qui avait postulé un emploi de psychologue dans un centre
intégré de santé et de services sociaux, se voit accorder 4 000 $ à
titre de dommages moraux, car le questionnaire médical préembauche rempli à
cette occasion contenait des questions discriminatoires, qui portaient
également atteinte à ses droits à la sauvegarde de sa dignité et au respect de
sa vie privée.
2017EXPT-294
Intitulé : Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (A.A.) c. Centre intégré de santé et de services sociaux des Laurentides (Centre de santé et de services sociaux de Thérèse-de-Blainville), 2017 QCTDP 2
Juridiction
: Tribunal des droits de la
personne (T.D.P.Q.), Terrebonne (Saint-Jérôme), 700-53-000017-149
Décision
de : Juge Yvan Nolet, Me Pierre
Angers, avocat à la retraite, Me Sabine Michaud, assesseurs
Date
: 16 janvier 2017
Références
: SOQUIJ AZ-51361163, 2017EXP-545,
2017EXPT-294 (33 pages)
Résumé
TRAVAIL —
responsabilité et obligations — employeur — discrimination — embauche —
handicap — psychologue — secteur de la santé et des services sociaux — article
18.1 de la Charte des droits et libertés de la personne —
fardeau de la preuve — aptitude ou qualité requise par l'emploi — exigence
professionnelle justifiée — questionnaire médical — collecte de renseignements
invasive — questions larges et ouvertes — tachycardie de l'enfant —
hospitalisation — problème personnel — obligation de l'employeur — examen
médical — santé et sécurité du travail — promesse d'embauche conditionnelle —
vie privée — dignité — dommages moraux.
DROITS ET
LIBERTÉS — droit à l'égalité — actes discriminatoires — emploi — embauche —
psychologue — handicap — questionnaire médical — examen médical — article 18.1
de la Charte des droits et libertés de la personne — fardeau
de la preuve — aptitude ou qualité requise par l'emploi — exigence
professionnelle justifiée — vie privée — droit à l'intégrité de la personne —
dignité — examen médical — obligation de l'employeur — santé et sécurité du
travail — promesse d'embauche conditionnelle.
DROITS ET
LIBERTÉS — droit à l'égalité — motifs de discrimination — handicap ou
déficience — questionnaire médical — examen médical — emploi — tachycardie de
l'enfant — hospitalisation.
DROITS ET
LIBERTÉS — droits et libertés fondamentaux — vie privée — emploi — embauche —
questionnaire médical — examen médical — collecte de renseignements invasive —
promesse d'embauche conditionnelle.
DROITS ET
LIBERTÉS — droits et libertés fondamentaux — intégrité de la personne — emploi
— embauche — examen médical — promesse d'embauche conditionnelle.
DROITS ET
LIBERTÉS — réparation du préjudice — dommage moral (4 000 $) —
absence de dommage punitif.
DROITS ET
LIBERTÉS — recours et procédure — Tribunal des droits de la personne — demande
de modification des conclusions — demande rejetée — mesure de redressement —
article 80 de la Charte des droits et libertés de la personne —
embauche — emploi — légalité du questionnaire médical — question d'intérêt
public — collecte de renseignements invasive — ordonnance de révision du
questionnaire médical — poste de psychologue — absence de promesse d'embauche
conditionnelle — ordonnance de destruction.
Demande
introductive d'instance en vertu des articles 4, 5, 10 et 18.1 de la Charte
des droits et libertés de la personne visant un questionnaire médical
préembauche et réclamant des dommages-intérêts. Accueillie en partie; indemnité
accordée (4 000 $) et ordonnances de révision, de non-conservation et
de destruction des questionnaires. Demande de modification. Rejetée.
Le
questionnaire médical préembauche que l'employeur, un centre intégré de santé
et de services sociaux, demandait aux candidats de remplir en 2012 contenait
des questions portant notamment sur l'âge, les habitudes de vie, les accidents,
les lésions professionnelles subies, la médication prise, les hospitalisations
ainsi que sur les maladies pouvant affecter tous les systèmes du corps humain.
L'infirmier qui le représente témoigne que, pour un poste de psychologue en
santé mentale auprès d'adultes, l'employeur visait à s'assurer que le candidat
ne présentait aucune fragilité sur le plan psychologique susceptible de nuire à
sa capacité de venir en aide de manière sécuritaire à la clientèle. La
plaignante s'est désistée du processus de sélection même si elle avait été
retenue pour passer une seconde entrevue, en raison des difficultés qu'elle
entrevoyait à s'intégrer à une nouvelle équipe et du malaise ressenti à l'égard
des questions médicales posées. La Commission des droits de la personne et des
droits de la jeunesse allègue que le questionnaire médical rempli par la
plaignante en vue d'obtenir le poste de psychologue est discriminatoire au sens
des articles 10 et 18.1 de la charte, car il n'est pas fondé sur les aptitudes ou
qualités requises pour cet emploi. Elle soutient que l'employeur a porté
atteinte de façon discriminatoire aux droits au respect de la vie privée et à
la sauvegarde de la dignité de la plaignante de façon contraire aux
articles 4, 5 et 10 de la charte. La Commission requiert que le Tribunal
ordonne à l'employeur de réviser son questionnaire médical afin de le rendre
conforme à l'article 18.1 de la charte et qu'il ne soit exigé d'un postulant
qu'après qu'une offre d'emploi conditionnelle lui aura été présentée. Elle
réclame en faveur de la plaignante 8 000 $ à titre de dommages moraux
et 10 000 $ à titre de dommages punitifs. Par une demande de
modification de ses conclusions formulée avant que ne débutent les
argumentations des parties, elle a demandé au Tribunal d'ordonner à l'employeur
de ne plus conserver ni utiliser les questionnaires médicaux préembauche en
cause et de s'en défaire de manière sécuritaire. L'employeur a admis que le
questionnaire médical auquel avait répondu la plaignante en 2012 était discriminatoire
dans son ensemble, sans identifier de question précise. Il prétend que
l'audience ne devrait porter que sur l'attribution des dommages moraux et
punitifs réclamés. Il fait valoir qu'il s'est doté d'un nouveau questionnaire
en 2014. Il s'oppose à la demande de modification faite par la Commission.
Décision
Les principes devant guider l'analyse quant à la protection conférée par l'article 18.1 de la charte ont été énoncés dans Syndicat des infirmières, inhalothérapeutes, infirmières auxiliaires du Coeur-du-Québec (SIIIACQ) c. Centre hospitalier régional de Trois-Rivières (C.A., 2012-10-16), 2012 QCCA 1867, SOQUIJ AZ-50903445, 2012EXP-3839, 2012EXPT-2163, J.E. 2012-2051, D.T.E. 2012T-760, [2012] R.J.D.T. 837, ainsi que dans plusieurs décisions du Tribunal. Les tests écrits et les examens médicaux, y compris les questionnaires portant sur l'état de santé d'un candidat, font partie de la collecte d'informations visée par l'article 18.1 de la charte. Dans le contexte de cette disposition, la demanderesse doit établir, par prépondérance de preuve, que la victime a dû répondre à une ou à des questions portant sur l'un des motifs énumérés à l'article 10 de la charte. Comme cette preuve est à première vue établie, l'employeur peut justifier sa conduite en alléguant que ces renseignements sont utiles à l'application de l'article 20 de la charte, soit qu'ils sont requis dans un but rationnellement lié à l'exécution du travail en cause et qu'ils sont raisonnablement nécessaires pour réaliser ce but légitime (Centre hospitalier régional de Trois-Rivières, paragr. 68). Les questionnaires médicaux préembauche peuvent également porter atteinte au droit au respect de la vie privée des candidats protégé par l'article 5 de la charte et par les articles 3 et 35 du Code civil du Québec (C.C.Q.). De plus, les articles 37 à 40 C.C.Q. encadrent la collecte, l'utilisation et la communication des renseignements personnels. Les articles 54 et 64 de la Loi sur l'accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels s'appliquent également. Le droit à la sauvegarde de sa dignité prévu à l'article 4 de la charte peut aussi être atteint.
En l'espèce, vu l'admission de l'employeur, le Tribunal doit conclure que le questionnaire est discriminatoire dans son ensemble et qu'il contrevient aux articles 4, 5, 10 et 18.1 de la charte. Toutefois, la demande d'ordonnance de la Commission dépasse cette question ainsi que celle de l'attribution de dommages-intérêts à la plaignante. En vertu de l'article 80 de la charte, le Tribunal a le pouvoir d'agir dans l'intérêt public.
Lorsque le formulaire de demande d'emploi, l'entrevue et le questionnaire médical respectent les articles 18.1 et 20 de la charte, une contravention aux autres droits que sont la dignité, le respect de la vie privée et l'intégrité de la personne paraît peu probable. Cette conclusion ne vaut peut-être pas pour l'examen médical. En effet, il est difficile de concevoir qu'un tel examen puisse être considéré comme le prolongement du processus d'entrevue et qu'on le fasse passer à de simples postulants — qui n'ont d'ailleurs à ce titre le bénéfice d'aucune contrepartie — sans que cela porte atteinte à ces droits. Compte tenu de l'importance de l'empiétement sur les droits fondamentaux des candidats que constitue l'examen médical, certains auteurs de doctrine suggèrent qu'on ne puisse faire passer celui-ci à un candidat qu'à la suite d'une offre conditionnelle d'embauche. En l'espèce, on n'a fait passer aucun examen médical à la plaignante. Il demeure qu'un examen médical ne peut constituer un outil de sélection du personnel au même titre que l'est une entrevue ou un test écrit. Il ne doit pas servir à «embaucher seulement le candidat en parfaite santé qui représente le moins de risques d'absentéisme», conformément à ce qui est mentionné dans Centre hospitalier régional de Trois-Rivières. Il doit plutôt, dans le respect des dispositions des articles 18.1 et 20, permettre à l'employeur de s'assurer, à la lumière des informations communiquées par le candidat au cours des premières étapes du processus, que celui-ci peut occuper le poste convoité. De plus, puisque l'employeur a l'obligation de veiller à la santé et à la sécurité de ses employés, il pourra vouloir soumettre les candidats qui satisfont aux critères de l'emploi à un tel examen. En pareil cas, l'offre conditionnelle d'emploi constitue peut-être une solution efficace et respectueuse des obligations de l'un et des droits fondamentaux des autres.
Le questionnaire médical contient plusieurs questions reliées à deux motifs visés par l'article 10 de la charte, soit l'âge et le handicap, et elles ne sont pas directement et rationnellement en lien avec les aptitudes ou qualités requises pour un poste de psychologue. Il en est ainsi des questions sur l'âge du candidat, le nom de ses médecins traitants ou spécialistes, ou même le nom des autres professionnels de la santé consultés ainsi que des questions ouvertes sur les blessures, accidents, maladies, médicaments ou sur la revue systématique de tous les systèmes du corps humain. Ces questions constituent également une intrusion injustifiée dans la vie privée du postulant. Par question ouverte, il faut entendre une question à formulation très large exigeant des informations qui ne sont pas ciblées dans le temps. L'obtention de telles informations, sans relation avec les aptitudes ou les qualités requises pour exercer un emploi, contrevient à l'article 18.1 de la charte ainsi qu'aux droits protégés par les articles 4, 5 et 10. En l'espèce, obliger la plaignante à dévoiler une tachycardie de l'enfant et une hospitalisation ponctuelle était inutile et injustifié. Cela constituait une violation de son droit à l'égalité en emploi, fondée sur le handicap, ainsi qu'une atteinte discriminatoire à son droit à la sauvegarde de sa dignité et à celui au respect de sa vie privée.
Il est ordonné à l'employeur de réviser le questionnaire médical à l'égard d'un poste de psychologue afin qu'il soit conforme à l'article 18.1 de la charte. Il n'y a pas lieu de faire droit au volet de l'ordonnance relatif à l'exigence d'une offre conditionnelle d'embauche préalable à la demande de remplir un questionnaire médical. Le problème n'est pas vraiment relié au moment où l'on fait remplir un tel questionnaire, mais plutôt à son contenu. En effet, une question portant sur les motifs visés par l'article 10 de la charte peut être posée à un postulant dans le questionnaire médical, à la condition qu'elle soit reliée aux aptitudes ou qualités requises par le poste convoité. Quant à la demande de modification des conclusions de la demande introductive d'instance, qui vise non seulement les questionnaires médicaux remplis par la plaignante mais également tous ceux remplis par les employés de l'employeur, elle est tardive. La demande de modification est accueillie en partie à l'égard des questionnaires médicaux remplis par la plaignante, qui devront être détruits.
La plaignante se voit accorder 4 000 $ à titre d'indemnité pour compenser ses dommages moraux. Elle n'a pas droit à des dommages punitifs, car aucune atteinte illicite et intentionnelle de la part de l'employeur au sens de l'article 49 de la charte n'a été établie. Notamment, ce dernier ignorait lors de l'entrevue que son questionnaire contrevenait aux dispositions de la charte. La plaignante n'a pas exprimé non plus son malaise à l'égard du questionnaire aux membres du comité de sélection.
Le texte
intégral de la décision est disponible ici.
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