Avocate
Savonitto & associés Inc.
Les médias sociaux sont à la portée de tous et
représentent un moyen indéniable de rejoindre un public ciblé. Il convient de
se questionner quant à leur utilisation comme moyen de solliciter des anciens
clients ou des employés.
En présence d’une clause de non-sollicitation valide
et applicable (puisque respectant les paramètres définis par les tribunaux), est-ce
qu’il y a contravention à une telle clause lorsqu’un ancien employé utilise son
compte LinkedIn ou Facebook pour publiciser ses nouvelles fonctions ou nouveaux
services offerts afin de recruter d’ex-employés ou pour communiquer avec
d’anciens clients ?
Pour répondre à cette question, il convient d’abord de
rappeler les principes généraux en matière de contravention à des clauses de
non-sollicitation.
(a) Sollicitation de clientèle
Les tribunaux sanctionnent la sollicitation directe
nécessitant l’accomplissement d’un geste positif visant à amener une personne à
agir d’une certaine façon contrairement à la sollicitation indirecte qui est
une simple invitation générale et impersonnelle[1].
Ainsi, une annonce publicitaire, à la radio, dans les
journaux ou à la télévision ne constitue pas de la sollicitation directe[2].
Également, la sollicitation de clientèle nécessite la
preuve d’actes de sollicitation répétés et insistants[3].
(b) Sollicitation d’employés
La jurisprudence est à l’effet qu’il y a sollicitation
directe d’employés lorsque l’acte de
sollicitation vise à détourner les employés de leur occupation, provoquer leur
démission ou les convaincre de quitter leur emploi[4].
Le seul fait de présenter une offre
formelle d’emploi à d’anciens employés a été jugé comme constituant de la
sollicitation[5].
(c) Utilisation des médias sociaux
pour solliciter
Les principes mentionnés ci-dessus
ont été développés dans des cas où la sollicitation était effectuée par des
moyens traditionnels.
Prenons l’exemple d’une publication
dans un journal ou d’une publicité à la télévision. Il est clair dans ces cas
qu’il s’agit de sollicitation indirecte et d’invitation générale et impersonnelle.
Qu’en est-il d’une publication sur un
compte Facebook ou LinkedIn? Certes, ces plateformes touchent un public
beaucoup plus restreint qu’un journal.
La Cour supérieure du Québec dans les
décisions Exfo inc. c. Réseaux Accedian inc.[6]
et Groupe Vap inc. c. Gestion Hugo Devin inc.[7]
a été amenée à appliquer les principes développés par la jurisprudence à
des situations impliquant l’utilisation de médias sociaux.
Dans la l’affaire Exfo inc. c. Réseaux Accedian inc., un ancien employé d’Exfo à la recherche de
personnel pour sa nouvelle entreprise avait publié sur son compte LinkedIn «
PMP looking for 1 FPGA designer and 1 hardware technician ».
Au soutien de la demande en
injonction interlocutoire provisoire, Exfo plaidait que le réseau LinkedIn
permettait la sollicitation active.
L’honorable Claude Auclair, j.c.s., a
d’abord, conclu que LinkedIn était un réseau social accessible à tous, et non
un réseau privé, et qu’en l’absence de preuve que l’information avait été offerte
spécifiquement à des anciens employés, la Cour ne pouvait conclure à la
contravention de la clause de non-sollicitation.
Suivant cette décision, il appert que
les médias sociaux tels LinkedIn et Facebook sont des plateformes publiques et
qu’une annonce sur un profil ne s’adressant à personne en particulier ne
constitue pas de la sollicitation directe et active.
Cependant, on peut penser, comme le
soulèvent à juste titre les auteurs Me Luc Beaulieu et Me Philippe Levac[8],
que la conclusion de la Cour aurait été différente si l’information avait été
diffusée au sein d’un groupe de discussions qui, de par les sujets y étant
discutés, regroupait des employés de l’ex-employeur.
Dans cette décision récente, il était
question d’une contravention à un contrat de franchise lequel contenait des
clauses de non-concurrence. Toutefois, la demanderesse demandait dans les
conclusions de sa demande d’ordonnances de sauvegarde une ordonnance de
non-sollicitation.
La défenderesse Gestion Hugo Devin
inc. avait conclu un contrat de franchise avec la demanderesse pour une durée
de deux (2) ans, mais à son terme, la défenderesse avait décidé de ne pas
renouveler le contrat pour fonder sa propre entreprise.
À sa fermeture, elle avait publié sur
sa page Facebook que c’était à regret qu’elle fermait son commerce « E-VAP », qu’elle
remerciait sa clientèle de sa confiance et l’informait d’un « … nouveau projet
sur le feu … À suivre !!!! ».
Le lendemain de cette publication,
elle avait sur cette même page Facebook annoncé la poursuite de ses activités
dans les mêmes locaux et la réouverture pour le lundi 30 janvier 2017 avec « de
nouvelles gammes de produits tout aussi excellent (sic) et bon (sic) ».
En sus des clauses de
non-concurrence, la demanderesse plaidait l’interdiction de sollicitation en
vertu des règles de droit prohibant la concurrence déloyale.
L’honorable Michel Beaupré, j.c.s., a
d’abord conclu à l’absence d’une clause de non-sollicitation dans le contrat de
franchise.
Il a également conclu que la preuve
des publications sur Facebook ne permettait pas à la Cour, au stade d’une
demande d’ordonnances de sauvegarde, de conclure à une sollicitation de
clientèle illégale découlant d’une concurrence déloyale au sens du Code civil du Québec.
Cette décision est intéressante en ce
qu’elle aborde de la question de la page Facebook d’une entreprise et semble
indiquer que le fait d’annoncer sur la même page, la fermeture d’une franchise
et un nouveau projet dans une nouvelle entreprise pour la poursuite de ses
activités dans les mêmes locaux, ne répond pas aux critères développés par la
jurisprudence pour conclure à une sollicitation illégale et déloyale.
Nous aurions pu penser que cette page
Facebook visait spécifiquement les mêmes clients soit ceux de l’ancienne franchise
et que les deux annonces constituaient des gestes répétés. Cependant, dans ce
cas, la Cour, alors saisie d’une demande d’ordonnance de sauvegarde, et sans
procéder à une analyse détaillée des principes applicables en raison de
l’absence d’une clause de non-sollicitation valide, a mentionné qu’il y avait
absence de preuve d’actes de sollicitation constants, directs et
insistants.
Au surplus, nous pouvons nous
questionner à savoir si la situation suivante pourrait constituer de la
sollicitation illégale : un distributeur exclusif d’une marque de produits
qui met fin à son contrat de distribution, qui l’annonce sur la page Facebook
de son entreprise et, en même temps, qui fait une publication sur sa nouvelle
ligne de produits dans le même domaine.
D’un autre côté, si un ex-employé
diffusait ses nouveaux services sur la page Facebook de son ancien employeur,
est-ce que cela constituerait de la sollicitation ? Notons que ce dernier
cas est différent de la cause étudiée par la Cour dans la décision Groupe Vap inc. c. Gestion Hugo Devin inc.
(d) Conclusion
Bien que les décisions citées nous
éclairent en partie quant à la tendance que semblent prendre les tribunaux en
exigeant un seuil élevé de démonstration de sollicitation sur les médias
sociaux, la jurisprudence sur cette question demeure embryonnaire.
La jurisprudence à venir fournira
sûrement d’autres précisions quant aux normes acceptables d’utilisation des
réseaux sociaux pour solliciter des employés ou des clients.
Pensons notamment à l’ex-employé qui like systématiquement des publications
de son ancien client ou lui partage sans cesse ses publications pour fins de
visibilité.
[1] Frayne c. Shefteshy, 2016 QCCS
2090 ; Roulottes A. & S.
Lévesque (1993) inc. c. Lévesque,
2008 QCCS 4221.
[2] Note 1, précitée; Leclair c. Houle, J.E. 95-324 (C.S.).
[3] Frayne c. Shefteshy, 2016 QCCS 2090 ; Roulottes A. & S. Lévesque (1993) inc. c. Lévesque, 2008 QCCS 4221 ; Groupe Vap inc. c. Gestion Hugo Devin inc.,
2017 QCCS 542.;
[4] Martin Assurance et gestion de risques Inc. c. Trudel, J.E. 2002-1501 (C.S.).
[5] Valeurs mobilières Desjardins inc. c. Financière Banque Nationale inc., J.E. 2008-281 (C.A) ; Léonard c.
Girard [1999] R.J.D.T. 134 ;
[6] Exfo inc. c. Réseaux Accedian inc., 2011 QCCS 3767
[7] Groupe Vap inc. c. Gestion Hugo Devin inc.,
2017 QCCS 542
[8] Luc
BEAULIEU et Philippe LEVAC, «Les litiges qui découlent de l’usage des nouvelles
technologies en contexte d’emploi : quelques réflexions et perspectives
des employeurs », Mes amis facebook, moi
et mon emploi : l’arbitrage de grief à l’ère des réseaux sociaux,
Conférence des arbitres du Québec, Wilson & Lafleur, 2012, à la page 108 ;
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