Avocate
Dans la décision Ville de Chambly c.
9124-6215 Québec inc., 2017
QCCS 1475, la Ville de Chambly revendique la propriété d’un lot constitué d’un
chemin public, dont l’entretien a été délaissé, mais qui selon la Ville demeure
destiné à l’utilité publique. La Ville demande la radiation des inscriptions de
transfert des droits de propriété à l’encontre du lot.
Il y a quatre questions en litige :
1) Le Lot
est-il un chemin public qui appartient initialement à la Ville ?
2) Le Lot
fait-il partie du domaine public de la Ville et par conséquent, est-il
imprescriptible ?3) 9323 a-t-elle acquis le Lot par prescription acquisitive ?
4) Le recours de la Ville est-il prescrit ?
Dans le présent résumé, nous identifions les extraits pertinents du jugement.
Analyse et décision
Le Lot est-il un chemin public qui appartient initialement
à la Ville ?
[15] La Ville doit établir que le Lot constitue un chemin
municipal qui fait partie de son patrimoine public.
L’ouverture du
Lot
[16] L’ouverture du Chemin de la Grande Ligne
est instaurée par procès-verbal du député-grand voyer du district de
Montréal, daté du 14 septembre 1804, pour permettre l’accès aux terres bornées par la ligne
seigneuriale, entre la Rivière Richelieu et la petite Rivière de Montréal. Sous
le régime français, la charge d’établir et d’ouvrir des chemins et routes est
confiée au Grand Voyer de la Nouvelle-France, assisté par des députés-grands
voyers. Le procès-verbal est homologué le 22 octobre 1804.
[17] L’homologation
du procès-verbal vaut déclaration de
publicité et entraîne une présomption de propriété du chemin par la
municipalité :
Du fait qu’il [le procès-verbal] permet d’établir
l’affectation publique du chemin, il en découle, tout au moins, une présomption
de propriété au profit de la corporation municipale.
(Nous soulignons)
Le caractère
public du Lot
[22] La
preuve documentaire démontre de
manière prépondérante qu’avant la construction de l’autoroute 10 en 1964, le Lot est considéré comme une route
publique faisant partie du Chemin de la Grande Ligne.
[23] Le
dernier acte de vente notarié portant sur une portion du lot 270, conclu avant
la construction de l’autoroute 10 en 1964, est daté de 1959 et réfère au plan
préparé par W.P. Laroche, Q.L.S. daté du 20 octobre 1955. L’acheteur est Montreal-Chambly
Development Corp. Autant l’acte de vente que le plan font référence à une route
publique ("public road") qui sert de repère pour décrire
l’emplacement du lot vendu et qui en borne certaines portions. Les actes
antérieurs font mention soit du Chemin de la Grande Ligne ou de la route
publique.
[...]
[...]
[29] Le Lot
étant initialement une route publique, propriété de la Ville, le Tribunal doit
déterminer s’il fait partie du domaine public de la Ville et s’il est, par
conséquent, imprescriptible.
(Nous soulignons)
Le Lot fait-il
partie du domaine public de la Ville et par conséquent, est-il
imprescriptible ?
Les principes
juridiques applicables
[30] Les
biens acquis par une municipalité font partie de son patrimoine.
[31] Seuls les biens qui font partie du domaine
public sont insaisissables : nul ne peut s’approprier les biens d’une
municipalité affectés à l’utilité publique et de tels biens sont
imprescriptibles. Nul ne peut
s’approprier par occupation, prescription ou accession une terre
acquise du domaine de l’État par une municipalité, tant que la municipalité en
est propriétaire.
[32] Pour qu’un bien fasse partie du domaine
public de la municipalité, il faut
qu’il soit affecté à l’utilité publique. La Cour d’appel confère au test
d’utilité publique une interprétation large et libérale.
[...]
[...]
[37] Pour
faire sortir un bien du domaine public, la Ville doit suivre les formalités
prévues par la loi. Pour un chemin, la procédure formelle de fermeture par la
voie d’un règlement ou d’une résolution s’impose et ne constitue pas une
formalité facultative.
(Nous soulignons)
9323 a-t-elle acquis le Lot par prescription
acquisitive décennale ?
[46]
Tenant compte de la décision relative à l’imprescriptibilité du Lot, cet
argument de 9323 fondé sur la prescription acquisitive, soulevé par demande
reconventionnelle, est sans fondement.
Néanmoins, le Tribunal analyse la preuve soumise à cet
égard.
Les principes
juridiques applicables
[47] La prescription acquisitive décennale d’un
immeuble est un moyen d’acquérir un
droit de propriété par l’effet de la possession qui, pour produire ses
effets, doit être paisible, continue, publique et non équivoque.
[48] La
possession, qui est une question de fait, requiert la réunion des éléments
suivants :
L’exercice de fait d’un droit réel (le corpus ou
l’élément matériel) ;
L’intention de se comporter comme le titulaire d’un
droit réel exercé (l’animus ou l’élément intellectuel).
[49] En
présence de l’élément matériel, l’animus se présume; il appartient donc à la
partie qui soutient que la possession est entachée d’un vice, d’en faire la
preuve.
[50] La
bonne foi n’est pas une condition requise à l’exercice d’une possession utile à
la prescription.
[...]
[...]
[54]
La preuve ne révèle pas que 9323 et 9124
se comportent en véritables propriétaires du Lot. Malgré la précarité de
leur titre, tenant compte des réserves clairement exprimées aux actes de vente
de 2008 et de 2015, elles n’entreprennent aucune démarche auprès des autorités
municipales afin d’obtenir confirmation de leur droit de propriété.
(Nous soulignons)
Le recours de
la Ville est-il prescrit ?
[60] Dans
l’arrêt Dion c. Ouellet-Latulippe, la Cour d’appel rappelle le principe de
perpétuité du droit de propriété
selon lequel celui-ci ne peut s’éteindre
par non-usage ni par prescription extinctive :
Le moyen relatif à la prescription extinctive du
recours est sans fondement.
Le jugement entrepris est déclaratoire. Il
reconnaît le droit de propriété de l'intimée. En raison de la nature
perpétuelle de ce droit, le recours de l'intimée est imprescriptible.
Comme le note l'auteur Martineau, le droit de propriété ne se perd pas par l'effet
de la prescription extinctive. Bref, le délai de l'intimée à introduire
sa requête en prescription acquisitive n'a aucune conséquence sur son droit de
propriété.
[61] Ce
raisonnement est applicable en l’espèce. Le recours de la Ville est de nature
déclaratoire et le Tribunal reconnaît, au terme de la preuve soumise, le droit
de propriété de la Ville sur le Lot. Son recours est imprescriptible.
[62] Le
Tribunal conclut que la Ville est propriétaire du Lot, que celui-ci est
imprescriptible et que les inscriptions au registre foncier des titres de
propriété de 9124, de 9323 et de leurs auteurs doivent être radiées.
(Nous soulignons)
Ainsi, le
Tribunal confirme que la Ville de Chambly est propriétaire du lot.
La décision se trouve ici.
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