Par Randa Fakhoury
Avocate
Dunton Rainville
S.E.N.C.R.L.
Dans le présent
résumé, nous abordons les principes de l’autorité de la chose jugée. Plus
précisément, il s’agit d’un résumé de la décision de la Cour supérieure sur l’autorité
de la chose jugée, Lupien c. Aumont, 2017 QCCS 3998.
Faits
Le demandeur, Marc Lupien,
intente une poursuite, le 29 décembre 2006, contre deux policiers, alors
employés à la municipalité de Sainte-Adèle (ci‑après « Premier recours »).
Il est d’avis que ces
policiers ont abusivement exécuté un mandat de perquisition à sa résidence de
Sainte-Adèle et ont usé d’une force excessive lors de son arrestation en le
menottant et en le détenant sans motif valable. Également, il soumet que des
accusations criminelles injustifiées ont été portées contre lui.
En vertu de l’article 168
(1) du Code de procédure civile, les
défendeurs demandent le rejet de cette poursuite au motif de chose jugée
invoquant un jugement rendu par l’honorable juge Jean-Yves Lalonde dans un
dossier le 19 octobre 2016 (ci‑après « Deuxième recours »), lequel a été intenté le 30 janvier 2009
et impliquait les mêmes parties et un second policier.
Question en litige
Le Premier recours en
justice de Lupien intenté le 29 décembre 2006 doit-il être rejeté au motif
qu’il y aurait chose jugée ?
Analyse
L’article 2848 du Code civil du Québec définit l’autorité
de la chose jugée comme suit :
« L’autorité
de la chose jugée est une présomption absolue; elle n’a lieu qu’à l’égard de ce
qui a fait l’objet du jugement, lorsque la demande est fondée sur la même cause
et mue entre les mêmes parties, agissant dans les mêmes qualités, et que la
chose demandée est la même.
Cependant, le
jugement qui dispose d’une action collective a l’autorité de la chose jugée à
l’égard des parties et des membres du groupe qui ne s’en sont pas exclus. »
L’autorité de la chose
jugée vise à préserver l’ordre public, mais aussi à protéger les intérêts
privés.
L’auteur Jean-Claude Royer
nous enseigne que la présomption légale découlant de l’article 2848 du C.c.Q.
empêche le renouvellement de la continuation des litiges, assure la stabilité
des rapports sociaux et évite des jugements contradictoires.
La Cour suprême du Canada a
édicté dans la cause Roberge c. Bolduc,
[1991] 1 RCS 374, pour qu’un jugement ait la force de chose
jugée, il doit être conforme aux critères suivants :
a) Le Tribunal
doit avoir compétence
b) Le jugement
doit être définitif
Le juge Lalonde,
en l’espèce, considère que les critères susmentionnés sont remplis, d’autant
plus que la demande de pourvoi à la Cour suprême du Canada dans le Deuxième recours
a été refusée.
Il importe aussi
de noter que le jugement sur lequel s’appuie la demande en irrecevabilité doit
respecter la triple identité afin que l’autorité de la chose jugée lui soit
conférée relativement aux procédures attaquées. La triple identité comprend
l’identité des parties, d’objet et de cause.
En l’instance, l’identité
des parties est acquise. Bien qu’un policier ait été ajouté dans le
Deuxième recours, cela n’a pas pour effet de repousser la présomption de chose
jugée. Cette dernière doit s’apprécier par rapport aux acteurs communs aux deux
litiges.
La Cour d’appel
dans la cause Pesant c. Langevin ((1926) 41 B.R. 412) nous
apprend que pour déterminer s’il y a ou non identité d’objet, il faut
se questionner si le tribunal est exposé à contredire un jugement qui a été
rendu antérieurement.
Dans le dossier en
l’espèce, le juge Lalonde se dit devoir se pencher sur la preuve relative à
l’exécution du mandat de perquisition, la notion de force excessive lors de
l’arrestation, la détention du demandeur et les accusations criminelles
injustifiées portées contre lui.
Or, dans le
Deuxième recours le juge s’est prononcé sur ces quatre mêmes objets.
Il est donc clair
que le demandeur s’attend à un résultat différent au regard des mêmes objets.
Ceci impliquerait forcément d’exposer le tribunal à contredire le jugement
existant.
De plus, le Premier
recours, en l’espèce, ne soulève pas de questions nouvelles par rapport au
Deuxième recours.
Également, pour
qu’il y ait identité d’objet, il faut que l’objet de la procédure attaquée (Premier
recours) soit implicitement inclus dans l’objet de la procédure qui a déjà été
adjugée.
Le demandeur, en
l’instance, cherche à obtenir dans les deux dossiers de Cour l’indemnisation
intégrale de son préjudice.
La Cour nous
explique où se trouve la distinction entre les deux recours :
[23]
La seule différence réside dans le fait que Lupien dans la présente instance
(700-17-003908-075) réclame une indemnité pour atteinte à sa réputation, alors
que dans le recours adjugé (700-17-005937-098) il recherchait une compensation
pour « humiliation ». Le Tribunal est d’avis que cette
variation n’est pas en soi suffisante pour distinguer les deux demandes en ce
qui a trait à l’objet. La réclamation pour atteinte à la réputation est
implicitement comprise dans l’objet de la réclamation pour « humiliation »
et l’inverse est aussi vrai.
Malgré cette différence, il
ressort toutefois que ce que réclame le demandeur c’est la réparation d’un seul
et même préjudice et conséquemment, il y a bel et bien identité d’objets entre
les deux recours.
En ce qui a trait à l’identité
de la cause, nous commencerons par définir la cause qui est un fait juridique ou matériel et qui constitue le
fondement direct et immédiat du droit réclamé.
La Cour, au paragraphe 30
de la décision, exprime que les faits à l’origine des deux causes sont
essentiellement les mêmes, soit :
-
Le présumé vol d’un camion qui se trouvait sur la propriété de
Lupien ;
-
L’obtention d’un mandat de perquisition ;
-
L’exécution abusive du mandat de perquisition ;
- L’usage abusif de la
force par les policiers lors de l’arrestation de Lupien ;
-
La détention illégale et injustifiée de Lupien ;
-
Les accusations criminelles non fondées.
Puisque les deux dossiers révèlent que le demandeur invoque les mêmes faits
et reprochent les mêmes fautes aux policiers, les deux dossiers ont le même
fondement factuel et juridique. Ainsi, l’essence de la qualification juridique
des faits allégués dans chacun des recours est identique concluant à l’identité
de cause.
Au vu de la présence d’une triple identité, soit des parties, d’objet et de
cause, le demandeur ne peut pas revisiter sa cause d’action contre les
défendeurs puisque la chose jugée y fait obstacle.
À la lumière de ce qui précède, le juge Lalonde accueille la demande en
irrecevabilité pour motif de chose jugée et rejette la demande introductive
d’instance du Premier recours.
La décision se trouve ici.
Aucun commentaire:
Publier un commentaire
L'équipe du Blogue vous encourage à partager avec nous et nos lecteurs vos commentaires et impressions afin d'alimenter les discussions sur le Blogue. Par ailleurs, prenez note du fait qu'aucun commentaire ne sera publié avant d'avoir été approuvé par un modérateur et que l'équipe du Blogue se réserve l'entière discrétion de ne pas publier tout commentaire jugé inapproprié.