PÉNAL (DROIT) :
Dans le contexte d'une requête pour ordonnance de non-publication présentée par
l'appelante relativement aux renseignements la visant contenus dans une
dénonciation ayant servi à la délivrance d'un mandat de perquisition à son
endroit, les principes établis dans Flahiff c. Bonin (C.A.,
1998-01-08), SOQUIJ AZ-98011109, J.E. 98-334, [1998] R.J.Q. 327, ne peuvent
être écartés sous prétexte que cette dernière ne fait pas l'objet d'accusations
criminelles et que, en conséquence, son droit à un procès équitable ne serait
pas enfreint.
2017EXP-2577
Intitulé : Savard c. La Presse ltée, 2017 QCCA 1340
Juridiction : Cour d'appel (C.A.), Montréal, 500-10-006358-178
Décision de : Juges Dominique Bélanger, Jean-François Émond et Mark Schrager (diss.)
Date : 11 septembre 2017
Références : SOQUIJ AZ-51423413, 2017EXP-2577 (18 pages)
Résumé
PÉNAL (DROIT) —
procédure pénale — procédure fédérale — recours extraordinaire — certiorari —
ordonnance interdisant l'accès aux renseignements (art. 487.3 C.Cr.) —
dénonciation — mandat de perquisition — enquête policière en cours — absence
d'accusation criminelle — application du test établi dans Dagenais c.
Société Radio-Canada (C.S. Can., 1994-12-08), SOQUIJ AZ-95111005, J.E.
95-30, [1994] 3 R.C.S. 835, et dans R. c. Mentuck(C.S. Can.,
2001-11-15), 2001 CSC 76, SOQUIJ AZ-50104926, J.E. 2001-2142, [2001] 3 R.C.S.
442.
PÉNAL (DROIT) —
garanties fondamentales du processus pénal — droit à un procès juste et
équitable — présomption d'innocence — caractère public des audiences — recours
extraordinaire — certiorari — ordonnance interdisant l'accès
aux renseignements (art. 487.3 C.Cr.) — dénonciation — mandat de
perquisition — enquête policière en cours — absence d'accusation criminelle —
application du test établi dans Dagenais c. Société Radio-Canada(C.S.
Can., 1994-12-08), SOQUIJ AZ-95111005, J.E. 95-30, [1994] 3 R.C.S. 835, et
dans R. c. Mentuck (C.S. Can., 2001-11-15), 2001 CSC 76,
SOQUIJ AZ-50104926, J.E. 2001-2142, [2001] 3 R.C.S. 442.
DROITS ET LIBERTÉS
— droits et libertés fondamentaux — pensée, opinion et expression — liberté
d'expression — liberté de presse — caractère public des audiences —
dénonciation — mandat de perquisition — ordonnance interdisant l'accès aux
renseignements (art. 487.3 C.Cr.) — enquête policière en cours — absence
d'accusation criminelle — application du test établi dans Dagenais c.
Société Radio-Canada (C.S. Can., 1994-12-08), SOQUIJ AZ-95111005, J.E.
95-30, [1994] 3 R.C.S. 835, et dans R. c. Mentuck (C.S. Can.,
2001-11-15), 2001 CSC 76, SOQUIJ AZ-50104926, J.E. 2001-2142, [2001] 3 R.C.S.
442.
Pourvoi contre un jugement de la Cour
supérieure ayant rejeté une requête pour délivrance d'un bref de certiorari à
l'encontre d'un jugement de la Cour du Québec qui avait rejeté une requête pour
ordonnance de non-publication. Accueilli, avec dissidence.
Le 9 janvier 2017, la Cour
supérieure a rejeté une requête pour délivrance d'un bref de certiorarià
l'encontre d'un jugement de la Cour du Québec. Ce dernier, rendu le 25 novembre
2015, a rejeté la requête pour ordonnance de non-publication présentée par
l'appelante, laquelle occupe la fonction d'ombudsman de la Ville de Montréal,
relativement aux renseignements la visant contenus dans une dénonciation ayant
servi à la délivrance d'un mandat de perquisition à son endroit. La
perquisition cherchait à faire la lumière sur des allégations d'abus par
l'appelante relativement à des fonds publics.
Décision
Mme la juge Bélanger, à l'opinion de laquelle souscrit le
juge Émond: Les principes établis dans Flahiff c. Bonin (C.A.,
1998-01-08), SOQUIJ AZ-98011109, J.E. 98-334, [1998] R.J.Q. 327, ne peuvent
être écartés sous prétexte que l'appelante ne fait pas l'objet d'accusations
criminelles et que, en conséquence, son droit à un procès équitable ne serait
pas enfreint. Même en l'absence de certitude que l'accusée subira son procès,
une demande de certiorari doit être accordée. En fait, tant et
aussi longtemps que l'enquête policière est en cours, la prudence est de mise
et il est approprié de protéger les droits éventuels de l'appelante. D'autre
part, tel qu'il est énoncé dans Toronto Star Newspapers Ltd. c. Ontario (C.S.
Can., 2005-06-29), 2005 CSC 41, SOQUIJ AZ-50320845, J.E. 2005-1234, [2005] 2
R.C.S. 188, le critère de Dagenais-Mentuck (soit que, pour écarter la
présomption de publicité des procédures judiciaires, un tribunal compétent doit
conclure, dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, que la divulgation
serait préjudiciable aux fins de la justice ou nuirait indûment à la bonne
administration de la justice) est applicable à chacune des étapes du processus
judiciaire, même avant le dépôt d'accusations criminelles (Dagenais c.
Société Radio-Canada (C.S. Can., 1994-12-08), SOQUIJ AZ-95111005, J.E.
95-30, [1994] 3 R.C.S. 835, et R. c. Mentuck (C.S. Can.,
2001-11-15), 2001 CSC 76, SOQUIJ AZ-50104926, J.E. 2001-2142, [2001] 3 R.C.S.
442). La contrepartie de ce postulat est qu'il faut tenir compte des droits,
même éventuels, des personnes faisant l'objet d'enquêtes. En l'espèce, une
interdiction temporaire de publication assurera à l'appelante la préservation
de son droit à un procès équitable, le cas échéant. En effet, l'information
contenue à la dénonciation constitue du ouï-dire, n'a pas été vérifiée par
l'enquêteur et a été donnée par des personnes qui ont des raisons apparentes
d'en vouloir à l'appelante. La dénonciation est incriminante et très
préjudiciable et l'appelante n'a aucun moyen de la contredire à ce stade des
procédures. Par ailleurs, cette dernière bénéficie de la présomption
d'innocence. Or, les fins de la justice requièrent que les procès soient tenus
devant les tribunaux et non dans les médias, traditionnels ou sociaux, avant
même que les enquêtes policières ne soient terminées. En conséquence, une
ordonnance d'interdiction de publication du contenu des dénonciations au
soutien de la demande de mandat de perquisition doit donc être délivrée. Cette
interdiction temporaire devrait prendre fin au moment où une décision sera
prise au sujet du dépôt ou non d'accusations contre l'appelante découlant des
dénonciations en cause.
M. le juge Schrager, dissident: Le juge de la Cour supérieure
n'a pas erré en concluant que le seul risque que pose la publication des
informations en litige est celui d'une atteinte à la réputation personnelle de
l'appelante, ce qui ne constitue pas un risque à caractère public justifiant la
protection des tribunaux selon les critères articulés dans Dagenais-Mentuck. De
plus, le juge n'a pas commis d'erreur révisable en déterminant que l'arrêt Flahiff n'exigeait
pas nécessairement, à l'occasion de toute demande, l'examen de la force
probante des renseignements au soutien de la délivrance du mandat de
perquisition. En fait, cette affaire s'est révélée une situation qui concorde
avec le test élaboré dans Mentuck. Aucun principe différent n'y est
établi. D'autre part, l'article 487.3 (2) du Code criminel prévoit
que le préjudice causé à une personne innocente par la publication des
informations doit être susceptible de constituer un préjudice aux fins de la
justice pour justifier une ordonnance de non-publication. Or, bien qu'une
personne qui n'est pas accusée puisse faire valoir, aux fins de
Dagenais-Mentuck, le risque de porter préjudice à l'équité du procès,
l'éventualité d'un procès devant jury paraît éloignée en l'espèce. Pour
invoquer avec succès un tel risque, celui-ci devrait être envisagé dans un
délai relativement rapproché, tout en gardant à l'esprit que l'équité du procès
n'exige pas nécessairement une absence totale de publication à ce stade. Par
ailleurs, même s'il fallait conclure à l'existence d'un préjudice à la saine
administration de la justice découlant de la publication des informations
litigieuses, les juges saisis de l'affaire n'ont pas commis d'erreur révisable
lorsqu'ils ont appliqué la deuxième étape du test de Dagenais-Mentuck. Ceux-ci
ont conclu que les effets bénéfiques de la publication étaient plus importants
que ses effets préjudiciables en raison du fait que la publication de la
dénonciation permettra de démontrer que les forces policières enquêtent sur
toutes les allégations relatives au détournement de fonds publics,
particulièrement celles mettant en cause des hauts fonctionnaires. Ce souci de
transparence dans le contexte actuel au Québec est bénéfique et milite en faveur
de la publication. Enfin, la nature temporaire de l'ordonnance recherchée ne
suffit pas à démontrer sa justesse. La présomption d'innocence et la publicité
des débats judiciaires qui se concrétisent notamment par l'exercice de la
liberté d'expression journalistique sont des composantes essentielles d'un
processus judiciaire équitable. La tension entre les deux est constante. Or, le
test Dagenais-Mentuck n'est ni plus ni moins que l'outil nécessaire pour
résoudre, au cas par cas, cette tension. En l'espèce, cette résolution
privilégie la publicité. En conséquence, l'appel doit être rejeté.
Instance précédente : Juge Michel Pennou, C.S., Montréal, 500-36-007901-153, 2017-01-09, 2017
QCCS 678, SOQUIJ AZ-51363632.
Réf. ant : (C.S., 2017-01-09), 2017 QCCS 678, SOQUIJ AZ-51363632; (C.A.,
2017-01-30), 2017 QCCA 108, SOQUIJ AZ-51361103; (C.A., 2017-02-06), 2017 QCCA
226, SOQUIJ AZ-51364707.
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