TRAVAIL : Le Directeur des poursuites criminelles et
pénales, qui a fait preuve de discrimination fondée sur la grossesse en
refusant d'accorder un poste à une avocate parce qu'elle était enceinte, doit
lui attribuer ce poste.
2018EXPT-1343
Intitulé : Association des procureurs aux poursuites criminelles et pénales et
Directeur des poursuites criminelles et pénales, 2018 QCCFP 20
Juridiction : Commission de la fonction publique (C.F.P.), 1301760
Décision de : Nour Salah, juge administrative
Date : 15 juin 2018
Références : SOQUIJ AZ-51503650, 2018EXP-1908, 2018EXPT-1343 (16 pages)
Résumé
TRAVAIL — fonction publique provinciale — emploi et rémunération — avis
de mésentente — attribution de poste — refus d'embauche — avocate — Directeur
des poursuites criminelles et pénales — disponibilité — discrimination —
grossesse — avis de mésentente accueilli.
DROITS ET LIBERTÉS — droit à
l'égalité — actes discriminatoires — emploi — refus d'embauche — avocate —
fonction publique provinciale — Directeur des poursuites criminelles et pénales
— attribution de poste — discrimination — grossesse.
DROITS ET LIBERTÉS — droit à
l'égalité — motifs de discrimination — grossesse — emploi — refus d'embauche —
attribution de poste.
Avis de mésentente
contestant un refus d'attribution de poste. Accueilli.
La plaignante, une
avocate du bureau du Directeur des poursuites criminelles et pénales, a postulé
un poste au Service de la gestion des biens dans le contexte d'une
réorganisation administrative. À ce moment, elle occupait un poste d'avocate
dans ce service depuis environ 8 ans, elle exerçait des fonctions
similaires et elle était enceinte. À l'occasion de l'entrevue, le comité de
sélection a posé une question à toutes les candidates sur la date de leur
disponibilité pour entrer en poste. On a également demandé à la plaignante si
elle s'absentait pour un court congé de maternité ou un long et on l'a
interrogée sur son état de santé et de grossesse. L'Association des procureurs
aux poursuites criminelles et pénales, qui représente la plaignante, allègue
que la décision de l'employeur de refuser d'attribuer le poste à cette dernière
constitue de la discrimination basée sur la grossesse, violant ainsi la Charte
des droits et libertés de la personne. De façon subsidiaire, l'Association
soutient que le fait de ne retenir que la performance à titre de critère de
sélection lors de l'entrevue est un exercice abusif des droits de direction.
Elle demande que la décision de l'employeur soit annulée, que la plaignante
soit confirmée à titre de titulaire du poste et que des dommages-intérêts lui
soient accordés. De son côté, l'employeur prétend qu'il n'y a pas eu de
discrimination à l'endroit de la plaignante. Selon lui, elle n'était pas la
meilleure candidate. Seule la grille d'évaluation de l'entrevue d'embauche a
été déposée à l'audience. Aucune note d'entrevue ou de délibération n'est
disponible, ni les critères de sélection appliqués.
Décision
Les articles 4, 10 et 16 de la charte interdisent toute forme de
discrimination fondée sur la grossesse et en raison de l'indisponibilité causée
par la grossesse.
Conformément aux critères de Québec (Commission des droits de la personne et
des droits de la jeunesse) c. Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre
de formation), (C.S. Can., 2015-07-23), 2015 CSC 39, SOQUIJ AZ-51198416,
2015EXP-2203, J.E. 2015-1228, [2015] 2 R.C.S. 789, l'Association a réussi à
établir, de prime abord, la probabilité d'un lien entre le refus d'attribuer le
poste à la plaignante et un motif de discrimination interdit, soit la
grossesse. Tous les membres du comité de sélection savaient que celle-ci était
enceinte. La question de la disponibilité a été soulevée à l'occasion de
l'entrevue. Même si cette question est posée à toutes les candidates et fait
partie des questions habituelles, les autres questions adressées à la
plaignante ont trait à sa grossesse et ne sont pas habituelles. Demander à la
plaignante la nature du congé qu'elle prendra, soit le congé court ou le congé
long, est inapproprié pendant une entrevue de sélection. Des questions aussi
délicates que celles sur l'état de santé et de grossesse ne devraient jamais
être posées au cours d'une telle entrevue, même si les gens se connaissent. La
question en cause est illicite et injustifiée. En outre, le commentaire émis
par l'une des membres du comité de sélection quand la plaignante l'a prévenue
de sa candidature pour le poste, soit «tu ne peux pas, tu ne seras pas là», est
illicite et discriminatoire. D'ailleurs, dans Commission scolaire
Jean-Rivard c. Commission des droits de la personne (C.A., 1999-10-14),
SOQUIJ AZ-50067727, J.E. 99-2051, D.T.E. 99T-1012, la Cour a estimé qu'une
réaction ou un commentaire lié à un motif interdit de discrimination pouvait
être considéré comme suspect lorsqu'il était suivi d'une distinction ou d'une
exclusion. Cela est suffisant en soi pour établir une preuve, à première vue,
de discrimination.
D'autre part, il est suffisant que la grossesse de la plaignante ait été un
facteur dans l'exclusion; il n'est pas essentiel que ce lien soit exclusif et
que l'employeur ait fondé sa décision uniquement sur le motif prohibé. La
grossesse de la plaignante doit avoir contribué à la décision de l'employeur de
ne pas lui attribuer le poste pour que cela soit considéré comme discriminatoire.
L'intention discriminatoire de l'employeur n'est pas requise pour démontrer
l'existence d'une discrimination de prime abord, puisqu'il se peut que les
gestes ou comportements discriminatoires reposent sur plusieurs facteurs et
soient inconscients.
La discrimination à première vue fondée sur la grossesse ayant été établie, le
fardeau de la preuve est renversé, et le deuxième volet de l'analyse nécessite
que l'employeur puisse justifier sa décision. Celui-ci peut invoquer les
exemptions prévues par la charte ou celles établies par la jurisprudence.
L'employeur ne souhaite pas faire la preuve d'une exigence professionnelle
justifiée ni la preuve d'une contrainte excessive. Il soutient plutôt que le
refus de la candidature de la plaignante est fondé sur des compétences
professionnelles. Même si l'employeur, notamment en vertu de l'article 6-2.05
de l'Entente relative aux conditions de travail des procureurs aux
poursuites criminelles et pénales, est libre de choisir le candidat qui
répond aux exigences du poste selon le mode qu'il détermine, il doit démontrer
que le refus d'embauche et la sélection d'un autre candidat sont raisonnables
et se fondent sur des motifs légitimes. En l'espèce, l'employeur n'a pas
repoussé la présomption de discrimination.
La décision de l'employeur est également déraisonnable. En effet, il est
inconcevable que la seule justification pour ne pas attribuer l'emploi convoité
à la plaignante repose sur sa mauvaise performance à l'entrevue alors que c'est
la candidate la plus expérimentée et la plus compétente pour l'emploi au
Québec. Ses évaluations de rendement en témoignent. Les dires des membres du
comité de sélection reposent sur des impressions. Le processus de sélection n'a
pas été suivi de manière rigoureuse. Les raisons invoquées par l'employeur ne
sont que des prétextes et la disponibilité de la plaignante a joué un grand
rôle dans la décision de celui-ci. L'employeur a refusé le poste à la
plaignante en raison de sa grossesse.
Pour ce qui est des mesures de réparation, la Commission de la fonction
publique (CFP) a les pouvoirs nécessaires pour se prononcer sur un litige en
relations du travail et pour accorder les réparations fondées sur la charte. De
plus, l'article 119 de la Loi sur la fonction publique lui confère de
vastes pouvoirs. N'eût été la discrimination fondée sur la grossesse dont a été
victime la plaignante, cette dernière aurait obtenu le poste. Même si le droit
de l'employeur de choisir est certain, il est reconnu par la doctrine et la
jurisprudence que ce droit de direction ne peut être exercé de façon abusive,
déraisonnable et de mauvaise foi. En plus d'être discriminatoire, la décision
de l'employeur était abusive. En vertu de l'article 119 de la loi, la CFP peut
rendre une ordonnance appropriée afin de sauvegarder les droits de la
plaignante. Pour mettre fin à une atteinte ou corriger et empêcher la
perpétuation de situations incompatibles avec la charte, il y a lieu de
chercher la mesure la plus appropriée «compte tenu de l'intérêt public». Il
faut prendre en considération les événements. La manière la plus adéquate de
corriger l'atteinte subie par la plaignante est la réparation en nature, soit
l'attribution du poste à celle-ci.
Le texte intégral
de la décision est disponible ici
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