Congédiement
annulé malgré une altercation « violente » au travail !
DROIT DU TRAVAIL: Dans le cadre de plaintes pour pratique interdite et congédiement sans cause juste et suffisante (art. 122 et 124 de la Loi sur les normes du travail, ci-après LNT), le Tribunal administratif du travail (ci-après TAT) a eu à déterminer si une altercation violente entre le propriétaire d’une entreprise et une salariée constituait une cause juste et suffisante de congédiement.
DROIT DU TRAVAIL: Dans le cadre de plaintes pour pratique interdite et congédiement sans cause juste et suffisante (art. 122 et 124 de la Loi sur les normes du travail, ci-après LNT), le Tribunal administratif du travail (ci-après TAT) a eu à déterminer si une altercation violente entre le propriétaire d’une entreprise et une salariée constituait une cause juste et suffisante de congédiement.
**Le présent article est rédigé en coopération avec
Madame Andra Liciu dans le cadre du programme Pro Bono Students Canada.
L’auteur tient à remercier Madame Liciu pour sa précieuse collaboration.**
LES FAITS
Depuis 25 ans, Madame Roberge, la demanderesse,
travaille pour le Pavillon St-Gabriel en tant que préposée aux bénéficiaires. À
l’occasion, elle s’occupe aussi de l’administration de l’entreprise en payant
des fournisseurs ou en prenant les rendez-vous des patients. Au cours des 6
dernières semaines, elle a travaillé sous la supervision directe de monsieur Adams,
le propriétaire de l’entreprise.
À plusieurs reprises au cours des années, la
demanderesse s’est opposée à son patron sur la gestion de la résidence. Parfois,
le ton monte entre les deux individus, mais aucune suite disciplinaire n’est
donnée par l’employeur.
Le 17 mai 2016, une nouvelle altercation a eu lieu,
mais celle-ci se dégrade sérieusement. À cet effet, les témoignages des deux
protagonistes sont contradictoires alors que le témoignage d’une autre employée
a une valeur probante faible (par. 42). Le ton monte rapidement entre la demanderesse
et monsieur Adams : des jurons sont proférés de part et d’autre, monsieur
Adams aurait suivi la demanderesse qui, se sentant piégée, l’aurait poussé et
aurait lancé des boîtes d’œufs dans sa direction. À la suite de cette
altercation, la demanderesse se serait enfermée dans son bureau en pleurant et
aurait rédigé une lettre de démission. De son côté, monsieur Adams se serait
lui aussi enfermé dans son propre bureau, car il craignait pour sa sécurité.
La demanderesse aurait tenté de remettre sa lettre de
démission la journée même, mais n’aurait pas reçu de réponse après avoir cogné
à la porte du bureau de monsieur Adams. Elle aurait donc remis sa lettre de
démission à une collègue de travail. Le lendemain, elle consulte un médecin qui
lui prescrit un arrêt de travail. Elle aurait subséquemment appelé sa collègue
pour lui demander de détruire la lettre de démission.
Le lendemain, la demanderesse serait venue porter un
certificat médical à monsieur Adams qu’il aurait initialement refusé, mais
aurait finalement accepté une semaine plus tard, le 25 mai. Lors de la
rencontre du 18 mai, la demanderesse n’aurait reconnu aucune responsabilité
dans l’altercation de la veille ce qui aurait constitué une faute selon monsieur
Adams. L’employeur la congédie le 31 mai suivant, mais monsieur Adams dépose
une plainte à la police dans les semaines qui suivent.
L’ANALYSE
Le tribunal ne retient la version d’aucune des deux
parties en entier. Plutôt le Tribunal fait un « tableau global composé de
faits non contestés, de faits corroborés directement ou indirectement et de
faits dont la contestation apparaît faible ou insoutenable » (par. 48).
En résumé, le Tribunal détermine que le comportement
de la demanderesse n’est pas aussi bénin qu’elle le soutient, ni aussi violent
que le prétend monsieur Adams. Inversement, monsieur Adams n’aurait pas été
autant en contrôle qu’il le soutient, ni aussi violent que le prétend la
demanderesse (par. 47).
La plainte pour pratique interdite (art. 122 LNT)
Comme la demanderesse s’est absentée du travail à la
suite d’un avis de son médecin, ayant ainsi exercé un droit au sens de la Loi, et qu’elle a été congédiée de façon
concomitante, la demanderesse bénéficie de la présomption prévue à l’article
123.4 LNT et qu’il appartient donc à l’employeur de démontrer que le
congédiement repose sur une autre cause totalement indépendante (par. 49).
Le Tribunal conclut toutefois que l’employeur a
repoussé la présomption, car l’hésitation de monsieur Adams quant à
l’acceptation du certificat médical est due au fait qu’au moment où il l’a reçu,
il avait déjà pris la décision de congédier la demanderesse, mais il pensait
que la raison médicale rendrait son congédiement illégal (par. 69). Comme la
demanderesse a été congédiée pour l’altercation du 17 mai, son attitude
subséquente et la demande de congé de maladie ne sont pas reliées à cette
décision (par. 71). En conséquence, la plainte en vertu de l’article 122 LNT
est rejetée.
La plainte pour congédiement sans cause juste et
suffisante (art. 124 LNT)
Bien qu’il y ait eu de la violence verbale et des
comportements inappropriés, le TAT conclut que les deux protagonistes en sont
responsables (par. 75). Quant aux boîtes d’œufs, le Tribunal conclut qu’elles
n’ont pas été lancées délibérément en direction de monsieur Adams : il
s’agissait plutôt d’un mouvement involontaire et non d’un acte intentionnel
(par. 74).
Devant la tolérance de l’employeur lors d’événements
antérieurs de moindre importance où aucune mesure disciplinaire n’avait été
prise à l’endroit de la demanderesse, le Tribunal statue que la simple
affirmation de déloyauté n’est pas suffisante pour justifier le congédiement
(par. 77). La crainte pour la sécurité de monsieur Adams et celle des
bénéficiaires était exagérée : monsieur Adams n'avait jamais vu la
demanderesse avoir des comportements inappropriés envers eux (par. 78).
Devant les 25 ans de service de la demanderesse, la
tolérance de l’employeur lors d’événements semblables et l’absence de sanction
disciplinaire, mais prenant en considération la gravité objective de la
situation, le Tribunal décide d’accueillir la plainte, d’annuler le
congédiement, mais d’y substituer une suspension de deux semaines (par. 83-85).
Le Tribunal décide toutefois de réserver sa compétence
sur l’ensemble des mesures de réparation y compris l’opportunité d’ordonner la
réintégration de la demanderesse.
COMMENTAIRES
En dressant une synthèse des prétentions de chaque protagoniste
et de ce qu’il en retient, la démarche du Tribunal pour départager les versions
contradictoires des parties nous semble très intéressante. Cette façon de faire
nous apparaît efficiente tout en permettant de revenir sur la preuve de façon
détaillée lorsque celle-ci est fortement contradictoire.
Quant au fond du dossier, cette affaire réitère le
principe fondamental que doivent respecter les employeurs : la progression
des sanctions (par. 23). Le congédiement étant la sanction ultime pour un(e)
salarié(e), celui-ci ou celle-ci doit être averti(e) afin de bien comprendre la
nature de ce qui lui est reproché et les conséquences en cas de récidive. Il ou
elle doit avoir l’occasion de s’amender et ce n’est que si une telle discipline
progressive n’a pas permis la correction du comportement fautif qu’un
congédiement sera justifié. Ce n’est que dans des situations exceptionnelles,
et si un événement revêt un caractère sévère, qu’un employeur pourra passer
outre au principe de progression des sanctions et congédier immédiatement un(e)
salarié(e) (par. 26).
De plus, la tolérance d’un employeur à l’égard de
propos inappropriés en milieu de travail pourrait faire en sorte que les
sanctions qu’il imposera par la suite pour cette raison seront annulées ou substantiellement
réduites.
Dans le cas impliquant la demanderesse et l’employeur,
une véritable attaque physique n’avait pas été prouvée et ne permettait pas de
la congédier immédiatement.
Tout étant une affaire de circonstances, il ne suffit
pas d’alléguer un bris du lien de confiance : encore faut-il le prouver !
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