Me Grégoire Deniger
La
pandémie de la COVID-19 nous a (presque) tous confinés à nos domiciles. Les
audiences des tribunaux ont presque toutes été annulées et les institutions du
droit du travail n’y ont pas fait exception. Le 24 mars dernier, la Conférence
des arbitres du Québec a recommandé à ses membres d’annuler toutes les
audiences jusqu’au 17 avril puis, le 3 avril, elle leur a recommandé de les
annuler jusqu’au 1er mai et ce, à moins que les parties et l’arbitre
ne conviennent d’adopter des mesures alternatives (http://www.conference-des-arbitres.qc.ca/).
C’est
dans ce contexte qu’une récente décision arbitrale nous est apparue
particulièrement intéressante (Groupe TVA inc. c. Syndicat des
employé(e)s de TVA, section locale 687, SCFP, (T.A., 2020-03-24), Me Pierre-Georges
Roy).
Contexte
L’arbitre
Pierre-Georges Roy avait été mandaté par les parties, le Groupe TVA
(l’employeur) et le Syndicat des employés de TVA (le syndicat), pour décider
d’un grief concernant des sous-contrats accordés par l’employeur, sous-contrats
qui contrevenaient à la convention collective selon le syndicat (par. 1). Au
mois de février 2020, alors que deux dates d’audience étaient prévues (25 mars
et 26 mai 2020) et que la société en son entier était alors bien loin de se
douter que la pandémie de la COVID-19 frapperait le Québec de plein fouet, le
syndicat présente une demande d’ordonnance de sauvegarde. Dans sa demande, le
syndicat invoque que « les délais importants qu’implique le processus
d’arbitrage [risquent] de rendre caduc toute décision favorable à ses
prétentions » (par. 3).
L’employeur
plaidant qu’il serait plus approprié de procéder immédiatement sur le fond des
griefs, l’arbitre rend une décision quant au déroulement du dossier indiquant
ainsi aux parties qu’elles doivent procéder sur la demande d’ordonnance de
sauvegarde le 25 mars 2020 (par. 4-5).
La
pandémie a ensuite entraîné des conséquences qui sont, selon nous, de
connaissance d’office. (mesures de distanciation sociale, confinement,
fermeture d’entreprises ne rendant pas de services essentiels, etc.) Dans une
décision sur la poursuite de l’instance, l’arbitre Roy note qu’il « est
maintenant presque impossible, ou à tout le moins inappropriée, d’envisager la
tenue de séances d’arbitrage en présence des parties » (par. 6). À cet
effet, le 19 mars 2020, l’arbitre avait suggéré aux parties une méthode de
fonctionnement quant au déroulement de l’audience. L’avocat de l’employeur y a répondu
en suggérant d’attendre une période de deux semaines avant de tenir une
conférence téléphonique pour discuter des suites à donner au dossier (par. 8).
Décision
Se
prononçant sur la demande de l’avocat de l’employeur de mettre le dossier en
veilleuse pour une période de deux semaines, l’arbitre l’a acceptée en
soulignant ce qui suit :
« [11]
Je conviens évidemment que la situation actuelle n’est pas propice à des
interventions immédiates en regard de la demande d’ordonnance de sauvegarde
présentée par le syndicat. Les conditions qui ont cours ne permettent en effet
pas la tenue d’audiences formelles et rendent parfois difficiles les démarches
de préparation qui requièrent la présence active des représentants des
parties. »
L’audience
du 25 mars 2020 a donc été annulée par le Tribunal d’arbitrage (par. 13).
Par
contre, l’arbitre Roy note que même si les parties sont en discussion, une
entente n’est pas garantie et que, conformément aux pouvoirs qui lui sont
conférés par la loi, il lui « incombe de chercher à déterminer des règles
permettant un déroulement ordonné du dossier » (par. 14). L’arbitre
rappelle donc que la demande d’ordonnance de sauvegarde nécessite une
intervention rapide et que le dossier se doit de continuer à cheminer,
particulièrement si la période de confinement devait perdurer (par. 15).
Tout en
reconnaissant aux parties le droit au contre-interrogatoire des témoins ayant
signé des déclarations sous serment, l’arbitre énonce qu’il faut
« explorer des modes alternatifs de présentation de la preuve et de
l’argumentation » (par. 16).
À cette
fin, l’arbitre suggère que des résumés des témoignages envisagés soient déposés
(par. 17) et que l’avocat de la partie adverse devra alors indiquer si un
contre-interrogatoire est nécessaire et si oui, sur quelle partie des
déclarations (par. 19). L’arbitre propose que, si des contre-interrogatoires
sont alors jugés nécessaires, qu’ils se tiennent par vidéoconférence. Il ajoute
que le système de vidéoconférence Zoom semble offrir des « garanties de
fiabilité suffisantes » (par. 20). L’arbitre fait aussi remarquer que les
avocats pourraient aussi présenter leur argumentation par voie de
vidéoconférence (par. 21).
Commentaire
Cette décision nous apparaît
parfaitement conforme à la mission du système d’arbitrage de grief, à savoir
« fournir aux employeurs et aux salariés une justice accessible,
expéditive et efficace » (Commission scolaire de Laval c. Syndicat
de l’enseignement de la région de Laval, 2016 CSC 8, par. 74). Nous croyons
que malgré la pandémie, une gestion proactive de l’instance peut être
nécessaire en certaines circonstances.
Dans l’hypothèse où la période de
confinement de la société québécoise devait se poursuivre à plus long terme, la
suggestion de l’arbitre Roy de considérer des modes alternatifs de présentation
de la preuve et de l’argumentation nous semble particulièrement intéressante.
En ce qui a trait à l’après
COVID-19, la solution envisagée par Me Roy pourrait permettre, dans certains
cas particuliers, que des griefs soient entendus plus rapidement. Évidemment,
certains types de dossiers se prêtent mieux que d’autres à de tels modes
alternatifs de présentation de la preuve et de l’argumentation.
La suggestion de l’arbitre Me Roy
nous apparaît être une solution convenable à la situation particulière ayant
actuellement lieu afin de permettre une instruction diligente des griefs. Il
nous faut toutefois soulever que certains justiciables n’ont pas accès aux
moyens technologiques nécessaires à de telles audiences, par exemple une
connexion internet haute vitesse. De plus, des témoignages rendus à partir d’un
domicile où fourmillent enfants et animaux domestiques pourraient donner lieu à
des situations…insolites !
Je profite de l’occasion pour vous
souhaiter à tous de demeurer en santé.
Le texte intégral des décisions sont disponible ici :
- http://citoyens.soquij.qc.ca/ID=6AF7A347498963AC9A54D5C0047B1B00
- http://citoyens.soquij.qc.ca/ID=1035E8E9C0FE4A388A61A4339222A8E4
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