DROITS ET LIBERTÉS : Une petite entreprise familiale
d'édition n'a pas établi que sa décision de mettre fin au processus d'embauche
d'une responsable des ventes de titres à l'étranger était justifiée du fait que
les mesures d'accommodement envisagées en lien avec sa grossesse constituaient
une contrainte excessive.

2020EXP-1642
Intitulé : St-Pierre c. Éditions Hurtubise inc.,
2020 QCTDP 13
Juridiction : Tribunal des droits de la personne
(T.D.P.Q.), Montréal
Décision de : Juge Magali Lewis, Me Marie-Josée
Paiement et Me Myriam Paris-Boukdjadja, assesseures
Date : 11 juin 2020
Références : SOQUIJ AZ-51691109, 2020EXP-1642,
2020EXPT-1195 (24 pages)
-Résumé
DROITS ET LIBERTÉS — droit à l'égalité — actes
discriminatoires — emploi — refus d'embauche — responsable des ventes de titres
à l'étranger éditeur — grossesse — femme enceinte — contrat à durée
indéterminée — obligation d'accommodement — contrainte excessive — fardeau de
la preuve — exigences du poste — disponibilité — obligation de l'employeur —
absence de preuve.
DROITS ET LIBERTÉS — droit à l'égalité — motifs de
discrimination — grossesse — refus d'embauche.
TRAVAIL — responsabilité et obligations — employeur —
discrimination — refus d'embauche — responsable des ventes de titres à
l'étranger — éditeur — grossesse — femme enceinte — contrat à durée
indéterminée — obligation d'accommodement — contrainte excessive — fardeau de
la preuve — exigences du poste — disponibilité — obligation de l'employeur —
atteinte à la dignité — dommages matériels — perte salariale — dommage non
pécuniaire.
DOMMAGE (ÉVALUATION) — dommage moral — refus d'embauche —
discrimination — grossesse — atteinte à la dignité — stress.
DROITS ET LIBERTÉS — réparation du préjudice — dommage
pécuniaire — perte salariale — dommage non pécuniaire.
Demande introductive d'instance alléguant un refus
d'embauche discriminatoire et une atteinte au droit à la protection de la
dignité. Accueillie en partie.
L'employeur est une petite entreprise familiale d'édition.
La demanderesse y occupait le poste à durée déterminée d'attachée de presse.
Son contrat venait à terme le 13 mars 2015. Elle reproche à l'employeur
d'avoir, du fait de sa grossesse, mis fin au processus de son embauche au poste
de responsable des ventes de titres à l'étranger, et ce, en violation des
articles 4, 10 et 16 de la Charte des droits et libertés de la
personne. Elle soutient que, en lui retirant le poste qu'elle avait
accepté, les défendeurs, soit l'entreprise et ses propriétaires, ont porté
atteinte à ses droits d'être traitée en toute égalité en emploi ainsi qu'à la
sauvegarde de sa dignité. Elle réclame des dommages-intérêts.
Décision
Une règle qui prive les femmes du droit à l'embauche du seul fait qu'elles sont
enceintes et qu'elles devront prendre un congé de maternité, alors qu'autrement
elles seraient embauchées parce qu'elles ont les compétences requises pour un
poste donné, viole leur droit à la pleine égalité en emploi. Lorsqu'il est
établi que la grossesse est à l'origine d'un refus d'embauche, le Tribunal
doit, au stade du deuxième volet de l'analyse, évaluer si l'employeur a
démontré que l'exécution personnelle et sans interruption d'une partie du
contrat qui a été refusé à une candidate enceinte est une exigence rationnelle
qui ne peut faire l'objet d'un accommodement sans contrainte excessive. Si
l'employeur démontre qu'il a tenté de trouver un accommodement raisonnable
avant de mettre fin au processus d'embauche d'une candidate pour un motif
interdit par la charte — la grossesse, en l'occurrence — le refus d'embauche
est réputé non discriminatoire. Afin de se décharger de son fardeau,
l'employeur doit établir qu'il a envisagé des accommodements possibles avant de
mettre fin au processus et il doit expliquer pourquoi chacun d'eux constituait
une contrainte excessive qui ne lui donnait d'autre choix que de ne pas retenir
la candidature. La situation pourrait être différente lorsqu'un poste doit être
pourvu pour une courte durée et que l'absence planifiée liée à la grossesse
doit couvrir une partie importante de cette durée, suivant la taille de
l'entreprise, ses revenus et la période de formation de la candidate
sélectionnée ainsi que de la personne qui la remplacerait durant son congé de
maternité, soit des éléments qu'il appartient à l'employeur de mettre en
preuve.
En l'espèce, l'employeur a offert à la demanderesse le poste de responsable des
ventes à l'étranger pour une durée indéterminée. Le contrat d'emploi n'a pas à
être écrit pour être valablement formé. L'employeur ne conteste pas le fait
qu'il a mis fin au processus d'embauche de la demanderesse parce qu'elle était
enceinte; il fait valoir qu'elle n'était pas disponible pour participer au plus
gros événement de l'année. Or, lorsque la non-disponibilité d'une employée est
liée au fait que celle-ci est enceinte, le refus de lui accorder un poste ou
une promotion est directement lié à sa grossesse et est donc interdit par la
charte. L'employeur n'a pas établi que sa décision de mettre fin au processus
d'embauche de la demanderesse était justifiée du fait que les mesures
d'accommodement envisagées en lien avec sa grossesse constituaient une
contrainte excessive. En effet, il ne suffit pas pour lui de soutenir que les
propositions d'accommodement d'une employée ne sont pas réalistes. Il doit
faire la preuve qu'il a lui-même envisagé des possibilités d'accommodement et
que ces solutions constituaient toutes une contrainte excessive pour lui ou les
autres employés. L'affirmation selon laquelle la situation financière de
l'entreprise ne permettait pas l'implantation de la solution ne suffit pas si
elle n'est pas étayée par des chiffres concrets. L'employeur n'a fourni aucune
information relative à ses finances. Ainsi, le refus d'embaucher la
demanderesse, en plus d'être discriminatoire parce qu'il est interdit par les
articles 10 et 16 de la charte, a porté atteinte au droit de cette dernière à
la sauvegarde de sa dignité, garanti par l'article 4 de la charte. Une
personne voit sa dignité bafouée par un traitement fondé sur ses
caractéristiques ou sa situation particulière lorsqu'elle est marginalisée,
mise de côté et dévalorisée, par exemple parce qu'elle est enceinte.
Par ailleurs, les propriétaires n'ont pas commis à l'égard de la demanderesse
de fautes extracontractuelles justifiant qu'ils soient condamnés solidairement
avec l'entreprise. Leur bonne foi se présume. De plus, la preuve n'a pas établi
que leur décision de mettre fin au processus d'embauche de la demanderesse ou
de refuser d'accommoder celle-ci était l'expression d'un préjugé contre les
femmes enceintes ou de leur refus injustifié d'accommoder la situation.
L'indemnité salariale doit être payée par l'entreprise.
Le Tribunal accorde à la demanderesse le montant convenu par les parties à
titre d'indemnité salariale (11 250 $), mais ne retient aucune
compensation quant aux heures supplémentaires réclamées. La demanderesse s'est
sentie diminuée et stressée en raison du rejet de sa candidature; elle s'est
aussi sentie trahie quand elle s'est vu retirer la possibilité de relever le
défi qui lui avait été offert d'acquérir de nouvelles compétences dans le
milieu de l'édition. Des dommages moraux (5 000 $) sont suffisants et
lui sont accordés. Enfin, l'état d'esprit des dirigeants de l'entreprise ne
dénote pas une insouciance quant aux conséquences de leur décision qui justifierait
l'attribution de dommages punitifs.
Le texte intégral de la
décision est disponible ici
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