SOCIAL (DROIT) : Le travail au noir ne doit pas être pris en considération pour établir le revenu brut d'une victime d'un acte criminel.
2020EXP-2327
Intitulé : Procureur général du Québec c. P.F., 2020 QCCA 1220
Juridiction : Cour d'appel (C.A.), Montréal
Décision de : Juges Guy Gagnon, Jacques J. Levesque et Stéphane Sansfaçon
Date : 22 septembre 2020
Références : SOQUIJ AZ-51710381, 2020EXP-2327 (35 pages)
Résumé
SOCIAL (DROIT) — sauveteurs et victimes d'actes criminels — indemnisation des victimes d'actes criminels — incapacité totale permanente — calcul de l'indemnité — base salariale — statut — personne sans emploi ou travailleur — travail au noir pendant l'année ayant précédé l'acte criminel — directive administrative — utilisation du salaire minimum applicable au moment de l'acte criminel comme base salariale — appel.
ADMINISTRATIF (DROIT) — contrôle judiciaire — cas d'application — droit social — divers — Tribunal administratif du Québec — Cour supérieure — indemnisation des victimes d'actes criminels — norme de contrôle — décision raisonnable — équité procédurale — obligation de motiver une décision — appel.
PROCÉDURE CIVILE — appel — appel irrégulièrement formé — appel sur permission — permission d'appel nunc pro tunc — déclaration d'appel — caractère exceptionnel de la situation.
Appels d'un jugement de la Cour supérieure ayant rejeté des pourvois en contrôle judiciaire d'une décision du Tribunal administratif du Québec (TAQ). Accueillis.
L'intimé a été victime d'une agression armée en mars 2010. Les blessures subies ont entraîné une incapacité totale permanente justifiant une rente annuelle en vertu de la Loi sur l'indemnisation des victimes d'actes criminels. La Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail, Direction de l'indemnisation des victimes d'actes criminels (IVAC), a établi l'indemnité selon la base salariale d'une personne sans emploi au moment de l'acte criminel, soit 18 770 $. Le TAQ a infirmé cette décision et a fixé l'indemnité à 22 400 $ annuellement au motif que l'intimé avait travaillé au noir pendant une période de 7 mois durant l'année ayant précédé l'acte criminel. Le procureur général du Québec (PGQ) et l'intimée se sont pourvus en contrôle judiciaire de cette décision. Le PGQ a soutenu que la décision du TAQ était déraisonnable puisqu'il avait utilisé le travail au noir pour établir la valeur de la rente. L'intimé a fait valoir pour sa part que le TAQ avait rendu une décision déraisonnable en ne retenant pas sa thèse selon laquelle l'indemnité aurait dû être établie à 32 219 $ puisqu'il avait obtenu un diplôme d'apprenti électricien et qu'il était, au moment de l'acte criminel, à la recherche d'un emploi dans ce domaine. La Cour supérieure a appliqué la norme de contrôle de la décision raisonnable. Elle a conclu que la décision du TAQ n'était pas déraisonnable.
Décision
M. le juge Levesque: L'intimé n'a pas cru opportun d'obtenir
l'autorisation préalable que requiert l'appel d'une décision en révision
judiciaire selon l'article 30 paragraphe 5 du Code de procédure
civile (C.P.C.). Or, il y a lieu d'accorder à l'intimé une permission
d'appeler nunc pro tunc, et ce, même si les délais prévus au
deuxième alinéa de l'article 363 C.P.C. sont écoulés, selon les moyens qui
figurent dans sa déclaration d'appel puisqu'il répond au caractère exceptionnel
de la situation. Il a clairement démontré son intention de se pourvoir en
déposant sa déclaration d'appel dans les 10 jours ayant suivi le jugement
qui a autorisé l'appel principal, donc dans le délai prescrit par le deuxième
alinéa de l'article 360 C.P.C.
Par ailleurs, la décision du TAQ doit s'assujettir à la norme de contrôle de la
décision raisonnable telle qu'elle est exposée dans Canada (Ministre de
la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Vavilov (C.S. Can.,
2019-12-19), 2019 CSC 65, SOQUIJ AZ-51654335, 2020EXP-27. Il en va de même pour
la décision de la Cour supérieure. De plus, le décideur administratif doit
valablement tenir compte des questions et préoccupations centrales soulevées
par les parties et sa décision doit le refléter. Enfin, lorsque la décision à
rendre entraîne des conséquences qui peuvent nuire à la vie, à la liberté, à la
dignité ou aux moyens de subsistance d'une personne, on doit s'attendre à ce
que le point de vue de la personne sur laquelle l'autorité est exercée soit
examiné et que la décision qui en résulte soit exposée par une justification
adéquate.
C'est le revenu brut qui est à la base de la détermination des indemnités
accordées. L'IVAC a établi une politique qui prévoit notamment que les gains
dont elle doit tenir compte dans le calcul du revenu brut sont ceux provenant
des traitements, des salaires et des commissions et que les revenus tirés du
travail au noir ou d'un travail illégal ne peuvent être pris en considération.
Par ailleurs, il n'existe aucun consensus jurisprudentiel au TAQ établissant
une règle de portée générale à l'égard de la base d'évaluation de la rente en
vertu de l'article 18 de la Loi sur l'indemnisation des victimes
d'actes criminels et de l'article 46 paragraphe 2 de la Loi
sur les accidents du travail. Chaque situation est un cas d'espèce où le
TAQ choisit, selon les circonstances qu'il juge appropriées, d'approuver et
d'appliquer la politique de l'IVAC, de faire preuve de déférence envers
celle-ci en l'estimant raisonnable ou d'écarter, voire de passer outre à
l'existence de cette politique.
En l'espèce, la preuve devant le TAQ contredisait l'affirmation de l'intimé
selon laquelle il avait occupé un emploi en 2009. Les informations contenues
dans son curriculum vitae pouvaient être vues comme un aveu de sa part
établissant qu'il n'avait pas occupé d'emploi en 2009. On s'explique mal
comment le TAQ a pu conclure que le témoignage de l'intimé à ce sujet pouvait
constituer une preuve crédible et non contredite. De plus, la justification
succincte donnée par le TAQ pour écarter la politique appliquée par l'IVAC ne
remplit aucunement les exigences de motivation sous-jacente à l'équité
procédurale décrite par la Cour suprême dans Vavilov. Il ne suffit
pas de motiver la décision en affirmant que la Loi sur la justice
administrative permet au TAQ de rendre la décision qu'il croit
appropriée ou encore de dire que la solution qu'il propose semble plus juste
pour l'intimée. Les décideurs du TAQ devaient, en équité, exposer les motifs
qui les fondaient à écarter la politique adoptée et appliquée par l'IVAC.
Le travail au noir ne doit pas être pris en considération pour établir le
«revenu brut» d'une victime d'un acte criminel. Lorsqu'une victime d'un acte
criminel est sans emploi au moment de l'événement, c'est le salaire minimum
applicable au moment de cet événement qui est en principe utilisé comme base
salariale à l'établissement de la rente, ainsi que le propose et l'applique
avec raison la politique de l'IVAC. Par ailleurs, l'intimé a raison de faire
valoir que la décision rendue est déraisonnable parce qu'elle n'est pas motivée
adéquatement: elle n'expose aucun motif à l'égard des prétentions de l'intimé
relatives à sa perte de gains futurs dont il fallait tenir compte dans
l'établissement de la base salariale permettant d'établir l'indemnité qu'il
revendique. L'absence de motivation adéquate laisse l'intimé dans le doute le
plus absolu et dans l'incompréhension la plus totale. Le dossier est donc
renvoyé devant le TAQ pour que l'indemnité attribuable à l'intimé soit
déterminée en tenant compte de la loi ainsi que des prétentions avancées par
chacune des parties.
Instance précédente : Juge Christine Baudouin, C.S., Montréal, 500-17-099254-172 et 500-17-099252-176, 2018-06-21, 2018 QCCS 2927, SOQUIJ AZ-51508607.
Réf. ant : (T.A.Q., 2017-05-26), 2017 QCTAQ 05457, SOQUIJ AZ-51397549, 2017EXP-1995; (C.S., 2018-06-21), 2018 QCCS 2927, SOQUIJ AZ-51508607, 2018EXP-2145; (C.A., 2018-10-02), 2018 QCCA 1614, SOQUIJ AZ-51533015.
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