Un avocat peut-il faire des représentations à la Cour dans le dossier d’un ancien client, dans le but d’assurer que ce client ait gain de cause et soit alors en mesure de payer les honoraires dus à l’avocat?
Par Marie-Hélène Beaudoin, avocate
Par Marie-Hélène Beaudoin
McCarthy Tétrault
Dans Agence du revenu du Québec c. Archambault, 2014 QCCA 1336, la Cour d’appel était saisie d’une demande d’intervention à la fois agressive et conservatoire, présentée part un cabinet d’avocats. Le cabinet avait cessé de représenter les intimés, qui avaient eu gain de cause en première instance et avaient obtenu la sanction de démarches abusives entreprises par le ministère du Revenu du Québec à leur encontre. Pour assurer le paiement de leurs honoraires, le cabinet désirait intervenir pour demander deux choses à la Cour : 1) qu’elle ordonne que les sommes versées au terme du jugement en appel soient versées dans leur compte en fidéicommis; 2) qu’elle leur permette de faire des représentations pour soutenir l’appel incident, concernant l’augmentation du montant octroyé au chapitre des honoraires extrajudiciaires. La Cour d’appel a rejeté la requête en intervention.
Contexte
Le dossier opposant le Groupe Enico inc. et M. Jean-Yves Archambault au ministère du Revenu du Québec a déjà fait l’objet d’un résumé sur ce Blogue. Pour la petite histoire, qu’il suffise de mentionner que l’honorable Steve J. Reimnitz avait ordonné le versement de dommages compensatoires et punitifs totalisant près de 4 millions de dollars, incluant une somme de 350 000 $ en honoraires extrajudiciaires, sans compter les 100 000 $ octroyésa à titre d’honoraires spéciaux et les dépens. Suite à la victoire des demandeurs dans cette affaire, leurs avocats prennent divers recours en vue de s’assurer de voir leurs honoraires payés, malgré les moyens limités de leurs anciens clients.
Dans un premier temps, les avocats instituent un recours en jugement déclaratoire pour demander au Tribunal de déterminer le montant des honoraires dus aux avocats. Ce recours est rejeté partiellement, suite à une requête en irrecevabilité fondée sur l’article 165(4) C.p.c. dans Dupuis Paquin, Avocats et conseillers d’affaires inc. c. Groupe Enico inc., 2014 QCCS 2271, parce que mal fondé en droit, supposé même que les faits qui y sont allégués soient vrais. En effet, la Cour supérieure considère que le recours en jugement déclaratoire n’est pas le mécanisme approprié, puisqu’il empêcherait les clients de faire valoir leurs droits à l’arbitrage de comptes devant le Barreau et qu’il ne procurerait pas une solution finale, en l’absence d’une ordonnance de payer. Il demeure toutefois certaines conclusions visant les mêmes objectifs que ceux poursuivis par la demande d’intervention agressive qui fait l’objet du présent résumé, à savoir le droit de recevoir le paiement des montants à être versés à M. Archambault et à Groupe Enico inc., à hauteur de leurs honoraires.
Une ordonnance de sauvegarde est également recherchée par le cabinet pour empêcher le versement des sommes dues directement à leurs anciens clients, après que la Cour ait ordonné l’exécution nonobstant appel d’une partie de la condamnation aux dommages prononcée en première instance. (Dupuis Paquin, Avocats et conseillers d’affaires inc. c. Groupe Enico inc., 2014 QCCS 376).
Finalement, dans le cadre de l’appel du jugement de première instance ayant donné gain de cause à leurs clients, les avocats présentent leur requête en intervention.
Selon eux, cette intervention serait justifiée car : 1) ils considèrent avoir un droit sur les sommes qui seront accordées aux termes du jugement de la Cour d’appel (art. 209 C.p.c.); et 2) ils considèrent que les intimés ne sont pas adéquatement représentés en appel et qu’ils risquent donc de perdre la créance reconnue en première instance. Selon eux, le fait que M. Archambault se représente seul et que l’avocate de Groupe Enico inc. ne soit pas spécialisée dans le litige fiscal et agisse pro bono sont sources de craintes.
Décision
La Cour d’appel conclut d’abord que le cabinet n’a aucun droit à faire valoir par le biais d’une intervention agressive :
« [15] On ne peut donc que constater les efforts que met la requérante à assurer, avec un succès à ce jour fort relatif, la conservation de la créance qu’elle affirme lui être due par ses anciens clients, et ce, grâce à divers moyens très inventifs, dont la présente demande d’intervention est le plus récent exemple.
[…]
[22] Je doute fort par ailleurs que la requérante puisse faire valoir un quelconque intérêt à intervenir avant d’avoir obtenu un jugement final condamnant les intimés à lui verser ce qu’elle prétend lui être dû […]. Elle disposera plutôt des moyens d’exécution prévus par le Code de procédure civile, moyens auxquels elle pourra librement recourir et qui n’incluent pas l’intervention dans un dossier d’appel.
[23] Évidemment, il n’est pas impossible de penser que la requérante puisse avoir d’ici là la possibilité de saisir avant jugement, en vertu de l’art. 733 C.p.c., les sommes qui seraient accordées en appel à ses anciens clients Mais si c’est le cas, elle le fera : en attendant, l’intervention ne saurait tenir lieu de saisie avant jugement, ni se substituer aux moyens d’exécution d’une créance judiciaire (et surtout d’une créance judiciaire qui n’existe pas encore).
[…]
[25] […] Du reste, on ne peut sûrement pas permettre aux créanciers […] d’un débiteur d’intervenir personnellement dans toutes les instances auxquelles ce dernier est partie, sous le prétexte de voir à la conservation de leurs droits. En fait, la requérante semble ici vouloir exercer, par son intervention en appel, une sorte d’action oblique (art. 1627 et s. C.c.Q.), dont les conditions, pourtant, ne sont pas réunies. »
Quant à l’intervention conservatoire, la Cour la rejette également, considérant notamment que les intimés ont le droit de mandater l’avocat de leur choix ou de se représenter seul, s’ils le désirent.
« [30] […] Je ne crois pas que le système de justice, en tout cas en ce qui concerne l’appel, puisse s’accommoder d’une situation où, au nom de la protection de leurs honoraires impayés, les anciens avocats d’une partie prétendraient plaider eux-mêmes sa cause, sur le fond, à ses côtés ou aux côtés de ses nouveaux avocats, et ce, afin de préserver un intérêt pécuniaire personnel sans doute important pour eux, mais fort secondaire dans l’ordre des choses. […] On ne saurait imposer ni à l’un ni à l’autre ce qui a toutes les apparences d’une sorte de tutelle ou, mieux, celles d’une intrusion, plutôt que d’une intervention. »
Finalement, la Cour soulève des questionnements quant à l’opportunité de l’ensemble des recours institués par le cabinet d’avocats. Sans se prononcer à ce sujet, la Cour mentionne qu’il y a matière à réfléchir à la présence d’un abus procédural.
Commentaire
Pour les fins de ce résumé, nous nous sommes concentrés sur les principes légaux entourant le droit à l’intervention en appel. Un aspect factuel de ce dossier demeure toutefois fort important, les avocats n’ayant pas encore émis leur compte d’honoraires pour les services qu’ils ont rendus à leurs clients. Les lecteurs sont invités à consulter les diverses décisions de la Cour supérieure et de la Cour d’appel relativement à cet aspect du dossier.
Le texte intégral de la décision est disponible ici.
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