Le secret professionnel, les mandataires et la déclaration d’inhabilité
Par Audrey Corsi
Caya
Avocate
Dans l’arrêt Corporation de services des ingénieurs du
Québec/Réseau IQ c. Indelicato,
2016 QCCA 1087, la Cour d’appel doit déterminer si un avocat et l’ensemble de
son cabinet sont inhabiles à représenter une partie en raison d’un conflit
d’intérêt.
Contexte
En 2012,
l’appelante a mis fin au contrat d’emploi de l’intimé. Insatisfait de la
situation, ce dernier a entrepris une poursuite contre l’appelante afin de lui
réclamer des sommes en guise de préavis de fin d’emploi et d’indemnité.
En Cour supérieure,
l’intimé a demandé et obtenu une déclaration d’inhabilité contre l’avocat de l’appelante
en raison d’un conflit d’intérêt. L’avocat en question avait agi pour le compte
de l’appelante en 2005 à l’occasion de l’embauche de l’intimé à titre de
président et de membre du conseil d’administration et de manière ponctuelle par
la suite. Il avait fourni des opinions juridiques au sujet du contrat de
travail et l’intimé avait l’intention de témoigner au sujet de sa compréhension
du contrat. Ainsi, l’avocat se trouverait en conflit d’intérêt, car il serait
appelé à témoigner à ce sujet par l’intimé.
Analyse de la Cour d’appel
Le juge Mainville
débute son analyse en rappelant que « [l]e droit de choisir son avocat est un droit
bien consacré et une valeur fondamentale de notre système de justice »
(paragraphe 27). Cependant, cette valeur doit être réconciliée à celles
sous-tendant les déclarations d’inhabilité telles que dégagées par la Cour suprême
dans l’arrêt Succession MacDonald c. Martin, [1990] 3 R.C.S. 1235, p.
1243 :
Pour
résoudre cette question, la Cour doit prendre en considération au moins trois
valeurs en présence. Au premier rang se trouve le souci de préserver les normes
exigeantes de la profession d’avocat et l’intégrité de notre système
judiciaire. Vient ensuite en contrepoids, le droit du justiciable de ne pas
être privé sans raison valable de son droit de retenir les services de l’avocat
de son choix. Enfin, il y a la mobilité raisonnable qu’il est souhaitable de
permettre au sein de la profession.
En outre, une telle
analyse doit se faire en tenant compte des faits précis de la cause, notamment
de la relation entre les parties en présence. Ainsi, le juge Mainville souligne
que seule l’appelante a été cliente de l’avocat. Le fait que l’intimé ait été
le mandataire de l’appelante n’y change rien; en effet, une personne morale
doit nécessairement agir par le biais de ses représentants et mandataires.
Les opinions
juridiques, bien que transmises par le biais de l’intimé-mandataire,
appartiennent à l’appelante tout comme le droit au secret professionnel. Pour
sa part, l’intimé a en plus un devoir de confidentialité. Les opinions
transmises sont donc immunisées contre la divulgation judiciaire et selon
l’analyse du juge Mainville, cette immunité s’étend également à l’intimé.
Les articles 323 et
2146 du Code civil du Québec énoncent
que l’administrateur et le mandataire ont un devoir de confidentialité qui ne
doit pas être confondu avec le secret professionnel qui bénéficie d’une
immunité de divulgation. Or, en matière de secret professionnel, l’immunité de
divulgation s’étend à toutes les personnes qui reçoivent les opinions
juridiques lorsqu’elles agissent à titre de mandataire pour le client.
[44] Le juge Linden, de la Cour d’appel fédérale, a repris ce
raisonnement [le fait que les
communications entre les représentants d’un client et son avocat soit protégées] dans Telus
c. Canada (Procureur général). Il
énonce que la « communication de conseils juridiques à un tiers peut
leur faire perdre le bénéfice du secret professionnel de l’avocat. Mais les
conseils juridiques communiqués au client par l’intermédiaire d’un mandataire
de ce dernier sont normalement considérés comme ayant été communiqués au client
lui-même ».
[45]
Puisque les conseils juridiques
communiqués à un client par l’intermédiaire de son mandataire sont visés par le
secret professionnel, l’immunité de divulgation judiciaire s’étend
nécessairement au mandataire.
[Références omises]
Une interprétation
contraire rendrait le secret professionnel sans objet, notamment dans le cas
des personnes morales qui doivent nécessairement agir par le biais de
représentants et mandataires.
Il n’y a donc pas
lieu de déclarer l’avocat inhabile. En effet, la question de la possibilité de
témoigner ne se pose pas car l’intimé (tout comme l’avocat) est tenu de
respecter les secrets professionnels appartenant à l’appelante.
Conclusion
Le secret
professionnel est une obligation importante que les tribunaux n’hésitent pas à
protéger, et ce, même d’office. Il peut cependant en résulter des situations
délicates où un ancien mandataire, tel que l’intimé, doive respecter les
secrets professionnels appartenant à une partie appelante avec laquelle il a un
litige.
Cet arrêt met également
en lumière l’importance d’examiner les faits dans les cas où un conflit
d’intérêt est soulevé afin d’appuyer une demande de déclaration d’inhabilité.
Le texte intégral
de la décision est disponible ici.
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