Le droit de résiliation unilatérale en matière de contrat de service : les enseignements récents de la Cour d’appel
Par Jasmine Jolin
Par Jasmine
Jolin
Paquette Gadler Inc.
Par l’entremise
de deux arrêts rendus le même jour, Gagnon
c. Bell Mobilité, 2016 QCCA 1496 (ci-après
l’« Arrêt Gagnon ») et Rogers Communications, s.e.n.c. c. Brière, 2016 QCCA 1497 (ci-après l’« Arrêt Brière »), la Cour d’appel du Québec se prononce sur le
caractère abusif de clauses de frais de résiliation et rappelle que celui-ci
doit être apprécié en regard au régime de protection, dérogatoire au droit
commun, dont émanent les articles 2125 et 2129 C.c.Q.
Contexte
Dans ces deux
actions collectives, Bell Mobilité et Rogers se pourvoient respectivement contre
un jugement accueillant l’action à leur encontre et les condamnant à des
dommages-intérêts en remboursement de frais de résiliation payés en trop par
des consommateurs.
En première
instance, dans ces deux dossiers, le Tribunal avait conclu que, bien qu’une clause
prévoyant les frais à payer en cas de résiliation se trouve au contrat, les
consommateurs n’avaient pas renoncé à leur droit de résiliation prévu par le
Code civil (art. 2125 C.c.Q.). La présence d’une clause imposant des frais de
résiliation, conclut-il, n’équivaut pas à une renonciation implicite à ce
droit, contrairement à ce que le soutient la partie défenderesse.
Ainsi, en
application de l’article 2129 C.c.Q., le consommateur est tenu d’indemniser
l’entreprise pour le préjudice subi à cause de la résiliation du contrat. Dans
les deux cas, la Cour supérieure avait conclu que le préjudice subi par Rogers
et Bell Mobilité correspondait uniquement au rabais consenti sur le téléphone
cellulaire, et non au montant prévu dans la clause de frais de résiliation. La
différence entre ces deux montants correspond aux dommages qui furent octroyés
par la Cour.
En appel, Rogers
et Bell Mobilité soumettent qu’il y a effectivement eu renonciation aux
articles 2125 et 2129 C.c.Q. et que la clause de résiliation est donc valide.
Elles soumettent en outre que la clause prévue dans leur contrat n’est pas
abusive.
C’est donc sur
ces points que la Cour d’appel se penche.
Analyse et décision
Suivant le même
raisonnement dans les deux arrêts, la Cour débute avec une analyse des deux dispositions
du Code civile ici en jeu. Prévoyant un droit de résiliation unilatérale pour
le client (art. 2125 C.c.Q.) et l’indemnisation que peut recevoir le
prestataire de service suite à la renonciation (art. 2129 C.c.Q.), ces règles
dérogent au droit commun. N’étant pas d’ordre public, les parties peuvent en
effet choisir d’écarter leur application :
«
[53] Bien sûr, si le client renonce au droit de résiliation, il ne saurait être
question des suites de l’exercice de ce droit disparu. Par contre, si le client
conserve ce droit, rien ne fait obstacle à ce qu’il convienne à l’avance de
l’indemnité à payer éventuellement au prestataire de services.
[54]
En bref, si les parties écartent 2125, elles écartent aussi 2129, mais le
corollaire n’est pas vrai, si elles n’écartent pas 2125, elles peuvent tout de
même écarter 2129, en tout ou en partie. » (Nous soulignons)
(Arrêt Gagnon)
Ainsi, la Cour
d’appel indique qu’une clause du contrat de service peut prévoir un montant
prédéterminé à défrayer en cas de résiliation.
En l’espèce, la
clause de frais de résiliation constitue une application de l’article 2129 al.
3 C.c.Q. et rien, selon la Cour d’appel, ne laisse présager de manière claire
et non équivoque que les consommateurs ont renoncé à leur droit à la
résiliation en signant le contrat de services avec Bell ou Rogers (voir Arrêt
Gagnon, par. 38 à 43 et 142 et suiv. et Arrêt Brière, par. 18 et 65 et suiv.).
Notons que les
faits des présentes affaires remontent avant 2010. Depuis, la Loi sur la protection du consommateur,
RLRQ, c. P-40.1 (ci-après « LPC ») a été modifiée afin de rendre obligatoire
l’application des articles 2125 et 2129 C.c.Q. à de tels contrats (voit art.
11.4 LPC).
Le même raisonnement est suivi dans l’Arrêt Brière. Ainsi, les appels de Rogers et Mobilité sont rejetés.
Notons que la Cour réitère, dans le cadre de ces arrêts, avec insistance que la perte de profits futurs ne peut être considérée comme un préjudice subi au sens de l’article 2129 C.c.Q. (voir Arrêt Gagnon, par. 73 à 78 et Arrêt Brière, par. 25, 26, 72 et 73).
Suite à ces
conclusions, le Cour d’appel se penche sur le caractère abusif de la clause de
frais de résiliation. Sous la plume de l’Honorable Juge Bélanger, j.c.a., la
Cour souligne l’illogisme de faire payer aux consommateurs un montant de
résiliation plus élevé que le montant représentant le préjudice subi par
l’entreprise de téléphonie cellulaire suite à la résiliation :
« [162] […] il serait illogique de permettre au client de résilier unilatéralement et sans cause un contrat, tout en lui imposant de défrayer des sommes qui excèdent le réel préjudice subi par le prestataire.
[…]
[166] L’appréciation du caractère abusif de la clause doit se faire en tenant compte de l’équilibre économique entre les parties et du caractère disproportionné, ou non, de la clause. Le nombre de personnes touchées par la clause de résiliation anticipée est un facteur qu’il faut considérer dans l’analyse de l’équilibre économique entre les parties. […]
[167] Dans le cadre de cette affaire, il m’apparaît raisonnable d’affirmer que toute obligation financière prévue aux FRA, qui excède le rabais octroyé par Bell, serait trop éloignée des ‘’obligations essentielles qui découlent des règles gouvernant habituellement le contrat’’. Rappelons, en effet, que le client bénéficie du même forfait et qu’il paie le même montant mensuel, pour le service de téléphonie, qu’il ait bénéficié ou non d’un rabais sur l’achat de son téléphone portable.
[168] La clause est donc abusive et réductible au sens de l’article 1437 C.c.Q. […] » (Nous soulignons)
(Arrêt Gagnon)
Le
même raisonnement est suivi dans l’Arrêt Brière. Ainsi, les appels de Rogers et
Mobilité sont rejetés.
Notons
que la Cour réitère, dans le cadre de ces arrêts, avec insistance que la perte
de profits futurs ne peut être considérée comme un préjudice subi au sens de
l’article 2129 C.c.Q. (voir Arrêt Gagnon, par. 73 à 78 et Arrêt Brière, par.
25, 26, 72 et 73).
Commentaires
Ces arrêts donnent un éclairage
intéressant sur le caractère abusif ou non d’une clause dans un contrat de
service. La Cour, interprétant de manière stricte le préjudice subi par les
prestataires de services en cas de résiliation par le client, nous rappelle les
dispositions telles 2125 et 2129 C.c.Q., ainsi que celles de la LPC, ont pour
objectif la protection des consommateurs dans l’exercice de leurs droits.
Le texte de
l’Arrêt Gagnon se trouve ici.
Le texte de
l’Arrêt Brière se trouve ici.
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