En route vers la Conférence Legal.IT 2017 : Encadrement juridique du Bitcoin et des autres cryptomonnaies au Canada
Par Yoann Gauthier, Avocat
Yoann Gauthier
Avocat
Lancé en 2009, le Bitcoin
est une cryptomonnaie fondée sur la technologie des blockchains censée révolutionner le monde de la finance, du moins
selon ses fervents défenseurs.
Mais en quoi consiste
exactement une cryptomonnaie?
Il s’agit, en bref, d’une monnaie
virtuelle gérée sur un réseau pair à pair (« Peer to Peer » ou P2P) et utilisant la cryptographie pour
valider les transactions et émettre la monnaie.
C’est un système fondé sur
une base de données hébergée et gérée par les membres du réseau eux-mêmes et
chaque transaction de Bitcoins est validée par une série d’ordinateurs
distincts, sans l’intervention d’une quelconque autorité tierce.
Les transactions sont
inscrites dans un registre commun afin d’assurer la traçabilité de chaque
transaction (ce qu’on appelle fréquemment la technologie des registres
distribués, ou « shared ledger technology »). Ainsi, l’intervention d’institutions
financières et d’intermédiaires n’est plus nécessaire afin de mener à terme une
transaction, ce qui entraîne une réduction significative des coûts
administratifs qui y sont liés.
De plus, l’hébergement des
données du système sur des millions d’ordinateurs distincts, combiné à l’utilisation
de clés encryptées, rend toute tentative de piratage du système extrêmement
ardue. Malgré tout, dans le passé, le piratage d’utilisateurs ciblés a eu des
conséquences désastreuses, notamment pour Mt. Gox, une plateforme d’échange
japonaise ayant dû se placer sous la protection des lois sur la faillite du
pays suite à la perte de 750 000 Bitcoins, dont la valeur était évaluée à
plus de 477 millions de dollars US[i].
En février 2017, une
valeur en Bitcoins équivalente à plus de 16 milliards de dollars US était en
circulation[ii]. C’est donc dire que le
phénomène prend une importance considérable!
Qu’en est-il toutefois du
cadre réglementaire applicable aux Bitcoins et autres cryptomonnaies au Canada?
La principale difficulté
que pose le système Bitcoin, c’est que tout en fonctionnant comme une monnaie,
il n’est pas considéré comme tel par les autorités gouvernementales, notamment
les autorités fiscales.
Traitement
fiscal des cryptomonnaies
Au Canada, en matière
fiscale, un Bitcoin est considéré comme un bien meuble, susceptible d’être
acheté, vendu ou échangé. Ainsi, selon l’Agence du Revenu du Canada, un achat
de biens ou services en Bitcoins sera considéré comme du troc aux fins de
l’impôt sur le revenu[iii], et assujetti aux dispositions
relatives à ce type de transactions.
Le marchand, vendeur du
bien « échangé » contre des Bitcoins, devra donc inclure la valeur de
ce bien dans son revenu en dollars canadiens. Par exemple, si le vendeur vend
normalement ce bien 100 $, il devra inscrire ce montant à sa déclaration
de revenu. Toutefois, si le même marchand achète des marchandises pour son
entreprise à l’aide de Bitcoins, il devra comptabiliser cette opération en
utilisant le taux de change Bitcoins – Dollars canadiens en vigueur le jour de
la transaction[iv].
En outre, l’achat et la
vente de cryptomonnaies à des fins de spéculation (par exemple celui qui
achèterait des Bitcoins dans le simple but de les revendre plus tard, à profit)
sont soumis aux règles fiscales relatives aux transactions de valeurs
mobilières. Cela implique donc que ces contribuables sont susceptibles d’être
imposés sur les pertes ou les gains en capital[v].
En comparaison, chez nos
voisins du Sud, les cryptomonnaies sont considérées comme une « property »[vi], et toute transaction en
Bitcoins est traitée comme une transaction de valeurs mobilières, imposée sur
le gain en capital[vii].
Cela complique grandement
le commerce en Bitcoins, puisqu’il faudrait alors calculer le gain ou la perte en
capital sur chaque Bitcoin échangé, selon sa valeur à la date d’acquisition et sa
valeur à la date de disposition (l’achat des biens ou des services). Il s’agit
d’un processus administratif lourd pouvant ralentir l’implantation de ce type
d’innovation financière.
Lutte
contre la criminalité
Malgré tous les avantages
qu’elles offrent, les cryptomonnaies sont aussi reconnues pour être utilisées à
des fins malhonnêtes, par exemple sur le défunt site web SilkRoad, où l’on
pouvait se procurer toutes sortes de marchandises illicites en échange de
Bitcoins. Ce n’est donc pas surprenant que les institutions financières se soient
montrées timides face aux cryptomonnaies, ce qui a restreint leur implantation
au Canada.
Plusieurs commerces
d’échange de Bitcoins craignaient notamment de ne pas se conformer aux
dispositions de la Loi sur le recyclage
des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes.
En effet, il existait une confusion à savoir si ces commerces devaient être
inscrits auprès du Centre d’analyse des opérations et déclarations financières
du Canada en tant qu’entreprises se livrant à des opérations de change.
Le 19 juin 2014, le
Parlement a adopté des dispositions législatives amendant ladite loi afin d’inclure
à son champ d’application les personnes ou entités se livrant au « commerce
d’une monnaie virtuelle »[viii], ce qui obligerait de
tels commerces à s’inscrire auprès des autorités et à se conformer aux
exigences en matière de lutte au blanchiment d’argent. Cette modification n’est
toutefois pas encore entrée en vigueur à ce jour.
Conclusion
Les bénéfices économiques
que pourraient apporter les cryptomonnaies et la technologie des blockchains sont indéniables, au point
tel que le Parlement Européen a récemment adopté une résolution soulignant que
les monnaies virtuelles « sont susceptibles de contribuer positivement au
bien-être des citoyens et au développement économique », en rappelant cependant
que celles-ci « présentent des risques qui doivent être soigneusement examinés »[ix].
Au Québec et au Canada, quoique
le Bitcoin existe depuis plus de 7 ans – une période énorme en matière de
technologies, beaucoup de questions restent à éclaircir sur les implications
juridiques des transactions impliquant des monnaies virtuelles. On peut notamment
se questionner sur la position qu’adopteront les tribunaux relativement à des
dettes contractées en Bitcoins, puisque tout jugement rendu par un tribunal
canadien doit être en devises canadiennes[x].
Comment les tribunaux
aborderont-ils l’aspect du « taux de change » à appliquer? Au Québec,
un montant dû en Bitcoins serait-il susceptible d’exécution en « nature »?
Qu’en est-il du risque de variation du taux de change? Une foule de questions
subsistent, et il est à parier que la jurisprudence se prononcera sur celles-ci
dans un avenir rapproché.
Le droit des technologies
vous intéresse?
Le comité Technologie de
l’information du Jeune Barreau de Montréal a le plaisir de
vous convier à la 11e édition de Legal.IT, un évènement qui se
déroulera le 23 mars 2017 au Centre des Sciences de Montréal. La conférence est
un incontournable pour les professionnels œuvrant en dans les technologies. En
plus des conférences, Legal.IT est aussi l’occasion pour les professionnels,
créateurs numériques et investisseurs engagés dans l’innovation de se
rencontrer et de discuter. Les conférences seront également suivies d’un
cocktail. Pour vous inscrire, cliquez ici.
** L’équipe du Blogue vous
invite à consulter la décision récente suivante, laquelle cite le Bitcoin :
VX5 Technologies inc. c. Ambassade Bitcoin, 2016 QCCS
5765
Le lien est vers SOQUIJ.
[i] « Bitcoin: MtGox se place sous la protection de la loi sur les faillites au
Japon », Le Huffington Post Québec (28 février 2014) <http://quebec.huffingtonpost.ca/2014/02/28/bitcoin-mtgox-faillite-perte-demi-milliard-dollars-monnaie-virtuelle_n_4872442.html>.
[ii] <http://coinmarketcap.com/currencies/bitcoin/#charts>
(consulté le 15 février 2017).
[iii] Agence du revenu du Canada, « Que
devez-vous savoir à propos de la monnaie numérique? » (3 décembre 2014)
<http://www.cra-arc.gc.ca/nwsrm/fctshts/2013/m11/fs131105-fra.html>
[iv] Agence du revenu du Canada, Bulletin
d’interprétation, IT-490, « Troc » (5 juillet 1982) <http://www.cra-arc.gc.ca/F/pub/tp/it490/it490-f.html>
[v] Supra
notes 3 et 4.
[vi] É-U, Internal Revenue Service, IRS Virtual Currency Guidance (Notice
2014-21) <https://www.irs.gov/pub/irs-drop/n-14-21.pdf>
[vii] Michael Scott, « Bitcoin Transactions and American Taxation:
An Interview With Daniel Winters », NASDAQ <http://www.nasdaq.com/article/bitcoin-transactions-and-american-taxation-an-interview-with-daniel-winters-cpa-cm712172>
[viii] Loi
no 1 sur le plan d’action économique de 2014, LC 2014, c 20, art 256.
[ix] Union européenne, Résolution du Parlement européen du 26 mai 2016 sur les monnaies
virtuelles <http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//TEXT+TA+P8-TA-2016-0228+0+DOC+XML+V0//FR&language=FR>
[x] Loi
sur la monnaie, LRC 1985, c C-52, art 12.
Un article très intéressant.
Félicitation.