Sélection SOQUIJ – Droit de la famille — 192767, 2019 QCCS 5769
Par SOQUIJ, Intelligence juridique
FAMILLE : Un
adolescent de 16 ans a le droit de refuser de fournir une copie de ses
passeports, de son certificat de citoyenneté et d’autres documents personnels
du même genre à son père; le droit à la vie privée de l’adolescent l’emporte en
l’espèce sur l’autorité parentale.
2020EXP-362
Intitulé : Droit de la famille — 192767, 2019 QCCS 5769
Juridiction : Cour supérieure (C.S.), Montréal
Décision de : Juge Claude Dallaire
Date : 2 décembre 2019
Références : SOQUIJ AZ-51666852, 2020EXP-362 (22 pages)
Résumé
FAMILLE — autorité
parentale — communication de documents — passeports, certificat de citoyenneté
et documents personnels — adolescent de 16 ans — demande du père —
opposition de l’adolescent — droit à la vie privée — autorité parentale du
père.
DROITS ET LIBERTÉS
— droits et libertés fondamentaux — vie privée — matière familiale —
communication de documents — passeports, certificat de citoyenneté et documents
personnels — adolescent de 16 ans — demande du père — opposition de
l’adolescent — autorité parentale du père.
PERSONNES —
minorité.
Demande en communication de
documents. Rejetée.
X est âgé de 16 ans, ses parents
sont en instance de divorce et il n’a pas de contacts avec son père. Ce dernier
souhaite obtenir une copie de différents documents relatifs à l’adolescent,
tels ses passeports, son certificat de citoyenneté et d’autres documents personnels
du même genre. Il allègue que son autorité parentale lui accorderait d’office
le droit d’obtenir de tels renseignements puisqu’ils visent son fils. Il fait
aussi valoir que, si c’est le gouvernement fédéral qui établit les modalités de
délivrance des passeports, il reviendrait ensuite au palier provincial — par la
voie des dispositions relatives à l’autorité parentale du Code civil du
Québec — d’en régir les modalités de détention lorsqu’un passeport est
délivré au nom d’un mineur. La mère refuse de communiquer l’ensemble des
informations demandées, par solidarité envers X. Elle prétend notamment que le
père n’aurait pas le droit de constituer un dossier sur son fils sans raison
valable, ce qu’il semble vouloir faire en demandant tous ces documents. Elle
ajoute qu’accueillir une telle demande irait à l’encontre de plusieurs articles
de lois touchant la protection de la vie privée et celle des renseignements
personnels qui permettent d’identifier une personne. Elle fait aussi diverses
analogies avec des dispositions du Code civil du Québec qui
émancipent les mineurs à certains égards en retirant aux parents certains
attributs de leur autorité parentale. Enfin, X fait valoir que son droit à la
vie privée devrait faire échec aux demandes de son père et il fait aussi
référence à des arguments avancés par sa mère.
Décision
Les droits d’un enfant d’obtenir un passeport et de voyager sont des sujets qui
relèvent de l’autorité parentale. En l’espèce, il faut d’ailleurs noter que le
père a consenti à ce que X voyage sans autorisation de manière générale. Une
ordonnance a ensuite été rendue permettant à l’adolescent de voyager seul, sans
le consentement de ses 2 parents. Une telle ordonnance entraîne divers
effets, et X bénéficie maintenant d’un certain pouvoir de décider de ses allées
et venues. Cette réalité est de nature à augmenter son expectative de vie
privée puisqu’il peut maintenant aller où bon lui semble sans demander la
permission de ses parents. On peut se demander pour quelle raison il devrait
être forcé de remettre une copie de ses passeports à son père puisque ceux-ci
peuvent indiquer les lieux où il se déplace et les moments où il a voyagé.
L’article 2 du Décret sur les passeports canadiens prévoit
que, à partir de 16 ans, un adolescent a le droit d’obtenir un passeport
sans l’autorisation de ses parents. En permettant cela, le législateur fédéral
crée un nouveau cas d’émancipation partielle en faveur de l’enfant mineur âgé
de 16 ans et plus. Cette autonomie, qui est aussi accordée dans d’autres
sphères de la vie des enfants mineurs — obtention d’un numéro d’assurance
sociale, consentement aux soins de santé et conclusion d’un contrat de
travail — vient aussi augmenter l’expectative de vie privée à l’égard de
ces matières, car elle s’accompagne d’une obligation de confidentialité imposée
aux personnes qui interagissent avec des adolescents lorsque des renseignements
personnels et de nature privée leur sont communiqués. Cette obligation protège
des informations personnelles qui bénéficient de la protection de
l’article 5 de la Charte des droits et libertés de la personne et
empêche aussi à quiconque d’y accéder ou d’en obtenir des copies, y compris les
parents, dans certaines circonstances. En l’espèce, X a fourni plusieurs
informations personnelles aux autorités compétentes en vue d’obtenir certains
documents. Il a le droit de garder les informations contenues dans son
passeport pour lui-même. Il aurait pu en être autrement si son intérêt
supérieur commandait de faire une brèche dans son droit à la vie privée, ce qui
n’a pas été établi en l’espèce.
En ce qui concerne la possibilité de constituer un dossier sur un enfant ou un
adolescent, une autorisation en ce sens ne peut être accordée que lorsqu’une
personne démontre qu’elle a un intérêt sérieux, légitime et non contraire à la
loi de le faire. Or, le seul fait d’être le père d’un enfant, bien qu’il
satisfasse au critère de la légitimité, ne remplit pas le critère de l’intérêt
sérieux. La demande du père est donc contraire aux lois qui protègent la vie privée
de X. Non seulement elle viole l’article 5 de la charte, mais l’adolescent
s’oppose à la demande de communication.
Le
texte intégral de la décision est disponible ici
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