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Elsa Rizkallah
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21 Oct 2020

COVID-19: un arrêt de la Cour d’appel interprète la notion d’impossibilité d’agir de l’article 363 C.p.c.

Par Elsa Rizkallah

Bien que l’arrêt de la Cour d’appel, Ewert c. Lalande, 2020 QCCA 1141, soit en matière pénale et criminelle, il n’est pas sans intérêt pour les civilistes !

La Cour d’appel y traite de la question de la prolongation des délais prévue à l’article 363 du C.p.c. en matière d’habeas corpus avec certiorari auxiliaire dans le contexte de l’urgence sanitaire liée à la Covid-19.

Contexte

L’appelant, Jeffrey Ewert, est incarcéré depuis 1986, purgeant une peine de prison à perpétuité. À la suite d’un incident dans l’établissement carcéral de sécurité minimale où il se trouvait depuis le 17 juin 2019, il est transféré dans un établissement aux niveaux de sécurité multiples. D’avis que ce transfert lui fait subir une perte de liberté résiduelle, l’appelant dépose une demande d’habeas corpus avec certiorari auxiliaire devant la Cour Supérieure (chambre criminelle), laquelle est rejetée le 28 novembre 2019. Insatisfait de la décision, l’appelant se pourvoit en appel le 27 décembre 2019, soit dans le délai de 30 jours établi par le Code criminel[1].

Toutefois, le 24 avril 2020, la Cour d’appel a rendu une décision dans l’affaire Snooks c. Procureur général du Canada[2] indiquant qu’une telle demande d’habeas corpus est assujettie à la procédure civile et non à la procédure criminelle, réduisant ainsi à 10 jours le délai d’appel[3]. Compte tenu de cet arrêt, l’appelant sollicite une prolongation de délai d’appel en vertu de l’article 363 C.p.c. le 28 juin 2020 :

363. Les délais d’appel sont de rigueur et emportent déchéance du droit d’appel.

Néanmoins, la Cour d’appel peut autoriser l’appel s’il ne s’est pas écoulé plus de six mois depuis le jugement et si elle estime que la partie a des chances raisonnables de succès et qu’elle a, en outre, été en fait dans l’impossibilité d’agir plus tôt. Elle peut, même après l’écoulement du délai fixé, autoriser un appel incident si elle l’estime approprié.

Un juge d’appel peut aussi, sur demande, suspendre les délais d’appel dans le cas où le jugement porté en appel a réservé au demandeur le droit de réclamer des dommages-intérêts additionnels en réparation d’un préjudice corporel. Il le fait si des motifs impérieux commandent de réunir l’appel de ce jugement et celui portant sur la demande de dommages-intérêts additionnels; il détermine alors le temps et les conditions de la suspension.

Or, le délai de six mois mentionné à cet article est expiré puisque le jugement de première instance a été prononcé le 28 novembre 2019. La question qui se pose est donc celle de savoir si ce délai de six mois a été suspendu par l’effet de l’arrêté adopté par le gouvernement le 15 mars 2020 selon lequel les délais de prescription ou de procédure sont suspendus. Cette déclaration d’urgence sanitaire a été renouvelée à de nombreuses reprises. Le 31 août 2020, la suspension des délais en matière civile a finalement été levée.

Décision

La Cour d’appel conclut sans équivoque que les délais d’appel des articles 360 et 361 C.p.c. ainsi que le délai de six mois prévus à l’article 363 C.p.c., étaient suspendus entre le 15 mars 2020 et le 31 août 2020 inclusivement. L’appelant peut donc se prévaloir de l’article 363 C.p.c. pour tenter d’obtenir une prolongation de délai.

Toutefois, la Cour d’appel rappelle que cette suspension n’exempte pas toutefois l’appelant d’effectuer la démonstration que les deux autres critères cumulatifs énoncés à l’article 363 C.p.c. sont remplis : (1) l’impossibilité d’agir plus tôt et (2) les chances raisonnables de succès de l’appel. D’emblée, la Cour fait une mise en garde :

« [15] Le critère de l’impossibilité d’agir plus tôt présente une importance particulière dans le cadre de la suspension du délai de six mois, puisque cette suspension n’a pas pour objet d’encourager l’inaction des parties, mais plutôt de pallier les difficultés que celles-ci peuvent subir en raison de l’urgence sanitaire. Ainsi, bien que, dans ce cas-ci, la Cour puisse autoriser l’appel malgré le long délai couru depuis le jugement de première instance, ce n’est que dans la mesure où l’appelant démontre son impossibilité d’agir avant la suspension des délais le 15 mars 2020. Les justiciables ne doivent donc pas tenir pour acquis que la Cour autorisera une demande en vertu de l’article 363 C.p.c. à la simple invocation de l’urgence sanitaire. L’impossibilité d’agir avant le 15 mars 2020 et, le cas échéant, après le 1er septembre 2020 doit être établie. Bien que l’urgence sanitaire puisse être assimilée à l’impossibilité d’agir durant la période de suspension s’étalant du 15 mars au 1er septembre 2020, ce n’est pas le cas pour les périodes antérieure et postérieure à ces dates. »

A la lumière des faits de l’espèce, la Cour d’appel considère que l’appelant remplit le critère d’impossibilité d’agir. En effet, le 27 décembre 2019, l’appelant avait respecté le délai d’appel de 30 jours prévu par le Code criminel et ne pouvait raisonnablement prévoir les conclusions de l’arrêt Snooks rendu quatre mois plus tard. Il ne s’agit donc pas d’un cas de négligence, mais plutôt d’une erreur excusable à l’égard du délai d’appel applicable.

La Cour d’appel accueille donc la demande de prolongation de délai d’appel et autorise l’appel.

L’appel au fond est rejeté par la Cour d’appel. Le lecteur est référé aux paragraphes 20 et suivants à cet égard.

Le texte intégral de la décision est disponible ici.

[1] Article 784(1) du Code criminel.

[2] 2020 QCCA 586.

[3] Article 361 C.p.c.

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