Sélection SOQUIJ – Droit de la famille — 201878, 2020 QCCA 1587
Par SOQUIJ, Intelligence juridique
FAMILLE : Le juge
de première instance était fondé à attribuer une indemnisation à l’intimée en
raison d’un enrichissement injustifié; au terme de la vie commune des parties,
l’appelant s’est retrouvé avec une part disproportionnée de la richesse accumulée
grâce aux efforts combinés des parties.
2020EXP-2848
Intitulé : Droit de la famille — 201878, 2020 QCCA 1587
Juridiction : Cour d’appel (C.A.), Montréal
Décision de : Juges Manon Savard (juge en chef), Claudine Roy et Stéphane Sansfaçon
Date : 27 novembre 2020
Références : SOQUIJ AZ-51725784, 2020EXP-2848 (61 pages)
Résumé
FAMILLE — union de
fait — enrichissement injustifié — contributions respectives des parties —
apport de services familiaux et domestiques — latitude de se concentrer sur une
entreprise — coentreprise familiale — indemnité — transfert — résidence
familiale — provision pour frais.
OBLIGATIONS —
sources particulières — enrichissement injustifié — union de fait —
contributions respectives des parties — apport de services familiaux et
domestiques — latitude de se concentrer une entreprise — coentreprise familiale
— indemnité — transfert — résidence familiale.
Appel d’un jugement de la Cour
supérieure ayant accueilli une demande en réclamation d’une somme d’argent pour
enrichissement injustifié et d’une provision pour frais. Accueilli en partie.
Les parties ont commencé à faire vie
commune en 1997. À compter de 2000, l’appelant s’est investi entièrement dans
ses entreprises alors que l’intimée s’est chargée seule des tâches reliées à
leur résidence et à leurs enfants, en plus d’occuper un emploi. À partir de
2007, vu le succès de ses entreprises, l’appelant a réduit considérablement ses
heures de travail. En 2012, il a vendu l’une de ses entreprises, ce qui lui a
personnellement rapporté 17 millions de dollars. Quelques mois plus tard,
il a rompu avec l’intimée. Cette dernière a alors introduit sa demande.
L’appelant reproche principalement au juge de première instance d’avoir
instauré l’équivalent d’un régime de droit que le législateur avait, à ce jour,
volontairement refusé d’adopter, en faisant appel à des règles de droit
étrangères au droit civil, nommément les notions de «coentreprise familiale» et
de «valeur accumulée» élaborées par la Cour suprême dans Peter c.
Beblow (C.S. Can., 1993-03-25), SOQUIJ AZ-93111029, J.E. 93-660,
[1993] R.D.F. 369 (rés.), [1993] 1 R.C.S. 980, et Kerr c. Baranow (C.S.
Can., 2011-02-18), 2011 CSC 10, SOQUIJ AZ-50722538, 2011EXP-624, J.E. 2011-333,
[2011] 1 R.C.S. 269.
Décision
M. le juge Sansfaçon, à l’opinion duquel souscrit la juge Roy: En
matière d’enrichissement injustifié, le droit civil a su puiser dans ses
propres sources, sans devoir emprunter à la common law, les notions d’«équité»
qui ont permis à la Cour suprême de répondre à une situation qu’elle
considérait comme injuste (Cie immobilière Viger Ltée c. Lauréat Giguère
Inc. (C.S. Can., 1976-01-30), SOQUIJ AZ-77111075, [1977] 2 R.C.S. 67).
Les conditions d’application du recours pour enrichissement injustifié ont par
la suite été codifiées lors de l’entrée en vigueur du Code civil du
Québec (C.C.Q.), aux articles 1493 et ss. Cette doctrine ne met pas en
place, à l’égard des conjoints de fait, les règles du patrimoine familial
applicables aux conjoints mariés ou unis civilement ni ne leur impose une
société d’acquêts. Les conditions de son application doivent être prouvées, et
l’indemnité sera déterminée en fonction de la preuve présentée. Pour ce qui est
de l’appel aux notions de «coentreprise familiale» et de «valeur accumulée», il
ne s’agit pas de concepts étrangers au droit civil. Enfin, l’appauvrissement
dont il est question à l’article 1493 C.C.Q., constaté dans le cadre d’une
union de fait pouvant être qualifiée de coentreprise familiale, peut très bien
être défini comme le pendant de l’enrichissement qui découle des services
donnés par l’appauvri au conjoint enrichi.
En l’espèce, l’appelant a quitté la relation avec une part disproportionnée de
la richesse accumulée grâce aux efforts communs des parties, alors que ceux de
l’intimée n’ont pas été compensés à leur juste valeur. C’est sous cet angle
qu’un appauvrissement doit être constaté. Quant à la coentreprise familiale,
certains éléments militaient en faveur de sa reconnaissance, dont l’intention
réelle des parties pendant leur union. Les efforts déployés par l’intimée ont
été faits non seulement dans le but commun de fonder une famille, mais aussi
dans celui d’arriver à un certain résultat, qui était de partager la richesse
que les parties avaient créée ensemble. Le juge n’a pas commis d’erreur en
attribuant à l’intimée une indemnité correspondant à 20 % de
l’accroissement de la valeur de l’entreprise de l’appelant au jour de la
cessation de la vie commune, ce qui tenait compte du fait que ses efforts
disproportionnés n’avaient été fournis que de 2000 à 2007. Une intervention
s’impose quant à la décision d’ordonner le transfert de la moitié indivise de
l’appelant dans la résidence familiale en faveur de l’intimée à titre de
paiement partiel de l’indemnité. En effet, le législateur n’a pas accordé au
juge le pouvoir d’attribuer certains biens à l’appauvri en matière
d’enrichissement injustifié. Un droit prioritaire d’acquérir la part indivise
de l’appelant dans l’immeuble sera accordé à l’intimée selon l’évaluation qui
en sera faite.
Mme la juge en chef Savard, à l’opinion de laquelle souscrit
le juge Sansfaçon: Le passage du temps et l’influence de jugements de
la Cour suprême dans des affaires de common law ont mené à une
conception, peut-être plus libérale, de la notion d’«appauvrissement» et, par
conséquent, de l’indemnité à laquelle l’article 1493 C.C.Q. renvoie. La méthode
de la valeur accumulée et la notion de la «coentreprise familiale» ressortant
de ces décisions de common law s’inscrivent dans l’objectif de
cette voie d’action qu’est l’enrichissement injustifié et respectent
l’évolution sociétale entourant le partage et la valeur des responsabilités
relatives à l’entretien et à l’éducation des enfants, ainsi qu’aux travaux
domestiques. Il s’agit donc de respecter la volonté des conjoints de fait, qui
sont libres d’établir leurs propres règles quant au partage de leurs biens patrimoniaux
lorsqu’ils ont opté pour la mise en place au sein de leur couple d’une
coentreprise familiale, laquelle peut prendre la forme qu’ils désirent lui
donner. En l’espèce, le juge a conclu à la volonté réelle des parties de
constituer une coentreprise dans laquelle elles se sont respectivement
engagées, à tout le moins de 2000 à 2007. L’enrichissement de l’appelant, qui
est circonscrit à la somme obtenue au moment de la vente de l’entreprise, est
le fruit des efforts conjugués des parties, tandis que l’appauvrissement de
l’intimée prend la forme du manque à gagner dans son patrimoine découlant de
cette entreprise. Il y a lieu de faire preuve de déférence quant à ces
conclusions, qui relèvent, pour l’essentiel, de l’appréciation d’une preuve
factuelle par le juge.
Instance précédente : Juge Robert Mongeon, C.S., Montréal, 500-04-066225-153, 2018-09-18, 2018
QCCS 4195 (jugement rectifié le 2018-10-09), SOQUIJ AZ-51530578.
Réf. ant : (C.S., 2018-09-18 (jugement rectifié le 2018-10-09)), 2018 QCCS 4195,
SOQUIJ AZ-51530578, 2018EXP-2963; (C.A., 2018-12-18), 2018 QCCA 2190, SOQUIJ
AZ-51556272, 2019EXP-138.
Suivi : Requête pour suspendre l’exécution du jugement de la Cour d’appel,
2020-12-04 (C.A.), 500-09-027904-184.
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