Ouellet c. R. : La conduite d’un policier jugée déraisonnable par la Cour d’appel
Par Marie-Michèle Paquin, avocate et Marie-Jeanne Tétreault, étudiante à la Faculté de droit de l’Université de Montréal
Les policiers ont pour mission de maintenir la paix, l’ordre et la sécurité publique, de prévenir et de réprimer le crime et d’en rechercher les auteurs[1]. Toutefois, bien qu’ils jouissent de pouvoirs importants dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions, ces derniers ne peuvent être exonérés pour une conduite déraisonnable. Dans l’arrêt Ouellet[2], la Cour d’appel confirme la déclaration de culpabilité de conduite dangereuse causant la mort d’un policier ayant manqué de prudence au volant dans le cadre de ses fonctions.
Faits :
Le 13 février 2014, dans le cadre d’une opération de filature, l’agent policier Ouellet tente de suivre un suspect au volant de sa voiture. Il décide d’adopter la technique de « rattrapage » qui consiste à rouler plus rapidement. Or, le secteur en question est résidentiel et la limite permise est de 50 kilomètres à l’heure. De plus, l’appelant conduit sans sirènes et gyrophares. Peu avant l’accident, l’appelant atteint une vitesse de 134 kilomètres à l’heure. Plusieurs témoins de la scène ont qualifié sa conduite comme s’apparentant à une « course de rue ». Puis, à l’approche de l’intersection, l’appelant aperçoit un véhicule immobilisé dans la voie de gauche, en sens inverse, qui amorce un virage. Malgré le freinage immédiat de l’appelant, la collision est inévitable et mortelle pour un enfant à bord du véhicule.
Au départ, la Directrice des poursuites criminelles et pénales a décidé de ne pas porter d’accusations. La Ministre a consulté et discuté avec la Directrice de la possibilité de confier l’évaluation du dossier à des procureurs indépendants[3]. Suite à l’obtention d’un complément d’information par cette nouvelle équipe, elle a annoncé la mise en place d’un comité spécial chargé d’évaluer l’enquête. Le comité recommande que l’appelant soit accusé de conduite dangereuse ayant causé la mort. La Directrice revient alors sur sa décision initiale. Le 19 juillet 2018, la Cour du Québec rend un verdict de culpabilité à l’endroit de l’appelant.
Questions en litige :
Dans le cadre de son arrêt, la Cour d’appel du Québec se penche sur deux questions :
- Est-ce qu’il y a eu un abus de procédures qui justifierait de prononcer l’arrêt des procédures?
L’appelant invoque trois moments lors desquels la conduite du poursuivant aurait été inacceptable et aurait compromis sérieusement l’intégrité du système de justice. Premièrement, l’intervention de la ministre de la Justice et de la procureure générale auprès de la Directrice après que celle-ci ait annoncé son intention de ne pas porter d’accusation. Deuxièmement, la mise sur pied d’un comité externe chargé de procéder à une nouvelle évaluation de la preuve au dossier. Troisièmement, la décision de la Directrice de porter une accusation conformément à la recommandation de ce comité.
- Est-ce que le verdict de culpabilité rendu en première instance par le juge de la Cour du Québec est déraisonnable?
L’appelant invoque deux éléments qui invalideraient le verdict rendu en première instance : une erreur de droit quant aux éléments constitutifs de l’infraction et un verdict de culpabilité déraisonnable.
Analyse :
- La requête de la défense en arrêt des procédures
La Cour du Québec a rejeté la requête en arrêt des procédures présenté en première instance par l’appelant. Il conclut qu’il existe une présomption de bonne foi et que le pouvoir discrétionnaire de la Ministre et de la Directrice a été exercé de manière indépendante[4]. Il poursuit en énonçant que renverser la présomption, l’appelant aurait dû démontrer, par une preuve concluante, que la Ministre avait donné un ordre à la Directrice de modifier sa décision originale de ne pas porter d’accusations[5].
La Cour d’appel arrive à la même conclusion; l’intervention de la Ministre auprès de la Directrice n’était pas illégitime puisque la première n’a pas dicté à la deuxième la voie à suivre[6]. Au nom de la majorité, le juge Chamberland s’exprime ainsi :
De plus, les échanges entre la Ministre et la Directrice s’inscrivent en quelque sorte dans la normalité des relations […] L’article 23 de la Loi [sur le Directeur des poursuites criminelles et pénales] l’impose même lorsque le procureur général envisage de prendre en charge une affaire ou de donner à la Directrice des instructions sur sa conduite[7].
En effet, l’article 23 de la Loi sur le Directeur des poursuites criminelles et pénales indique que le procureur général est tenu, le cas échéant, de donner au directeur un avis de son intention de prendre en charge une affaire ou de donner des instructions sur la conduite d’une affaire et de publier, sans tarder, l’avis ou les instructions à la Gazette officielle du Québec[8].
De plus, la Cour indique que la mise sur pied d’un comité externe formé d’experts indépendants s’inscrit dans la sphère de l’exercice du pouvoir discrétionnaire du poursuivant en matière de poursuites criminelles et est, de ce fait, entièrement légale[9].
Enfin, la décision prise par la Directrice de porter une accusation contre l’appelant relève exclusivement de l’exercice de son pouvoir discrétionnaire[10]. À moins d’obtenir une preuve concluante du contraire, la décision est présumée avoir été prise en toute indépendance, à l’abri de toute influence politique, policière ou médiatique[11].
- Le verdict de culpabilité
La Cour du Québec conclut à la culpabilité de l’appelant pour l’infraction de conduite dangereuse ayant causé la mort. Concernant les éléments de l’infraction, il indique que la conduite était objectivement dangereuse (actus reus), que la conduite de l’appelant constituait un écart marqué par rapport à la conduite qu’aurait adoptée un policier raisonnable dans les mêmes circonstances (mens rea) et finalement, que la conduite a contribué de manière appréciable au décès de la victime[12].
La Cour d’appel en arrive encore une fois à la même conclusion. Pour commencer, la Cour analyse les éléments constitutifs de l’infraction de conduite dangereuse ayant causé la mort. Pour ce qui est de l’actus reus, l’appelant devait s’attendre à ce qu’une situation imprévisible, où une réaction rapide serait nécessaire, surgisse à tout moment compte tenu de sa conduite[13]. Du côté de la mens rea, la Cour reprend les critères de l’arrêt Roy[14]. Un policier raisonnable aurait pu prévoir le risque d’avoir un accident à cette vitesse et aurait pris des mesures pour l’éviter. L’omission de l’appelant de prendre ces mesures constitue un écart marqué par rapport à la norme de diligence. Il a intentionnellement causé un danger pour les autres usagers de la route, et ne pouvait ignorer les risques afférents à sa conduite dangereuse[15].
Ensuite, la Cour exprime que le verdict de culpabilité rendu par la Cour du Québec est raisonnable puisque le jugement est bien dirigé en droit[16]. Le fait que deux autres agents policiers présents lors de l’accident adoptaient une conduite similaire à celle de l’appelant ne peut contribuer à semer un doute quant à son intention de commettre l’infraction[17]. Bien que plus d’un policier ait adopté une conduite semblable, celle-ci ne peut constituer la norme de conduite de la personne raisonnable dans les mêmes circonstances.
Conclusion :
En conclusion, cet arrêt établit clairement que les policiers doivent aussi faire preuve de prudence sur la route dans le cadre de leurs fonctions, notamment lors de filatures. Pour les motifs invoqués précédemment, la Cour rejette l’appel.
Vous trouverez le lien vers la décision ici.
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