Emprisonnement résultant d’une violation du droit d’auteur : saga juridique entourant le Code canadien de l’électricité
Par Jessie McKinnon, avocate
Dans les décisions Canadian Standards Association c. P.S. Knight Co Ltd, 2021 FC 770 et Canadian Standards Association c. P.S. Knight Co. Ltd., 2021 FC 1346 et, la Cour fédérale ordonne le paiement d’une amende ainsi que l’emprisonnement pour avoir fait défaut d’observer un jugement qu’elle a rendu dans un litige concernant le droit d’auteur sur le Code canadien de l’électricité. Bien que le verdict de culpabilité pour outrage au tribunal et la détermination de la sentence aient fait l’objet de jugements distincts, ils seront abordés dans ce même billet.
Contexte
Canadian Standards Association (« CSA ») est une organisation à but non lucratif qui développe des normes dans divers domaines et les publie. L’une de ces publications est le Code canadien de l’électricité (le « Code CSA »).
P.S. Knight Co. Ltd. (« Knight Co. ») et PS Knight Americas Inc. (« Knight Americas ») sont des maisons d’édition dont l’unique administrateur et dirigeant est M. Knight (collectivement les « Défendeurs »).
L’historique entre CSA et Knight Co. remonte à 1968 et est plutôt dense, donc pour les fins de ce billet, seuls les faits essentiels à ce litige seront observés.
L’origine du litige débute avec la parution de l’édition 2015 du Code CSA. CSA alléguait que Knight Co. et M. Knight commettaient une violation de son droit d’auteur en reproduisant, distribuant et vendant une publication substantiellement similaire au Code CSA (le « Code Knight »). En 2016, la Cour fédérale a reconnu la violation du droit d’auteur de CSA et a ordonné que Knight Co., ses dirigeants, administrateurs, employés et sociétés affiliées cessent de copier le Code CSA, en plus du paiement de dommages et la remise de toutes les copies du Code Knight (le « Jugement »), ce qui a été confirmé par la Cour d’appel fédérale en 2018. En 2019, la Cour suprême du Canada a refusé d’autoriser l’appel.
Constatant que les Défendeurs avaient commencé en octobre 2020 à reproduire, distribuer et vendre le Code Knight, édition 2018, par l’entremise de la société nouvellement incorporée Knight Americas, CSA a intenté des procédures afin de faire déclarer les Défendeurs coupables d’outrage au tribunal en vertu de l’article 466(b) et (c) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106.
Décision
Les Défendeurs ont soulevé 4 moyens de défense à l’encontre de l’accusation d’outrage au tribunal :
« [6] […] (i) the injunction is restricted to the 2015 edition of the Knight Code and does not enjoin later editions of the Knight Code;
(ii) only Knight Co. was found liable for copyright infringement; therefore, Mr. Knight and Knight Americas cannot be held in contempt of the Judgment;
(iii) the Knight Parties have not contravened CSA’s copyright in the 2015 CSA Code without CSA’s permission because: (a) the CSA Code has been incorporated into law and may be freely reproduced without infringing copyright; and (b) a written agreement between the respondents and CSA permits the Knight Parties to reproduce and sell copies of the CSA Code, or at least the 2018 edition of the CSA Code; and
(iv) the Knight Code is now published by Knight Americas in the United States, which is beyond the jurisdiction of this Court and the Judgment. »
La Cour fédérale a rejeté tous ces moyens et a déclaré les Défendeurs coupables d’outrage au tribunal. Ce faisant, elle rappelle que, pour conclure à outrage civil, trois éléments doivent être établis hors de tout doute raisonnable :
« [21] […] the order alleged to have been breached must state clearly and unequivocally what should and should not be done; the alleged contemnor must have had knowledge of the order; and the alleged contemnor must have intentionally carried out the act that the order prohibits or failed to carry out the act that the order requires: Carey v Laiken, 2015 SCC 17 at paras 33-35 [Carey]. »
Tous ces éléments sont rencontrés en l’espèce.
Traitant le premier élément et les deux premiers arguments des Défendeurs, la Cour conclut que le Jugement était clair et qu’il visait expressément tous les dirigeants, administrateurs, employés et sociétés affiliées de Knight Co., incluant ainsi M. Knight et Knight Americas. L’édition 2018 du Code CSA étant substantiellement similaire à celle de 2015, les Défendeurs ont donc violé le droit d’auteur de CSA dans l’édition 2015 du Code CSA, tel que visé par le Jugement. Le Jugement était donc clair et non-équivoque.
En ce qui a trait au deuxième élément, les Défendeurs n’ont pas nié avoir eu connaissance du Jugement.
Quant au troisième élément, la Cour conclut que les Défendeurs ont intentionnellement reproduit, distribué et/ou vendu le Code Knight, édition 2018, ce qui était prohibé par le Jugement, vu les conclusions précédentes. Le troisième argument des Défendeurs n’a pas été retenu. En effet, la Cour d’appel fédérale, dans son jugement de 2018, avait statué que les lois et règlements peuvent être sujets au droit d’auteur au Canada. De plus, l’entente invoquée par les Défendeurs ne supportait pas leur argument.
Finalement, la Cour adresse le quatrième argument des Défendeurs quant à la juridiction de la Cour. Reprenant les termes de l’honorable juge Bastarache, elle conclut avoir juridiction en regard des actes de Knight Americas :
« [63] […] As I see it, all that is necessary to make an offence subject to the jurisdiction of our courts is that a significant portion of the activities constituting that offence took place in Canada. »
Il est ressorti de la preuve que Knight Americas opérait, du moins en partie, à partir du Canada et que Knight Co. avait participé à la publication de l’édition 2018 du Code Knight.
Suivant ce verdict de culpabilité, une audience sur la sentence a été fixée à une date ultérieure.
Malgré que les Défendeurs aient été dûment informés des procédures, ils ne se sont pas présentés à l’audience sur la sentence.
De son côté, CSA a suggéré une amende de 10 000$ à l’encontre des Défendeurs et une peine minimale d’emprisonnement de 6 mois pour M. Knight, suivant quoi la Cour demeure saisie du dossier afin de pouvoir imposer d’autres sanctions si nécessaire. Ces peines sont permises en vertu de l’article 472 des Règles des Cours fédérales.
La Cour rappelle les principaux facteurs établis par la jurisprudence à être considérés au moment de déterminer la sentence appropriée en matière d’outrage au tribunal :
« (i) The primary purpose of imposing sanctions is to ensure compliance with orders of the court. Specific and general deterrence are important to ensure continued public confidence in the administration of justice;
(ii) Proportionality of sentencing requires striking a balance between enforcing the law and what the Court has called “temperance of justice”;
(iii) Aggravating factors include the objective gravity of the contemptuous conduct, the subjective gravity of the conduct (i.e. whether the conduct was a technical breach or a flagrant act with full knowledge of its unlawfulness), and whether the offender has repeatedly breached orders of the Court; and
(iv) Mitigating factors might include good faith attempts to comply (even after the breach), apologize or accept responsibility, or whether the breach is a first offence. »
Suivant la preuve soumise par CSA concernant certains facteurs aggravants dans la conduite des Défendeurs et notant l’absence de facteurs atténuants, la Cour souscrit à la suggestion de sentence soumise par CSA. Elle suspend tout de même la sentence pendant 10 jours afin de laisser une dernière chance aux Défendeurs de se conformer au Jugement.
Commentaire
Cette saga juridique met en lumière les pouvoirs attribués aux tribunaux en matière de sentence pour outrage au tribunal et que ceux-ci n’hésiteront pas à avoir recours à des mesures telles que l’emprisonnement lorsque nécessaire afin de faire respecter un jugement.
Le texte intégral des décisions sont disponibles ici et ici.
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