par
Alexandre Baril-Lemire
Articles du même auteur
03 Mai 2022

Pour civilistes curieux : les décisions essentielles du début de l’année (janvier, février, mars 2022)

Par Alexandre Baril-Lemire, avocat

Avez-vous pris connaissance des plus récentes décisions d’intérêt en matière civile? Si le temps vous a manqué, ce billet vous permettra de parcourir un court résumé de certaines d’entre elles, suivi des extraits qui nous semblent les plus pertinents.

Les décisions ayant retenu notre attention sont Clinique vétérinaire Villeray-Papineau inc. c. 9264-7965 Québec inc., Filles de la Charité du Sacré-Coeur-de-Jésus c. Ville de Sherbrooke, De Luca c. Carlucci, Snyder c. Rozon et K. c. Jorgensen.

Clinique vétérinaire Villeray-Papineau inc. c. 9264-7965 Québec inc., 2022 QCCA 70 (Clause pénale – Clause abusive) :

En 2012, l’intimé, médecin vétérinaire, vend les actifs de sa clinique à l’appelant. L’intimé signe alors une convention de non-concurrence et de non-sollicitation, qui prévoit une pénalité de 25 000$ par jour en cas de défaut.

En 2015, l’intimé intente un recours contre l’appelante pour non-paiement d’un des versements dus pour les actifs de la clinique. Se portant demanderesse reconventionnelle, l’appelant allègue que l’intimé a enfreint la clause de non-concurrence à 47 reprises, et réclame conséquemment une pénalité de 1 175 000$. La Cour supérieure conclut que la clause de non-concurrence est abusive et réduit la pénalité à 55 000$, une décision confirmée par la Cour d’appel.

Rappelons que l’article 1623 C.c.Q. prévoit que le montant prévu par une clause pénale peut être réduit en cas d’abus :

1623. Le créancier qui se prévaut de la clause pénale a droit au montant de la peine stipulée sans avoir à prouver le préjudice qu’il a subi.

Cependant, le montant de la peine stipulée peut être réduit si l’exécution partielle de l’obligation a profité au créancier ou si la clause est abusive.

En l’espèce, la preuve présentée au juge de première instance indiquait que les violations à la clause de non-concurrence commises par l’intimé lui avaient permis d’obtenir des revenus de plus ou moins 15 000$. Le juge a également retenu que le prix de vente de la clinique, 550 000$, avait été établi en tenant compte de son chiffre d’affaires. Puisque la pénalité réclamée est nettement disproportionnée par rapport à ces montants, le juge conclut que la clause est abusive.

La Cour d’appel estime que le juge de première instance a appliqué correctement le droit, en ce qu’il a réduit la pénalité pour éviter un enrichissement injustifié, mais a tout de même accordé un montant supérieur à ce que l’appelante aurait obtenu en l’absence de clause pénale.

Extraits pertinents :

[25]      Pour justifier l’intervention de la Cour sur une telle question, les appelants devaient démontrer une erreur manifeste et déterminante. Or, le jugement ne comporte pas une telle erreur. Au contraire, dans une situation où la pénalité représente le double du prix d’achat de l’ensemble de la Clinique, la conclusion du juge n’est guère surprenante.

[26]      De plus, le juge avait toute latitude, en appréciant la preuve, pour établir une corrélation entre les revenus générés par la violation de la convention de non-concurrence et le préjudice subi par les appelants. Contrairement à ce que soutiennent les appelants, le juge n’était pas tenu de déterminer avec précision le degré de disproportion pour conclure que la clause pénale était abusive. En l’espèce, la différence entre la perte théorique totale de revenus, soit une somme n’excédant pas 15 000 $, et la pénalité demandée de plus d’un million de dollars, est, de toute évidence, totalement disproportionnée.

[27]      Par ailleurs, les appelants ont tort de suggérer que le juge leur a imposé le fardeau d’établir un préjudice. Au contraire, il a clairement indiqué à plusieurs reprises que le fardeau incombait aux intimés et rien dans le jugement ne laisse penser qu’il l’a plutôt imposé aux appelants.

[28]      Enfin, compte tenu de sa conclusion quant au caractère abusif circonstanciel de la clause pénale, le juge a eu raison d’intervenir afin de réduire la pénalité et d’éviter un enrichissement injustifié de la part des appelants, tout en préservant le caractère comminatoire de la clause. En appliquant l’article 1623 C.c.Q. et en réduisant la pénalité, le juge a suivi les lignes directrices retenues par la Cour notamment en s’assurant que la pénalité, une fois réduite, demeure supérieure à celle que Villeray-Papineau inc. aurait reçue en l’absence de la clause pénale et en tenant compte des circonstances entourant les violations de la convention de non-concurrence par le Dr Sikorski.

Le texte intégral de la décision est disponible ici.

Filles de la Charité du Sacré-Coeur-de-Jésus c. Ville de Sherbrooke, 2022 QCCA 112 (Contrat perpétuel) :

En 1945, l’appelante, une corporation religieuse, acquiert un terrain de la Ville de Sherbrooke (ci-après la « Ville ») pour la somme de 200$. Le contrat de vente comporte une clause prévoyant que, dans l’éventualité où l’appelante décidait de revendre le terrain, elle devra d’abord l’offrir à la Ville, et ce, au même prix. La clause ne prévoit cependant pas de terme à ce droit de préemption.

En 2021, l’appelante demande à la Cour supérieure de déclarer que le droit de préemption envers la Ville est devenu caduc ou, subsidiairement, d’y fixer un terme en vertu de l’article 1512 C.c.Q., qui se lit comme suit :

1512. Lorsque les parties ont convenu de retarder la détermination du terme ou de laisser à l’une d’elles le soin de le déterminer et qu’à l’expiration d’un délai raisonnable, elles n’y ont point encore procédé, le tribunal peut, à la demande de l’une d’elles, fixer ce terme en tenant compte de la nature de l’obligation, de la situation des parties et de toute circonstance appropriée.

Le tribunal peut aussi fixer ce terme lorsqu’il est de la nature de l’obligation qu’elle soit à terme et qu’il n’y a pas de convention par laquelle on puisse le déterminer.

(Nos soulignements)

Or, la Cour supérieure rejette cette demande, une décision confirmée ensuite par la Cour d’appel.

Le droit québécois permet l’existence de contrats perpétuels lorsqu’ils ne sont pas contraires l’ordre public et qu’ils ne mettent pas à mal les valeurs fondamentales de la société. En l’espèce, le droit de préemption perpétuel a effectivement pour effet de limiter le droit de l’appelante à disposer librement de son terrain. Cela dit, il s’agit d’une limite que l’Appelante a elle-même choisi de s’imposer. Par ailleurs, la clause n’a pas pour effet d’empêcher l’Appelante de se départir de son terrain, mais prévoit seulement qu’elle devra d’abord permettre à la Ville de le racheter. Par ailleurs, contrairement à l’emphytéose et à l’usufruit, le législateur a choisi de ne pas encadrer le terme du droit de préemption, même si cette institution était connue au moment de l’adoption du C.c.Q.

Extraits pertinents :

[14]      L’article 6 de la Charte des droits et libertés de la personne, sur lequel s’appuie l’appelante, protège certes le droit de toute personne à la jouissance et à la libre disposition de ses biens, mais cela ne signifie pas qu’une personne ne peut choisir, volontairement, de limiter son droit, même de façon perpétuelle, comme l’a fait l’appelante en l’espèce. Contrairement à ce qu’elle plaide, la limite à son droit de disposer librement du terrain n’a d’ailleurs pas pour effet de l’empêcher de s’en départir. Elle peut le faire, mais si elle choisit de le faire, elle doit d’abord l’offrir à l’intimée. Certes, la Cour reconnaît la possibilité qu’elle choisisse de le conserver plutôt que de l’offrir à la vente, mais il s’agit là d’un choix qui lui appartient. On peut d’ailleurs imaginer des circonstances susceptibles de l’inciter à décider autrement, par exemple si les coûts d’entretien devenaient trop élevés.

[15]      Cette limite que l’appelante s’est elle-même imposée ne fait pas en sorte que la perpétuité, en l’espèce, est contraire à l’ordre public.

[16]      Finalement, l’appelante reconnaît que le pacte de préférence ne fait pas partie des contrats que le législateur a choisi d’encadrer pour éviter qu’ils puissent être perpétuels, par exemple l’emphytéose 10 à 99 ans (art. 1197 C.c.Q.), l’usufruit, 100 ans (art. 1123 C.c.Q.), mais elle plaide que, par analogie, la même règle devrait leur être appliquée et qu’il y aurait lieu de fixer un terme au droit de préemption dont bénéficie l’intimée.

[17]      À cet égard, la Cour souligne que le pacte de préférence était une institution connue au moment de l’adoption du C.c.Q. et que, néanmoins, le législateur a décidé de ne pas l’encadrer.

[18]      Sa nature, par ailleurs, ne fait pas en sorte qu’il doive être soumis à un terme. Quoique rien n’empêche les parties d’en stipuler un, il leur est en effet tout à fait loisible de n’en prévoir aucun sans que cela ne change la nature du droit consenti.

Le texte intégral de la décision est disponible ici.

K. c. Jorgensen, 2022 QCCS 674 (Publicité des débats) :

Les Demandeurs intentent un recours contre le Défendeur, qui les a menacés de divulguer des photos et vidéos de nature sexuelle les impliquant à moins de recevoir une rançon.

Les Demandeurs demandent la permission de demeurer anonymes tout au long des procédures et demandent notamment que les pièces qui seront déposées puissent l’être sous scellé. Le Défendeur conteste cette demande en vertu du principe de la publicité des procédures judiciaires.

La Cour supérieure accueille la demande des Demandeurs. Il est vrai que le principe de publicité des débats judiciaires est fondamental et ne peut être écarté pour simple motif d’inconvénient ou d’atteinte à la vie privée des personnes impliquées dans un litige. Cela dit, le principe de publicité des débats peut parfois entrer en contradiction avec d’autres intérêts jugés importants, tels que la protection de la dignité d’une personne.

Afin de déterminer s’il y a lieu de faire exception à la publicité des débats, il convient d’appliquer le test élaboré par la Cour suprême dans Sherman (2021 CSC 25), qui impose à la personne recherchant une ordonnance de confidentialité d’établir que :

1)  la publicité des débats judiciaires pose un risque sérieux pour un intérêt public important;

2) l’ordonnance sollicitée est nécessaire pour écarter ce risque sérieux pour l’intérêt mis en évidence, car d’autres mesures raisonnables ne permettront pas d’écarter ce risque; et

3) du point de vue de la proportionnalité, les avantages de l’ordonnance l’emportent sur ses effets négatifs

En l’espèce, la Cour supérieure estime que ces trois critères soient remplis. En effet, la protection de la dignité des Demandeurs, c’est-à-dire le « noyau dur de [leur] vie intime », constitue un intérêt public important. Par ailleurs, l’anonymat est la seule mesure susceptible de protéger les droits des Demandeurs et d’éviter que leurs noms ne soient associés à une menace de divulguer des aspects de leur vie sexuelle. Enfin, l’ordonnance de confidentialité permet de favoriser la dénonciation de tels comportements, puisque les victimes de crimes similaires pourront intenter un recours sans s’afficher publiquement.

Extraits pertinents :

[14]           Dans l’arrêt Sherman, une affaire émanant de l’Ontario, la Cour suprême du Canada établit un test en trois étapes afin de déterminer s’il y a lieu d’écarter, dans un cas donné, la « forte présomption » en faveur de la publicité des débats judiciaires.

[15]           Il n’y a aucune raison de ne pas appliquer ce test au Québec, dans la mesure où les principes énoncés par la Cour suprême du Canada, rejoignent, comme on vient de le voir, ceux établis au Code de procédure civile. Les décisions québécoises rendues postérieurement à l’arrêt Sherman appliquent d’ailleurs le test en trois étapes qui y a été énoncé, et qui constitue une reformulation du test en deux étapes du test qui était auparavant appliqué.

[…]

[17]           En plus d’énoncer ce test, l’arrêt Sherman vient établir une distinction importante entre les atteintes à la vie privée pouvant résulter du principe la publicité des débats judiciaires et les atteintes à la dignité de la personne pouvant découler du même principe.

[18]           Selon le juge Kasirer –qui écrit les motifs de la Cour–, la dignité, dans un tel contexte, constitue en quelque sorte le « noyau dur » de la vie privée d’une personne, ce qui concerne les aspects les plus fondamentaux et les plus sensibles de son existence, bref à ce qu’elle possède de plus intime :

[…]

[19]           Le juge Kasirer conclut que la protection de la dignité d’une personne peut constituer un intérêt public important pour l’application du test puisque les tribunaux doivent notamment se montrer sensibles à l’atteinte à la dignité de certaines personnes que le caractère public des procédures judiciaires est susceptible de causer.

[…]

[20]           C’est cette distinction entre la vie privée et la dignité de la personne qui permet notamment de tracer la ligne entre les atteintes à la vie privée qui sont acceptables en raison du principe de la publicité des débats judiciaires et celles qui ne le sont pas, car elles dévoileraient les aspects les plus intimes de la personne concernée.

[…]

[30]           Cette dernière réflexion nous permet également de constater que les deux autres conditions du test de l’arrêt Sherman sont ici satisfaites.

[31]           Tout d’abord, les ordonnances recherchées sont ici nécessaires pour écarter le risque d’atteinte à la dignité des demandeurs. Pour assurer cette protection, il faut faire en sorte que leurs noms ne soient pas associés à une tentative d’extorsion fondée sur la menace de divulguer publiquement certains aspects de leur vie sexuelle. On ne peut pas se contenter ici de demi-mesures : la seule manière de protéger adéquatement la dignité des demandeurs, et de leur permettre d’exercer leur recours en justice sans entrave, c’est de les autoriser à poursuivre sous le couvert de l’anonymat et en obtenant des ordonnances de non-divulgation et de non-publication des renseignements permettant de les identifier.

[32]           En second lieu, les avantages des ordonnances de confidentialité recherchées surpassent ici grandement les inconvénients.

[33]           Cela permet d’abord de favoriser l’accès à la justice et la dénonciation de comportements inacceptables. Il est en effet permis de croire que les personnes qui sont victimes d’extorsion fondée sur la menace de révéler publiquement des éléments de leur vie sexuelle seront plus enclines à demander réparation si elles peuvent le faire sans avoir à s’associer publiquement à des éléments de nature intime dont elles désiraient justement conserver la nature confidentielle.

Le texte intégral de la décision est disponible ici.

De Luca c. Carlucci, 2022 QCCA 392 (Délai d’inscription) :

Les intimés intentent un recours contre les appelants en 2018. Le 13 janvier 2021, dans le cadre de cette instance, les appelants déposent une demande de prolongation du délai. Cette demande est déposée avant l’expiration du délai d’inscription et devait être présentée le 18 janvier 2021, mais est remise sine die.

10 mois plus tard, les intimés déposent un nouvel avis de présentation et obtiennent une prolongation du délai d’inscription. Or, la Cour d’appel infirme le jugement de première instance ayant accueilli cette demande.

Il est vrai qu’une demande de prolongation de délai déposée avant l’expiration du délai d’inscription suspend l’instance, même si elle est présentée après ce délai. Cela dit, permettre qu’une telle suspension dure plusieurs mois irait à l’encontre des principes directeurs de la procédure civile, qui visent à assurer notamment la qualité et la célérité de la justice, et permettrait de contourner les règles applicables.

Considérant que les intimés n’ont fourni aucune explication pour justifier leur inaction pendant près de 10 mois, il était déraisonnable d’accorder la demande de prolongation de délai.

Extraits pertinents :

[8]        En vertu de l’article 173 C.p.c., le demandeur dispose d’un délai de six mois afin d’inscrire l’affaire pour instruction et jugement. Il s’agit d’un délai de rigueur. Ce délai peut toutefois être prolongé par le tribunal si le demandeur dépose une demande à cet égard avant l’échéance du délai et le convainc du degré de complexité de l’affaire ou de circonstances spéciales justifiant le délai additionnel requis.

[9]        Une telle demande, il est vrai, suspend le délai de rigueur de l’article 173 C.p.c. mais pour combien de temps? En d’autres termes, une demande en prolongation de délai remise sine die peut-elle survivre plusieurs semaines, voire plusieurs mois, sans autre explication, ou les intimés sont-ils plutôt présumés s’être désistés de leur demande initiale compte tenu de leur inaction une fois la demande remise sine die?

[10]      La Cour est d’avis qu’il serait contraire non seulement à l’esprit du Code de procédure civile, mais aussi à ses principes directeurs de permettre à une partie de se soustraire de manière indéfinie aux délais de rigueur auxquels elle est assujettie, en ne présentant pas promptement sa demande de prolongation de délai. Une telle façon de faire équivaut ni plus ni moins à suspendre le déroulement du dossier judiciaire et à contourner les exigences du Code de procédure civile.

[…]

[12]      Bien que la juge disposait d’un pouvoir discrétionnaire pour accorder ou refuser la demande de prolongation de délai, il est manifeste qu’elle n’a pas considéré les principes directeurs de la procédure, particulièrement ceux énoncés à l’article 1 du C.p.c. relatif à la célérité de la justice civile et à l’article 19.1 C.p.c. concernant le bon déroulement de l’instance et la maîtrise par les parties « de leur dossier dans le respect des principes, des objectifs et des règles de la procédure et des délais établis ». Elle n’a pas non plus tenu compte qu’en l’espèce, la remise sine die par les intimés leur a permis de contourner les règles applicables en matière de délais et ainsi faire fi de l’intention du législateur. En ce sens, et même si par ailleurs la déférence est de mise à l’endroit de la décision de la juge de première instance, cette décision est déraisonnable.

Le texte intégral de la décision est disponible ici.

Snyder c. Rozon, 2022 QCCA 424 (Rejet sommaire d’une Demande de rejet pour abus de procédure) :

Dans cette affaire, l’intimé intente contre les appelantes un recours en diffamation. Les appelantes déposent une Demande en rejet de cette action pour abus de procédure, alléguant qu’il s’agit d’une poursuite-bâillon.

En première instance, la Cour supérieure rejette cette demande sans fournir de motifs, en s’appuyant sur l’article 52 C.p.c., adopté en 2020 et lequel se lit comme suit :

52. Si une partie établit sommairement que la demande en justice ou l’acte de procédure peut constituer un abus, il revient à la partie qui l’introduit de démontrer que son geste n’est pas exercé de manière excessive ou déraisonnable et se justifie en droit.

La demande faite avant l’instruction doit être notifiée aux autres parties et déposée au greffe au moins 10 jours avant la date de sa présentation et est contestée oralement. Le tribunal peut toutefois, sur le vu du dossier, la refuser en raison de l’absence de chance raisonnable de succès ou de son caractère abusif. […]

(Nos soulignements)

La Cour d’appel rejette la requête pour permission d’appeler de ce jugement. Le pouvoir de rejeter sommairement une demande de rejet pour cause d’abus a été ajouté au C.p.c. pour aider les tribunaux à répondre plus efficacement aux défis liés à la pandémie, et notamment parce que le nombre de telles demandes s’est accru.

Lorsqu’un juge considère, au vu du dossier et sans entendre les parties, qu’une demande de rejet n’a pas de chances raisonnables de succès, il peut la rejeter sans exprimer de motifs détaillés. La Cour d’appel ne peut intervenir dans cet exercice du pouvoir discrétionnaire du juge de première instance et décider qu’il y a lieu de tenir une audience.

Extraits pertinents :

[9]               Dans le présent cas, le juge a exercé sa discrétion et a rejeté les requêtes en rejet fondées sur des allégations d’abus de procédures. Les requérantes demandent la permission d’appeler afin d’infirmer ce jugement, d’obtenir une audition de leurs requêtes devant la Cour supérieure (au cours de laquelle elles rechercheront à faire déclarer la poursuite abusive) et de faire rejeter la demande introductive d’instance.

[10]            Règle générale, le jugement qui rejette une requête en rejet ne satisfait pas les conditions nécessaires à l’octroi de la permission d’appeler puisque le jugement au fond peut remédier au préjudice qui peut avoir été créé au stade interlocutoire. Or, en vertu d’une certaine jurisprudence des juges uniques de la Cour, il y aurait lieu d’accorder la permission d’appeler lorsque la demande introduite en première instance est assimilable à une poursuite de nature à museler la liberté d’expression d’une des deux parties à l’instance, communément appelée la « poursuite-bâillon ». Toutefois, les requêtes en rejet dans ces dossiers n’ont pas été rejetées en première instance sur le vu du dossier, comme c’est le cas en l’espèce.

[11]            Ici, le pouvoir de rejeter la demande en rejet exercé par le juge (parce que la requête n’avait aucune chance raisonnable de succès) est de droit nouveau ajouté à l’article 52 C.p.c. en 2020, apparemment pour faire face à une quantité accrue de telles requêtes et afin d’aider les tribunaux à répondre de manière plus efficace aux défis liés à la pandémie. Cette disposition ressemble à l’article 365 C.p.c. qui accorde à la Cour le pouvoir de rejeter des requêtes en rejet d’appel sans audition. Il est loisible au juge, dans de telles circonstances, de ne pas exprimer de motifs détaillés (autre que la requête n’a pas de chance raisonnable de succès), puisque les parties n’ont pas été entendues. Exprimer des motifs détaillés dans le cadre du rejet de l’action (ou de l’appel) au stade interlocutoire pourrait par ailleurs préjudicier à l’une des parties lors de l’audition au fond.

[12]            L’obligation de fournir des motifs est donc atténuée en l’espèce et, ainsi, les motifs du jugement entrepris sont adéquats. En effet, le juge a exercé sa discrétion sur le vu des demandes en rejet et des pièces justificatives soumises pour conclure que les demandes en rejet pour abus n’avaient aucune chance raisonnable de succès. Il n’y a là aucune erreur révisable comme telle. La Cour ne doit pas se substituer au juge et décider qu’il y a lieu de tenir une audition.

Le texte intégral de la décision est disponible ici.

Commentaires (1)

L’équipe du Blogue vous encourage à partager avec nous et nos lecteurs vos commentaires et impressions afin d’alimenter les discussions sur le Blogue. Par ailleurs, prenez note du fait qu’aucun commentaire ne sera publié avant d’avoir été approuvé par un modérateur et que l’équipe du Blogue se réserve l’entière discrétion de ne pas publier tout commentaire jugé inapproprié.

Laisser un commentaire

À lire aussi...