Des propos jugés inappropriés tenus en classe par une professeure méritent-ils une sanction disciplinaire?
Par Mylène Lafrenière Abel, avocate
Alors que le tribunal d’arbitrage annule l’avis disciplinaire imposé à une professeure de l’Université Bishop pour des propos inappropriés tenus en classe, cette dernière demande le contrôle judiciaire de cette sentence, d’avis qu’elle contrevient aux principes fondamentaux du droit du travail. Dans son jugement Université Bishop c. Flynn, 2023 QCCS 3073, la Cour supérieure refuse de modifier la conclusion de l’arbitre de griefs.
Contexte
Une étudiante de l’Université Bishop (ci-après, l’« employeur ») dépose une plainte de harcèlement psychologique à l’encontre de sa professeure (ci-après, la « salariée »). Dans son rapport, l’enquêtrice conclut à l’absence de harcèlement psychologique, mais elle précise que la salariée a tenu des propos inappropriés manquant de professionnalisme et parfois même, d’empathie[1].
Ces propos sont les suivants. La salariée aurait dit aux étudiants de sa classe : « If you f..k up this lab, you’re stuck with me all night and I’m a bitch on wheels ». L’employeur prétend qu’il s’agit de propos menaçants qui a pour effet de créer un environnement hostile et négatif d’apprentissage. On lui reproche également d’avoir dit l’étudiante à l’origine de la plainte de harcèlement psychologique, dans le cadre d’une expérience de dissection de poulets : « haha, you obviously don’t belong in a laboratory environment », alors que celle-ci, pour camoufler l’odeur nauséabonde se dégageant du laboratoire, avait inséré des morceaux de mouchoirs dans ses narines. De plus, l’employeur prétend que la salariée aurait manqué d’empathie envers l’étudiante.
L’employeur décide que ces manquements méritent une mesure disciplinaire puisqu’ils contreviennent aux valeurs de l’Université. Le 19 mars 2019, il impose à la salariée un avis disciplinaire, lequel fera l’objet d’un grief. L’arbitre Me Maureen Flynn accueille ce grief[2]. Elle juge qu’en vertu de la preuve entendue, l’employeur n’aurait pas dû imposer de sanction disciplinaire.
L’employeur se pourvoit en contrôle judiciaire à l’encontre cette conclusion de l’arbitre. Selon ce dernier, puisque la salariée a admis lors de l’audience avoir prononcé les paroles qu’on lui reproche d’avoir prononcées, l’arbitre n’avait pas le pouvoir d’annuler la sanction choisie par l’employeur. Du point de vue patronal, la décision de l’arbitre « stérilise complètement les droits de gérance et de discipline de l’Employeur à l’égard des salariés fautifs (…) »[3] et constitue un « un accroc important au principe de l’autonomie, dont les universités jouissent dans la gestion de leurs affaires »[4]. Pour intervenir et annuler la sanction, il aurait fallu que l’arbitre juge que la sanction était clairement déraisonnable, abusive ou discriminatoire[5].
De son côté, l’Association des professeurs de l’Université Bishop (ci-après, l’« Association ») est d’avis que la décision de l’arbitre est raisonnable et doit être maintenue. L’arbitre a conclu que les paroles prononcées par la salariée ne constituaient pas des fautes disciplinaires, au vu du contexte et de la preuve administrée à l’audience[6]. Sans faute commise, il devient alors abusif d’imposer une sanction à la salariée.
Décision
La Cour supérieure, sous la plume de la juge Claude Dallaire, conclut que la décision de l’arbitre est suffisamment raisonnable pour être maintenue au terme d’un contrôle judiciaire.
La juge rappelle qu’il revenait à l’employeur de démontrer les reproches inscrits dans l’avis disciplinaire remis à la salariée et s’attarde ainsi à la preuve dont disposait l’arbitre.
Au sujet de la première série de paroles à l’origine de l’avis disciplinaire (« if you fuck up this lab…. » et « I’m a bitch on the wheels »), l’arbitre a retenu qu’elles avaient été prononcées dans un contexte humoristique. Reconnaissant les avoir prononcées, la salariée a offert des excuses, lesquelles ont été jugées sincères par l’arbitre. L’arbitre reconnait que ces paroles sont « inappropriées », mais juge, sans le dire explicitement, qu’elles ne constituent pas une faute disciplinaire. À ce sujet, la Cour supérieure écrit :
[135] Même si l’arbitre ne précise pas que ces paroles, admises par la salariée, jugées inappropriées, ne constituent pas une faute, dans le contexte particulier dans lequel elles ont été prononcées, nous sommes d’avis qu’une lecture globale et attentive des motifs énoncés aux paragraphes 93 à 115, permet de conclure qu’aucune sanction disciplinaire n’aurait dû être imposée, parce que les gestes ne suffisaient pas, pour être qualifiés de fautifs, aux fins du droit disciplinaire.
Quant aux paroles prononcées dans le laboratoire lors de la dissection de poulets (« haha, you obviously don’t belong to a laboratory environment »), l’arbitre retient la version non contredite de la salariée. Cette dernière n’avait pas l’intention de l’intimider, elle voulait plutôt calmer l’étudiante qui semblait anxieuse et l’informer qu’elle pouvait quitter le laboratoire sans conséquences pour la réussite du cours. L’arbitre précise que dans ce contexte, la mesure imposée par l’employeur est disproportionnée. Pour la Cour supérieure, cela veut dire que l’arbitre considère que ces faits ne constituent pas une faute disciplinaire[7].
Finalement, la juge considère raisonnable la conclusion de l’arbitre à l’effet que l’employeur n’a pas réussi à prouver le troisième reproche, le soi-disant manque d’empathie de la salariée[8].
En somme, la salariée a expliqué lors de l’audience le contexte dans lequel ses paroles ont été prononcées. L’arbitre a jugé crédible ce témoignage. Qui plus est, puisque l’étudiante à l’origine de la plainte n’a pas témoigné, l’arbitre faisait alors face à une preuve non contredite au sujet des faits à l’origine de l’avis disciplinaire.
De sa lecture des motifs de la sentence, la Cour supérieure en déduit que l’arbitre, sans le mentionner explicitement, a appliqué la maxime de minimis not curat lex, un principe selon lequel le droit ne s’occupe pas des choses sans importance[9]. Selon l’interprétation de la juge Dallaire de la décision en cause, l’arbitre a conclu à l’absence de fautes « disciplinaires », même si certaines paroles ont bel et bien été prononcées par la salariée[10]. La juge écrit :
[176] Nous comprenons de cette sentence, que le comportement de la salariée n’a pas été jugé comme étant exemplaire, mais que de là à la sanctionner, en droit disciplinaire, il y avait une marge.
Bien que les motifs de l’arbitre ne puissent être qualifiés de « parfaits », une interprétation globale des motifs, telle que le commande l’arrêt Vavilov[11], amène la Cour supérieure à conclure que la décision contestée s’avère suffisamment motivée, en plus d’être intelligible, transparente et cohérente. Selon la Cour, « il s’agit d’une décision raisonnable qui s’inscrit tout à fait dans les issues possibles, à partir de la preuve et de l’application du droit à cette preuve, dans le cadre d’un dossier en relations de travail »[12]. La juge Dallaire précise :
[182] La vision de l’arbitre n’est peut-être pas parfaite, mais elle n’est pas à ce point déraisonnable, lorsqu’elle écrit, du même souffle, que les paroles prononcées sont inappropriées, ce qu’elle fait, in abstracto, et qu’elle n’en tire pas la conclusion qu’il s’agit d’une faute susceptible de mener à l’imposition d’une sanction disciplinaire, in concreto. Comme quoi tout est fonction du contexte et de l’appréciation globale de la sentence arbitrale.
Ne voyant pas de raison d’intervenir, la Cour supérieure rejette le pourvoi en contrôle judiciaire.
Conclusion
En l’espèce, même si certains propos prononcés par la salariée ont jugé « inappropriés », l’arbitre de griefs a conclu qu’il ne s’agissait pas d’un cas méritant une sanction disciplinaire. Ce jugement de la Cour supérieure a le mérite de rappeler, d’une part, le pouvoir des arbitres de griefs d’intervenir lorsque, après analyse de la preuve administrée à l’audience, ces décideurs jugent qu’aucune faute disciplinaire n’a été commise. D’autre part, elle a le mérite de réitérer les enseignements de l’arrêt Vavilov quant à la motivation des décisions de nature administratives : celles-ci ne doivent pas être analysées à l’aune
d’un critère de perfection. Le juge réviseur doit analyser ceux-ci de manière globale en tentant de comprendre le raisonnement suivi par l’arbitre, gardant en tête que « l’implicite a forcément sa place dans [un] jugement »[13].
Le texte intégral de la décision est disponible ici.
[1] Université Bishop c. Flynn, 2023 QCCS 3073, par. 8.
[2] Voir Association des professeurs de Bishop’s University et Université Bishop’s (Virginia Stroeher), 2021 QCTA 497, SOQUIJ AZ-5179668.
[3] Citation provenant de la demande de contrôle judiciaire de l’employeur citée dans Université Bishop c. Flynn, 2023 QCCS 3073, par. 33.
[4]Id.
[5] Id., par. 34.
[6] Id., par. 39.
[7] Id., par. 161.
[8] Id., par. 165.
[9] Id., par. 169.
[10] Id., par. 175.
[11] Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65.
[12] Université Bishop c. Flynn, 2023 QCCS 3073, par. 171.
[13] Syndicat national de l’automobile, de l’aérospatiale, du transport et des autres travailleuses et travailleurs du Canada (TCA-Canada), sections locales 187, 728, 1163 c. Brideau, 2007 QCCA 805, par.
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