Fin de la récréation pour les inspecteurs préachat
Par Samuel Audet, Avocat
Le 19 juillet 2023, le projet de Règlement sur l’encadrement des inspecteurs en bâtiments d’habitation pour les inspections en vue d’une transaction immobilière (ci-après le « Règlement »)[1] fut publié dans la Gazette officielle du Québec. En approuvant le Règlement, le gouvernement viendrait imposer à une majorité des inspecteurs préachat un cadre réglementaire obligatoire comparable à celui qui s’applique, par exemple, aux courtiers immobiliers. Le présent billet fera d’abord un rappel des diverses étapes ayant conduit à la publication du projet de Règlement. En seconde partie, le billet abordera le contenu du Règlement et ce, en brossant un portrait du nouveau cadre réglementaire qui pourrait devenir obligatoire dès le 1er octobre 2024.
Prenez note que l’ensemble des documents cités sont accessibles via les hyperliens se trouvant à la fin du présent billet.
C’est le 11 décembre 2019 que le premier pavé vers un encadrement des inspections préachat fut jeté dans la marre. Le Projet de loi n°16[2] sanctionné ce même jour constitua la Régie du Bâtiment comme l’organisme réglementaire et disciplinaire auquel les inspecteurs en bâtiment devront répondre. Les deux premières notes explicatives contenues dans ce Projet de loi résument l’intention du législateur :
« Cette loi propose diverses mesures destinées à encadrer les inspections en bâtiment et la copropriété divise. Elle contient également diverses mesures concernant la Régie du logement, la Loi sur la Société d’habitation du Québec et le domaine municipal.
La loi modifie la Loi sur le bâtiment afin d’octroyer à la Régie du bâtiment du Québec de nouveaux pouvoirs réglementaires lui permettant notamment d’encadrer les inspections en bâtiment. […] »
La Régie du Bâtiment, nouvellement en charge des inspecteurs préachat, s’est ensuite tournée vers le Bureau de Normalisation du Québec (BNQ) afin que ceux-ci établissent une norme provinciale assurant la protection du public, le sérieux des inspections de bâtiments, mais aussi une norme faisant consensus chez les divers acteurs et organismes du secteur immobilier. La norme BNQ 3009-500 (ci-après la « Norme ») voit le jour en juillet 2022 et est maintenant au domaine de l’inspection préachat ce qu’est la norme LEED pour les constructions écoresponsables. Il s’agit donc d’une indication simple et rapide permettant au public de savoir que les plus hautes normes de l’industrie furent observées. Sous sa mouture actuelle, la Norme est longue de 56 pages[3]. Elle aborde chacune des étapes du travail de l’inspecteur, de l’évaluation initiale de la compréhension du client, jusqu’aux délais de production et de rédaction du rapport, et ce en passant par les diverses composantes de l’immeuble sur lesquelles doit se pencher l’inspection. Tout intéressé peut en obtenir un exemplaire gratuitement.
Depuis, la Régie du Bâtiment travaille activement à la rédaction d’un règlement afin d’encadrer la profession d’inspecteur en bâtiment, comme le lui permettent les articles 86.8 et 86.10 de la Loi sur le bâtiment :
« 86.8. Une personne physique doit, dans les cas, aux conditions et selon les modalités déterminés par règlement de la Régie, obtenir de celle-ci un certificat afin d’exercer les fonctions d’inspecteur en bâtiment.
(…)
86.10. La Régie détermine, par règlement, les conditions et les modalités de délivrance, de modification ou de renouvellement d’un certificat visé à l’article 86.8, sa durée ainsi que les normes, les conditions et les modalités que le titulaire d’un tel certificat doit respecter. »
Pour l’heure, la Norme est d’application facultative et volontaire, mais au regard du Règlement soumis pour approbation, elle devrait devenir d’application obligatoire à partir d’octobre 2024. L’article 3 du projet de Règlement renvoie directement à la norme décrite ci-haut afin de circonscrire l’application de ce dernier :
« toute personne physique qui exerce les fonctions d’inspecteur en bâtiments d’habitation pour une inspection visée par la norme BNQ 3009-500 doit être titulaire d’un certificat d’inspecteur en bâtiments d’habitation comportant la catégorie appropriée et délivré par la Régie du bâtiment du Québec »
La Norme nous permet aussi de comprendre le sens donné à plusieurs termes importants, tels que :
Bâtiment d’habitation : « Immeuble dont au moins une unité privée est une unité d’habitation. ».[4]
Unité d’habitation « Toute fraction d’un bâtiment d’habitation conçue pour qu’une ou des personnes puissent y vivre sans y être hébergées ou internées pour y recevoir des soins médicaux. »
Unité privée « Unité d’habitation ou unité à vocation commerciale dans un bâtiment d’habitation »
Il est toutefois important de mentionner que l’encadrement envisagé par les autorités législatives et administratives n’a pas pour finalité d’élever l’inspection préachat au rang des expertises en bâtiments que pourrait produire un ingénieur, un architecte ou un technologue dans le cadre de leurs activités réservées. Cette réforme ne viserait pas les constructions neuves couvertes par le Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs. Ainsi, le fond de l’inspection préachat (sa nature, son objet) ne changera pas, mais sa forme se professionnalisera (uniformité, rigueur, conformité, prévisibilité, etc.)
Voici donc un portrait de ce fameux cadre envisagé pour une application partielle dès le 1er octobre 2024 et complète le 1er janvier 2027 (section IV du chapitre III – Formation continue).
- Certificat obligatoire pour être inspecteur (articles 5 à 9 du Règlement)
De la même façon que les courtiers immobiliers ou hypothécaires, les agents en assurance et j’en passe, l’inspecteur en bâtiment devra dorénavant être certifié afin d’exercer le travail d’inspecteur. Pour ce faire, l’article 5 instaure une formation de six cents heures (600), tant théorique que pratique, qui sera requise pour le certificat de catégorie 1 (à savoir tout bâtiment de 6 unités et moins). Ce nombre augmente à sept cent quatre-vingts heures (780) pour le certificat de catégorie 2 (soit tout immeuble résidentiel de plus de 6 unités).
Au même article, il est prévu que le demandeur devra aussi détenir et maintenir en tout temps une police d’assurance pour sa responsabilité civile générale ou pour sa responsabilité professionnelle. Le montant minimum, par réclamation, de cette couverture d’assurance devra être d’un million de dollars pour le détenteur d’un certificat de catégorie 1 et de deux millions de dollars pour le détenteur d’un certificat de catégorie 2. Une preuve d’assurance devra être produite au soutien d’une demande de certificat.
Les paragraphes (7) et (8) de l’article 7 exigent la divulgation de toutes les déclarations de culpabilité du demandeur, dans les cinq dernières années, pour toute infraction fiscale, acte criminel ou infraction à la Loi sur la protection du consommateur.
- Droits et frais annuels (article 10 du Règlement)
À partir d’octobre 2024, tout détenteur de certificat d’inspecteur en bâtiments d’habitation devra acquitter les droits et frais exigibles à l’article 10 du Règlement, répartis comme suit :
- Droits annuels pour un certificat de catégorie 1 : 410 $
- Droits annuels pour un certificat de catégorie 2 : 615 $
- Frais de délivrance d’un certificat de catégorie 1 ou de catégorie 2 : 490 $
- Frais de renouvellement d’un certificat de catégorie 1 ou de catégorie 2 : 194 $
- Respect de la norme de pratique, éthique et conflit d’intérêts
En plus d’imposer, à son article 17, la norme BNQ 3009-500 à tout détenteur de certificat, le Règlement, aux deuxième et troisième alinéas de l’article 18, définit ce qu’est un conflit d’intérêts et comment l’inspecteur doit agir en pareilles situations :
« Sans restreindre la généralité de ce qui précède, le titulaire d’un certificat est en conflit d’intérêts lorsque les intérêts en présence sont tels qu’il peut être porté à préférer certains d’entre eux à ceux de son client, ou que son jugement ou sa loyauté envers celui-ci peuvent en être affectés.
Dès qu’il constate qu’il se trouve dans une situation d’apparence de conflit d’intérêts, il doit la divulguer par écrit à son client et lui demander s’il lui permet d’agir ou de continuer à agir. Il ne peut réaliser une inspection sans cette divulgation écrite et sans le consentement écrit de son client. »
Il s’agit d’une définition large et généreuse indiquant que tout intérêt divergeant à ceux de son client que le détenteur du certificat pourrait avoir est constitutif de conflit d’intérêts. De plus, le troisième alinéa invalide même postérieurement une inspection effectuée par un inspecteur alors qu’à l’époque de l’exécution de l’inspection, ce dernier se serait trouvé en conflit d’intérêts avec ceux de son client. Une telle définition assortie d’une divulgation obligatoire permet de préserver le caractère libre et éclairé du consentement du client. Le législateur se montre clair dans son intention de protéger le client.
Enfin, les articles 19 à 23 du Règlement imposent plusieurs obligations de divulgation au titulaire du certificat ainsi que de renseignement envers le client.
- Contrat écrit et clauses prohibées
En plus de respecter les exigences de la norme BNQ 3009-500, ainsi que celles de la Loi sur la protection du consommateur et la règle selon laquelle toute disposition contraire sera nulle de nullité absolue, l’inspecteur résidentiel devra signer un contrat de services respectant les exigences de l’article 25, notamment :
« 25. Le contrat de services relatif à l’inspection doit minimalement comporter les éléments suivants :
[…]
(2) le nom de tout inspecteur en bâtiments d’habitation partie au contrat, son numéro de certificat délivré par la Régie, la mention « titulaire d’un certificat délivré en vertu de la Loi sur le bâtiment » ainsi que l’adresse, le numéro de téléphone de l’établissement où il exerce ses fonctions d’inspecteur en bâtiments d’habitation et l’adresse courriel qu’il utilise dans le cadre de ses fonctions;
[…]
(4) pour tout titulaire de certificat partie au contrat de services, le nom de chaque assureur avec lequel il est couvert par un contrat d’assurance responsabilité civile générale ou par un contrat d’assurance responsabilité professionnelle erreurs et omissions, prévus au paragraphe 3° du premier alinéa de l’article 5;
[…]
(9) une mention indiquant que le titulaire du certificat qui s’adjoint les services d’un autre titulaire de certificat pour la réalisation de certaines parties de l’inspection conserve, conformément à l’article 2101 du Code civil, la direction et la responsabilité de la réalisation de l’inspection, qu’il doit y participer activement, et qu’il doit signer le rapport d’inspection.
[…]
Le contrat doit également indiquer que tout titulaire d’un certificat qui y est partie et, le cas échéant, l’entreprise individuelle, la société ou la personne morale au nom de laquelle il contracte, sont solidairement responsables des obligations qui y sont prévues. »
(Nos soulignements)
Ajoutons qu’il sera nul de nullité absolue pour tout inspecteur certifié d’exclure, par le biais d’une clause dans son contrat, toute ou partie de sa responsabilité civile[5]. Enfin, le contrat de services devra être signé par le détenteur du certificat d’inspecteur tant personnellement qu’au nom de la société ou personne morale pour laquelle il travaille ou exécute les inspections[6].
Par conséquent, le Règlement a pour effet de multiplier les recours potentiels du client si celui-ci en venait à être lésé, tout en restreignant les possibilités pour l’inspecteur d’exclure sa responsabilité. Actuellement, il est possible pour un inspecteur de signer ses contrats d’inspection au nom de sa société par actions. Le droit civil actuel considère les sociétés par actions comme étant des entités distinctes de leurs dirigeants ou fondateurs. Lorsque le client lésé cherche à être dédommagé, il ne dispose que d’un recours contre la société ayant signé le contrat de services et non contre l’inspecteur personnellement. Ce concept est appelé le voile corporatif. En situation de faillite de la société par actions ou d’une absence d’actifs saisissables de la société sur lesquels un jugement pourrait être exécuté, le client peut rapidement se retrouver le bec à l’eau. Cette injustice devrait être corrigée grâce au Règlement.
- Conservation, confidentialité et disposition pénale
Nous aurions pu aborder les obligations de formation continue, mais puisqu’elles ne doivent prendre effets qu’à partir du 1er janvier 2027, nous excluons cette section du présent billet.
Terminons donc en mentionnant qu’il deviendra obligatoire pour tout inspecteur en bâtiment certifié de conserver, durant une période minimale de six ans, l’entièreté des dossiers relatifs à une inspection et, sur demande du client, lui transmettre une copie des documents demandés[7].
Par ailleurs, l’alinéa 1 de l’article 41 du Règlement imposera une certaine confidentialité aux rapports d’inspection exécutés, car tout inspecteur ne pourra transmettre de rapports ou de documents relatifs à une inspection à quiconque sans le consentement écrit et préalable du client[8].
Finalement, l’article 42 établit que « toute contravention à l’une des dispositions du présent règlement » constitue une infraction et l’article 46 informe que l’entrée en vigueur du Règlement serait fixée au 1er octobre 2024.
Bien que le projet de Règlement sur lequel porte le présent billet n’ait toujours pas été approuvé par le gouvernement, l’approbation éventuelle du Règlement ou d’une mouture subséquente de celui-ci changera drastiquement le quotidien de tous les inspecteurs préachat œuvrant au Québec. Or, ce changement sera fera pour le mieux, puisque cette règlementation place les intérêts du client consommateur à l’avant-plan, et ce tout en multipliant et en facilitant ses recours en dédommagement contre son prestataire de service. De plus, cet encadrement des inspecteurs préachat assurera une rigueur qui pouvait manquer actuellement, mais surtout imposera une uniformité de la pratique au bénéfice de tous.
Pour ceux qui aimeraient consulter le projet de Règlement sur l’encadrement des inspecteurs en bâtiments d’habitation pour les inspections en vue d’une transaction immobilière, cliquez ici.
Pour vous procurer un exemplaire gratuit de la Norme BNQ 3009-500, cliquez ici.
Pour consulter le Projet de loi numéro n°16 de 2019, cliquez ici.
[1] Projet de Règlement sur l’encadrement des inspecteurs en bâtiments d’habitation pour les inspections en vue d’une transaction immobilière, Loi sur le bâtiment, Gaz. Off. n⁰29, p. 3423, 19 juillet 2023.
[2] Projet de loi n°16, Loi visant principalement l’encadrement des inspections en bâtiment et de la copropriété divise, le remplacement de la dénomination de la Régie du logement et l’amélioration de ses règles de fonctionnement et modifiant la Loi sur la Société d’habitation du Québec et diverses dispositions législatives concernant le domaine municipal, 1re sess., 42e lég., Québec, 2019.
[3] Bureau de normalisation du Québec, Norme BNQ 3009-500 Bâtiment d’habitation – Pratiques pour l’inspection en vue d’une transaction immobilière, 1re éd., Québec, 26 juillet 2022, PDF (consulté le 1er octobre 2023).
[4] Ce terme comprend aussi le bâtiment à usage mixte ou semi-commercial.
[5] Op cit 1, art. 26.
[6] Ibid., art. 27.
[7] Ibid., art. 40.
[8] Ibid., art. 41.
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