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09 Août 2024

Première Nation des Innus Essipit c. Dufour (Procureur général du Québec), 2024 QCCS 2397

Par SOQUIJ, Intelligence juridique

CONSTITUTIONNEL (DROIT) : Le gouvernement a manqué, envers les Premières Nations demanderesses, à son obligation de consultation au sujet de la stratégie qu’il désire mettre en place pour protéger le caribou forestier et le caribou montagnard.

2024EXP-1913** 

Intitulé : Première Nation des Innus Essipit c. Dufour (Procureur général du Québec), 2024 QCCS 2397

Juridiction : Cour supérieure (C.S.), Québec

Décision de : Juge Marie Cossette

Date : 21 juin 2024

Références : SOQUIJ AZ-52037783, 2024EXP-1913 (21 pages)

Résumé

CONSTITUTIONNEL (DROIT) — autochtones — droits ancestraux — Première Nation — protection du caribou — Couronne — interprétation de «honneur de la Couronne» — obligation de consultation — obligation d’accommodement — effet préjudiciable — jugement déclaratoire — injonction permanente.

INJONCTION — circonstances d’application — injonction permanente — divers — autochtone — droits ancestraux — Première Nation — protection du caribou — Couronne — obligation de consultation.

Demande en jugement déclaratoire et en injonction permanente. Accueillie.

Les Premières Nations demanderesses veulent forcer le gouvernement du Québec, conformément à ses obligations constitutionnelles, à tenir un processus de consultation distinct les impliquant en lien avec la Stratégie pour les caribous forestiers et montagnards de la Gaspésie qu’il doit élaborer. Le procureur général du Québec (PGQ) soutient que le recours est prématuré puisque la Stratégie n’a pas encore été parachevée. Il prétend aussi qu’il est trop tôt pour déterminer si la Stratégie aura des effets préjudiciables sur les droits et les titres ancestraux revendiqués par les demanderesses, ce qui ferait en sorte que l’obligation de consultation ne serait pas encore déclenchée.

Décision
L’obligation de consulter prend naissance lorsque les conditions suivantes sont remplies: 1) la Couronne a une connaissance réelle ou imputée de l’existence potentielle d’une revendication autochtone ou d’un droit ancestral; 2) elle envisage une mesure («contemplated Crown conduct»); 3) qui peut avoir un effet préjudiciable sur une revendication autochtone ou un droit ancestral.

En l’espèce, les 2 premières conditions ne sont pas contestées. Quant à la troisième, le tribunal doit interpréter l’aspect préjudiciable possible au moyen d’une approche généreuse et téléologique afin de permettre l’atteinte de l’objectif légal poursuivi. À cet égard, les demanderesses soutiennent que, compte tenu de l’état de perturbation actuel de l’habitat du caribou sur leurs territoires, lequel ne cesse de s’aggraver et laisse déjà craindre une possible extinction de cette espèce, toute mesure envisagée aura inévitablement un effet préjudiciable puisque des choix déchirants devront nécessairement être faits et que tous les angles ne pourront être couverts. C’est la raison pour laquelle elles souhaitent être rapidement consultées afin de sensibiliser le gouvernement aux enjeux qu’elles considèrent comme prioritaires. Le PGQ n’a pas offert de preuve contredisant l’affirmation voulant que la situation soit alarmante. Le troisième volet de l’analyse est donc rempli.

La Couronne ne peut s’acquitter de son obligation constitutionnelle de consultation que si elle agit de bonne foi et tient une véritable consultation adaptée aux circonstances. Afin d’atteindre cet objectif, il est nécessaire que celle-ci se déroule tôt dans le processus de planification de la mesure et qu’elle se poursuive jusqu’à son achèvement. Ainsi, dès que des décisions préliminaires importantes ont été prises afin de lancer le projet de la mesure, le moment est propice pour entreprendre la consultation. Autrement, les préoccupations de la nation visée risquent de ne pas être prises adéquatement en considération et cette dernière se trouvera alors placée devant le fait accompli, soit un projet trop avancé pour être modifié. En l’espèce, les demanderesses sont en droit de s’attendre à un haut degré de consultation aux fins d’élaborer la Stratégie, surtout à la lumière de différentes déclarations antérieures du gouvernement.

Pour respecter son devoir d’agir honorablement, le gouvernement aurait dû lancer le processus de consultation concernant la Stratégie il y a déjà fort longtemps. Par ailleurs, il est possible que les soucis invoqués par les demanderesses ne soient pas tous pris en compte, et ce, pour toutes sortes de raisons. Cependant, les demanderesses ont un droit constitutionnel à ce que leurs enjeux particuliers ainsi que leurs préoccupations soient appréciés à leur juste valeur, ce qui ne sera possible que si cet exercice se fait en temps utile. Le tribunal ne croit pas que ce sera le cas si elles sont consultées après que les autres ministères, dont certains ont des intérêts divergents visant à protéger leurs industries, aient pu exprimer leurs revendications et convenir de concessions en échange de leur vote d’appui. Par conséquent, il faut procéder à la consultation des demanderesses avant d’avoir soumis la Stratégie au vote du Conseil des ministres. En outre, il est ordonné au gouvernement de mettre en place d’ici le 30 septembre 2024 un processus distinct de consultation en lien avec l’élaboration et la mise en oeuvre de la Stratégie, lequel pourra, le cas échéant, mener à des accommodements.

Le texte intégral de la décision est disponible ici.

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