Une norme d’intervention « très sévère » en matière de garde d’enfants
Par Jie Zhu, Avocate
Dans l’arrêt Droit de la famille – 241338, 2024 QCCA 1124 du 30 août 2024, la Cour d’appel rappelle la norme d’intervention « très sévère » applicable en appel aux questions de garde d’enfants, y compris au choix d’école. Un appel ne constituant pas un nouveau procès, il importe à tout appelant de justifier l’intervention de la Cour au-delà de son désaccord avec la décision rendue en première instance. L’arrêt résume la norme d’intervention applicable en matière de garde d’enfants et les raisons qui sous-tendent son application.
Contexte
L’arrêt a été rendu en appel d’un jugement rendu oralement par la Cour supérieure, qui a rejeté la demande de l’appelant visant le changement d’école de l’enfant mineure des parties, âgée de cinq ans. S’agissant d’une décision concernant une enfant, le jugement d’instance doit être pris dans l’intérêt de l’enfant et dans le respect de ses droits (cf. art. 33 et 604 C.c.Q.).
Décision
L’intérêt supérieur de l’enfant est une question qui s’apprécie au regard de différents éléments factuels et qui est hautement tributaire des circonstances. Ainsi, elle commande une grande déférence et une cour d’appel n’est pas autorisée à intervenir en l’absence d’une erreur de droit ou d’une erreur de fait manifeste et déterminante dans l’appréciation de la preuve.
Il s’agit d’une norme d’intervention « très sévère » et les raisons en sont détaillées notamment dans Droit de la famille-20473 (2020 QCCA 482), sur lesquelles la Cour d’appel a estimé nécessaire d’insister :
« [18] Il est acquis que les décisions en matière de garde commandent la plus grande déférence. Il en est ainsi pour plusieurs raisons. Une première raison tient au fait que le juge qui a vu et entendu les parties est le mieux placé pour exercer le pouvoir discrétionnaire dont l’a nanti le législateur. Une deuxième participe de l’idée selon laquelle les parties devraient être dissuadées d’appeler du jugement et d’engager en conséquence des honoraires professionnels en formulant le vœu idéaliste que la cour de révision appréciera différemment la preuve factuelle et les facteurs retenus par le juge du procès. Une troisième se rattache à l’importance pour les parties d’être favorisées d’un jugement définitif pour que les enfants connaissent avec certitude l’endroit où ils ancreront leur projet de vie. Une quatrième raison est associée à l’importance de respecter le pouvoir discrétionnaire du juge et l’appréciation pondérée des faits liés à l’intérêt de l’enfant.
[19] Cette idée d’une grande déférence ne place pas pour autant le décideur à l’abri de toute révision. Une intervention, dans des circonstances au demeurant exceptionnelles, sera justifiée lorsque le juge commet une erreur significative dans l’appréciation des faits ou dans l’interprétation de la preuve ou encore lorsque la décision est entachée d’une erreur de droit déterminante.
[20] En revanche, la cour de révision ne sera pas justifiée d’intervenir au seul motif qu’elle aurait rendu une décision différente ou soupesé différemment les facteurs. En outre, le juge du procès n’est pas tenu d’expliquer par le menu chaque élément de preuve et il peut privilégier un facteur plutôt qu’un autre, cela ne pouvant justifier une nouvelle appréciation de la preuve par la cour de révision. »
En l’occurrence, au-delà d’une invitation à reconsidérer la preuve, l’appelant n’est pas parvenu à démontrer d’erreur justifiant l’intervention de la Cour. L’appel a donc été rejeté.
Commentaire
Rappelons qu’une erreur de fait manifeste et déterminante dans l’appréciation de la preuve est celle qui doit paraître évidente au vu du jugement. Elle ne pose pas « un critère quantitatif mais qualitatif »[1]. Une image valant mille mots, cette norme d’intervention « très sévère » a été évoquée par les tribunaux d’appel comme s’appliquant à une erreur qui relève de la « poutre dans l’œil » plutôt que « l’aiguille dans une botte de foin »[2], c’est-à-dire celle qui est « identifiable avec une grande économie de moyens, sans que la chose ne provoque un long débat de sémantique, et sans qu’il soit nécessaire de revoir des pans entiers d’une preuve documentaire ou testimoniale »[3]. Ainsi, on ne saurait « se contenter de tirer sur les feuilles et les branches et laisser l’arbre debout », mais plutôt « faire tomber l’arbre tout entier »[4].
À cet égard, l’image du « prisme déformant » – par laquelle il peut être reproché à un juge d’avoir évalué la preuve à travers un prisme ayant un effet déformant la réalité – ne fonde pas une norme d’intervention autonome et ne saurait justifier une norme d’intervention moins sévère[5].
Le texte intégral de la décision est disponible ici.
[1] 9288-4212 Québec inc. c. 6300 Avenue du Parc inc., 2023 QCCA 552, paragr. 5
[2] J.G. c. Nadeau, 2016 QCCA 167,paragr. 77
[3] J.G. c. Nadeau, 2016 QCCA 167,paragr. 76
[4] Canada c. South Yukon Forest Corporation, 2012 CAF 165,paragr. 46
[5] Salomon c. Matte-Thompson, 2019 CSC 14, paragr. 37 à 40
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