Qui doit trancher les objections à la preuve en droit disciplinaire ?
Par Maia Ioana Voicu, Avocate
Le 3 décembre 2024, le Tribunal des professions rend une décision importante pour le système professionnel québécois. La décision Desforges c. Chiropraticiens (Ordre professionnel des) réitère et clarifie le rôle des membres non-juristes d’un conseil de discipline. Ainsi, un président d’un conseil de discipline n’a pas compétence pour rendre, seul, une décision sur des objections à la preuve sans consulter les autres membres.
Contexte
Le 8 novembre 2023, Dr Desforges (« l’intimé ») dépose une demande de récusation des membres du Conseil de discipline de l’Ordre des chiropraticiens du Québec (« Conseil ») pour absence d’indépendance et d’impartialité. Il reproche au président du Conseil d’avoir rendu en cours d’instance plusieurs décisions sur des objections à la preuve, et ce, sans consulter les autres membres du Conseil.
Enfin, le 29 février 2024, l’intimé obtient l’autorisation du Tribunal des professions (« Tribunal ») pour faire appel de la décision du Conseil rejetant sa demande de récusation [1].
Décision
Tout d’abord, le Tribunal détermine que le président du Conseil a tranché seul les objections à la preuve lors de l’instruction. Un geste démontré par les extraits du jugement sur la demande de récusation.
Le Tribunal souligne que les dispositions du Code des professions (« Code ») sont d’ordre public [2]. Pour qu’une dérogation soit possible, le Code doit le prévoir spécifiquement. Par ailleurs, l’article 143 du Code mentionne qu’un conseil de discipline est apte à trancher toute question de droit ou de fait qui serait nécessaire à l’exercice de sa compétence. Ainsi, cette disposition impérative énonce que tous les membres formant un conseil de discipline doivent rendre ensemble les décisions interlocutoires, sauf exception prévue par la loi [3]. C’est pourquoi « [l]e président d’un conseil de discipline et les deux autres membres ont voix égale au sein d’un conseil de discipline » [4], c’est-à-dire qu’ils siègent tous en collégialité.
Ensuite, le Tribunal s’interroge également à savoir si le Conseil commet un excès de compétence contredisant le système disciplinaire sur la prise des décisions interlocutoires en cours d’instance. Puisque le Conseil omet de se conformer à l’article 143 du Code, il y a bien perte de compétence. Le Tribunal conclut alors que « la dérogation à la loi est de nature fondamentale, elle constitue un excès de compétence qui entraîne la correction du vice commis et la reprise des procédures » [5].
En conséquence, le Tribunal annule la décision du Conseil sur la demande de récusation, ordonne la tenue d’une nouvelle audience et récuse tous les membres du Conseil.
Conclusion
Cette décision permet au Tribunal de souligner que l’image de la justice est discréditée si l’on supprime tant la liberté de conscience et d’opinion que le droit à la dissidence d’un membre siégeant sur un conseil de discipline [6].
En droit disciplinaire québécois, il est donc essentiel que tous les membres qui siègent sur un conseil de discipline participent et expriment leurs opinions quant aux décisions prises sur les objections à la preuve [7].
Le texte intégral de la décision est disponible ici.
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[1] Desforges c. Chiropraticiens (Ordre professionnel des), 2024 QCTP 13.
[2] Desforges c. Chiropraticiens (Ordre professionnel des),2024 QCTP 69, au para 29.
[3] Ibid,para 35.
[4] Ibid,para 28.
[5] Ibid,para 41.
[6] Ibid,para 38.
[7] Ibid.

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