La Cour d’appel spécifie l’étendue des pouvoirs du Tribunal en matière d’ordonnance d’hébergement en vertu de la Loi sur la protection de la jeunesse
par Sabrina Brosseau-Malo
André R. Dorais, Avocats
Dans Protection de la jeunesse — 112010 (2011 QCCA 1255), le DPJ se pourvoit contre un jugement rendu en Cour du Québec Chambre de la jeunesse ordonnant l’hébergement obligatoire d’un enfant dans une famille d’accueil désignée de façon spécifique. Le tribunal peut-il, dans ce contexte, désigner nommément une famille d’accueil ou est-ce qu’une telle mesure relève du ressort exclusif du DPJ?
Dans les faits en l’espèce, une première ordonnance provisoire est rendue en Cour du Québec visant à placer l’enfant de très bas âge en famille d’accueil en vertu de l’article 38 b) (2) de la Loi sur la protection de la jeunesse (la « Loi »). À l’expiration de l’ordonnance, une requête en révision et prolongation est déposée par le DPJ en vertu de l’article 95 de la Loi. Lors de l’audition, le DPJ présenta un projet de vie permanent pour l’enfant de manière à ce qu’il demeure jusqu’à sa majorité sous les soins de la famille d’accueil chez qui il fut hébergé pendant la période couverte par la première ordonnance. À la lumière des faits présentés à l’audition, le juge de la Cour du Québec jugea qu’il avait le pouvoir de désigner ladite famille d’accueil de manière spécifique dans son ordonnance pour assurer que l’enfant bénéficie de stabilité, et ce, en fonction des principes sous-jacents à la Loi.
Le DPJ porta dès lors ce jugement en appel devant la Cour supérieure considérant que le pouvoir de désigner nommément une famille d’accueil relevait de son ressort exclusif et que le juge de la Cour du Québec avait agi de manière ultra vires en prononçant une telle ordonnance. La position de la Cour supérieure fut à l’inverse.
[14] Le juge de la Cour supérieure rejette l’appel. Il est d’avis que, même si c’est le DPJ qui désigne l’établissement qui choisit une famille d’accueil, en vertu des articles 62 et 91 de la Loi, les modifications apportées aux articles 4 et 91.1, le 1er juillet 2007, ont pour but d’éviter qu’il y ait des « enfants ping-pong », c’est-à-dire qui subissent de nombreux déplacements. Dans ce but, le législateur a introduit la notion de « projet de vie » dont la famille d’accueil est un des éléments principaux. Le DPJ devra démontrer que celle-ci est prête à s’investir à long terme. Le tribunal pourra alors décider d’accepter ou non le projet de vie proposé par le DPJ, lequel joue un rôle d’expert auprès du tribunal.
[15] À la lumière de la jurisprudence sur cette question, le juge conclut que « le législateur exige l’approbation de la Cour du Québec pour implanter un « projet jusqu’à majorité » et que ce projet ne puisse être modifié à la seule discrétion de l’appelant, – DPJ, mais modifié seulement par un autre jugement (l’intervention de l’article 95 de la LOI) ».
Une fois le litige porté devant la Cour d’appel, le DPJ maintient que le tribunal de première instance ne possédait qu’un pouvoir de recommandation en vertu du paragraphe 3 de l’article 91 et que le pouvoir d’exécuter de telles mesures lui revenait.
[20] Le DPJ soutient enfin que les amendements apportés à la Loi en 2007 n’ont pas accordé un nouveau pouvoir à la Cour du Québec de désigner les ressources qui hébergent les enfants.
L’Honorable juge Dutil de la Cour d’appel, au nom d’un banc unanime, fonde l’analyse de sa décision sur les notes explicatives du projet de loi numéro 125. Elle nous enseigne ici que l’élément crucial à prendre en considération est d’assurer à l’enfant la « continuité des soins et la stabilité des liens et des conditions de vie appropriées à ses besoins et à son âge de façon permanente » (art. 4 de la Loi) et qu’en ce sens, le juge de la Cour du Québec était dans le droit de prendre une telle mesure pour assurer lesdits principes édictés par le législateur.
[29] Le projet de vie est indissociable de l’ordonnance prononcée en vertu de l’article 91.1(3) de la Loi. Dans ce nouveau cadre, et considérant les objectifs de la Loi, je suis d’avis que le tribunal peut désigner nommément la famille d’accueil préalablement proposée par le DPJ dans le projet de vie de l’enfant, puisqu’elle constitue une composante essentielle qui est au cœur de sa décision.
L’honorable juge Dutil rejette l’appel et confirme le bien-fondé du rejet de la Cour supérieure:
[34] À mon avis, les changements apportés par le législateur à la Loi, en 2007, ont modifié le rôle du tribunal et l’autorisent à s’assurer que le projet de vie pour l’enfant favorisera réellement sa stabilité. Le DPJ désigne un établissement qui choisit la famille d’accueil pour le projet de vie et le tribunal prononce une ordonnance basée sur ce qui est proposé. Permettre au DPJ de changer l’enfant de famille d’accueil sans revenir devant le tribunal pour en expliquer les raisons et proposer une alternative aurait comme conséquence d’enlever à ce dernier le rôle qui lui a été confié par le législateur, c’est-à-dire, « rendre une ordonnance qui tend à assurer la continuité des soins et la stabilité des liens et des conditions de vie de cet enfant, appropriées à ses besoins et à son âge, de façon permanente » (art. 91.1(3) de la Loi), laquelle repose sur le projet de vie tel que proposé.
[35] Si des changements interviennent par la suite en ce qui concerne la famille d’accueil qui aurait été nommément désignée, le DPJ n’est pas sans recours. En vertu de l’article 95 de la Loi, il peut saisir le tribunal d’une demande de révision de l’ordonnance. Cette façon de procéder permet à celui-ci de rendre des ordonnances conformes aux objectifs de la Loi et au DPJ de choisir les ressources.
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/pNyeoI
Référence neutre: [2011] CRL 408
Les avocats et avocates oeuvrant en droit de la jeunesse doivent comprendre que le jugement, est selon moi, rendu dans le contexte particulier des ordonnances à long terme visant la stabilité d'un enfant. Malheureusement ou heureusement, selon la position de votre client, la Cour d'appel n'a pas tranché la question de l'interprétation de l,article 62 pour tous les autres dossiers d'hébergement en Famille d'accueil ou en centre d'accueil. En effet, la Cour peut-elle désigner le centre d,accueil ? Selon l'état de la jurisprudence (incluant la Cour d'Appel) la réponse est non! Il aurait été bien que le débat soit réglé une fois pour toute!
Charles Bernard Avocat
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