par
Randa Fakhoury
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14 Juin 2017

La signalisation routière n’est pas de connaissance d’office

Par Randa Fakhoury, AvocateDunton RainvilleS.E.N.C.R.L.

Par
Randa Fakhoury

Avocate

Dans
la cause Ville de Laval c. Derix, 2017 QCCM 93, la vitesse du défendeur n’est pas
contestée.

En
fait, le débat porte plutôt sur la signalisation relative à la vitesse dans la
zone où le défendeur a été arrêté, ainsi que sur la connaissance judiciaire de
cet élément.

Questions en litige

Le
Tribunal a-t-il la connaissance judiciaire des limites de vitesse de la ville
dans laquelle il siège?

Dans
la négative, le Tribunal a-t-il une connaissance judiciaire de la limite de
vitesse sur la desserte de l’autoroute 13 lorsque l’infraction est reprochée en
vertu de l’article 328 du Code de la
sécurité routière
(CSR)?

Dans
la négative, y a-t-il une preuve que la zone visée en est une de 70 km/h?

Position des parties

Position de la Ville de Laval

La
poursuite indique que le défendeur ne nie pas la vitesse, mais tente de
brouiller par son témoignage une situation qui, selon elle, est claire.

Elle
mentionne qu’une personne avec une certaine expérience de conduite doit savoir
que la limite de vitesse sur une voie de desserte est de 70km/h et que toute
personne qui l’ignore représente un danger.

Aussi,
la poursuite prétend : « qu’un juge municipal qui siège et entend tous les
jours des causes de vitesse a une connaissance judiciaire des limites de
vitesse pour la ville pour laquelle il siège ». La juge Paré répond à ce
commentaire à la fin de la décision et nous y reviendrons ci-dessous.

Position
du défendeur Derix

Le défendeur tente de démontrer par l’entremise
de ses pièces, qu’aucune pancarte n’affichait une vitesse de 70km/h sur la voie
de desserte de l’autoroute 13. Il y avait seulement une pancarte qui affichait
une vitesse de « 70km/h à venir ».

Ainsi, pour le défendeur, il a respecté la
signalisation puisque le dernier panneau de vitesse qu’il a vu, en quittant
l’autoroute, était de 100km/h. 

De plus, selon le défendeur, le fait que la
municipalité ait installé des panneaux additionnels affichant la vitesse de
70km/h, après l’émission de son infraction, confirme qu’il n’y avait pas de
signalisation et, et de ce fait, qu’il a raison.

Analyse

Le Tribunal a-t-il la connaissance judiciaire des limites de vitesse de
la ville dans laquelle il siège?

Le
Tribunal répond par la négative. La connaissance judiciaire comporte deux
volets.

La
connaissance d’office du droit est tout ce dont un juge se doit de prendre
obligatoirement connaissance, soit le droit, les règlements et la
jurisprudence.

 La connaissance judiciaire des faits
vise deux sortes de faits qui sont résumés comme suit :

 « (1) so
notorious or generally accepted as not to be the subject of debate among
reasonable persons or (2) capable of immediate and accurate demonstration by
resort to readily accessible sources of indisputable accuracy. (…)»

La
juge Paré cite la cause Baie-Comeau
(Ville)
c. D’Astous (1992 CanLii
2956) afin d’expliquer qu’un juge ne
peut pas se référer à des connaissances acquises lors de l’audition de d’autres
causes ou par son étude personnelle sur certains sujets.

Elle
continue en citant un paragraphe pertinent de la décision Longueuil (Ville) c. Houle
(2003 CanLII 55348) que nous
reproduisons :

« [32] Il découle de ces enseignements qu’un juge qui
apprend, à l’occasion de l’audition d’une cause, que tel jour et à telle heure,
tel panneau de signalisation précis était situé à tel endroit tout aussi
précis, il ne peut, ce juge, dans le cadre de l’audition d’une autre affaire,
importer la connaissance acquise de ce fait dans l’affaire suivante qu’il
entend, et ce, même si l’infraction reprochée est la même infraction, commise
au même endroit, et à la même heure, par exemple, pour une infraction relative
au stationnement, commise par un véhicule garé immédiatement devant le premier.
»

Ainsi,
la connaissance judiciaire ne peut s’appliquer à un fait en litige.



Dans
la négative, le Tribunal a-t-il une connaissance judiciaire de la limite de
vitesse sur la desserte de l’autoroute 13 lorsque l’infraction est reprochée en
vertu de l’article 328 du Code de la sécurité routière (CSR)?

Les
éléments qui doivent être prouvés dans  les poursuites intentées en vertu de l’article
328 du Code de la sécurité routière
sont : (1) la conduite (2) d’un véhicule routier (3) à une vitesse
supérieure à la limite permise par la loi.

Conséquemment,
la poursuite n’a pas besoin de faire la preuve de la limite de vitesse où le
défendeur a été capté. Cela se présumerait des descriptions et des vitesses qui
sont prévues à l’article même.

Selon
l’honorable Paré, cette présomption ne trouve pas application dans le cas en
l’espèce et donc la vitesse de la zone où l’infraction a lieu devient un
élément essentiel de l’infraction et doit être prouvé.

L’auteur
Jean-Claude Royer explique que « en droit pénal, un juge devrait être plus réticent à
prendre connaissance d’un fait qui n’a pas été prouvé par le ministère public »
.



Dans
la négative, y a-t-il une preuve que la zone visée en est une de 70 km/h?

Le
Tribunal conclut par l’affirmative puisque le constat d’infraction indique la
vitesse de la zone à laquelle le défendeur circulait, soit 93km/h, et la limite
de la vitesse à cet endroit 70km/h.

L’autre
preuve sur laquelle s’appuie la juge Paré est que lorsque le défendeur quitte
l’autoroute pour s’engager sur la desserte, il y avait une pancarte qui
affichait « 70km/h à venir ». Par conséquent, du moment où le défendeur quitte
l’autoroute, il sait qu’il devra réduire sa vitesse.

Aussi, le Tribunal
indique qu’aucune obligation n’échoit à une municipalité d’annoncer une voie de
desserte. L’obligation est dans l’affichage de la signalisation relativement à
la vitesse. Cet affichage est présent et est aperçu par le défendeur. Le
défendeur n’avait pas à attendre l’apparition d’un autre panneau pour connaître
la vitesse permise.

Vu qu’aucun doute
raisonnable n’a été soulevé par le défendeur, le tribunal le déclare coupable.

Commentaires

Tel
que mentionné plus haut, le procureur de la poursuite a argumenté « qu’un juge municipal qui siège et entend
tous les jours des causes de vitesse a une connaissance judiciaire des limites
de vitesse pour la ville pour laquelle il siège
».

La
juge Paré précise que peu importe la juridiction d’un juge, il jouit toujours
d’une indépendance judiciaire. Il ne siège pour aucune partie, il est au service
du droit et de ses règles et il est impératif qu’il apparaisse impartial. Elle
cite même l’honorable juge Wagner de la Cour suprême, dans la décision Juges de paix
magistrats (& al.)
c. P.G.Q., 2016 CSC 39,  à l’effet que l’indépendance
judiciaire existe au profit du public.

La
décision se trouve ici.

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