Chronique du CAP – Projet de loi 168 : Quel accès à la justice pour les victimes de violences sexuelles ou conjugales?
Par le Comité Affaires publiques (CAP) du
JBM
En décembre dernier, la ministre de la Justice, Me Stéphanie
Vallée, présentait à l’Assemblée nationale le Projet de loi 168 qui vise à
favoriser l’accès à la justice[i].
Bien que le projet de loi regorge d’initiatives intéressantes, aucune mesure
n’est spécifiquement prévue pour les victimes de violences sexuelles ou
conjugales. Est-il possible d’imaginer quelques recommandations qui
s’inscriraient bien dans ce projet de loi?
Oui. Deux mesures s’arrimeraient parfaitement avec le projet
de loi afin d’améliorer l’accès à la justice civile pour les victimes de
violences sexuelles ou conjugales. D’une part, les recours civils en matière de
violences sexuelles ou conjugales pourraient être rendus imprescriptibles, ce
qui signifie qu’ils cesseraient de s’éteindre par l’écoulement du temps.
D’autre part, cette mesure pourrait s’étendre autant aux préjudices moraux que
corporels.
Le droit actuel prévoit qu’une victime peut intenter un
recours civil contre son agresseur. Un tel droit d’action s’éteint après
30 ans lorsqu’il découle d’un préjudice corporel résultant d’une agression
à caractère sexuel, de la violence subie pendant l’enfance, ou de la violence
d’un conjoint ou d’un ancien conjoint[ii].
Pour un préjudice moral, le droit d’action s’éteint après 3 ans.
Le Projet de loi 168 prévoit déjà étendre et protéger le
délai de prescription des recours civils en lien avec une atteinte aux droits
fondamentaux. Par exemple, l’article 36 du projet de loi ferait passer le
délai de prescription des recours fondés sur une atteinte à la réputation de un
an à trois ans. De plus, l’article 37 protège de « toute disposition
contraire » le délai de prescription des recours fondés sur une atteinte à
un droit fondamental garanti par la Charte
des droits et libertés de la personne. Une extension du délai de
prescription pour victimes de violences sexuelles et conjugales s’inscrirait
dans la même logique. En rendant imprescriptibles les recours civils en matière
de violences sexuelles ou conjugales, le Québec emboîterait d’ailleurs le pas sur
la majorité des autres provinces canadiennes[iii].
Afin de s’assurer d’un accès à la justice pour toutes les
victimes, il y aurait également lieu d’étendre cette imprescriptibilité au
préjudice moral. En effet, la définition civile de « préjudice
corporel » n’inclut pas toutes les violences sexuelles et conjugales.
Le délai de prescription actuel permet aux agresseurs de
tirer avantage de l’absence de dénonciations. L’imprescriptibilité de ce type
de recours et l’inclusion des préjudices moraux viseraient à assurer un effet
dissuasif supplémentaire face à ce type d’agression afin que les agresseurs ne
se sentent jamais à l’abri de la justice. Dans bien des cas, ce sont d’ailleurs les
agresseurs eux-mêmes qui participent à créer un climat de silence
hostile aux dénonciations, notamment lorsqu’ils sont en position d’autorité.
Rappelons que près de 80 % des
victimes connaissaient déjà leur agresseur au moment des faits. Nous ne devons
pas accepter que les agresseurs bénéficient ainsi de leur influence sociale
pour échapper à leur responsabilité civile.
Dans les récentes années, plusieurs propositions d’abolition
du délai de prescription ont été avancées. En 2016, le Projet de loi 596 était déposé afin que le droit d’action en matière de
violences sexuelles ne s’éteigne plus par l’écoulement du temps. Cette
proposition est demeurée lettre morte. Depuis, le 22 juin 2016, le Barreau du Québec enjoignait la ministre de la Justice à amender
l’article 2926.1 CcQ afin de
rendre imprescriptible les recours civils en matière d’agression sexuelle,
notant que l’état actuel du droit ne tenait pas compte du fait que des victimes
se trouvent dans un état psychologique ou physique tel qu’elles ne sont pas en
mesure d’entreprendre un recours contre leur agresseur. Le 12 décembre 2017,
le Barreau réitérait sa proposition dans la foulée du
mouvement #MoiAussi. Le 19 décembre 2017, la Protectrice du citoyen publiait une étude approfondie sur les
avantages de l’abolition de toute prescription pour les recours civils en
matière de violence sexuelle, de violence conjugale et de violence subie durant
l’enfance[iv].
Le Projet de loi 168 serait le bon véhicule pour répondre à ces demandes.
Les chroniques du CAP sont rédigées par un ou plusieurs membres du Comité Affaires publiques du JBM (« CAP »)
dans le but de susciter les discussions et de soulever les réflexions
au sein de la communauté juridique. Les auteurs sont donc seuls
responsables du contenu des articles et l’opinion qui y est véhiculée
n’est pas celle du JBM, mais bien celle des auteurs. Si vous désirez
rédiger une chronique, envoyez un courriel au cap@ajbm.qc.ca.
favoriser l’accès à la justice et à en accroître l’efficacité, 1re
sess, 41e lég, Québec, 2017 (présenté le 8 décembre 2017).
[ii] Code civil du Québec,
RLRQ c CCQ-1991, art. 2926.1.
[iii] Protectrice du citoyen, « Abolir toute prescription pour
les recours civils en cas d’agression sexuelle, de violence subie durant
l’enfance ou de violence d’un conjoint ou d’un ex-conjoint », 19
décembre 2017, p. 3-4.
[iv] Protectrice du citoyen, « Abolir toute prescription pour
les recours civils en cas d’agression sexuelle, de violence subie durant
l’enfance ou de violence d’un conjoint ou d’un ex-conjoint », 19
décembre 2017.
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