Chronique du CAP – Accessibilité à la justice : quel apport concret pour le Projet de loi n°168?
Par Julien Delangie
Avocat
Narang & Associés
et membre du Comité Affaires publiques (CAP) du JBM
Nous examinerons
dans les prochaines lignes deux aspects du Projet
de loi n°168 : Loi visant à favoriser l’accès à la justice et à en accroître
l’efficacité (ci-après, le « Projet
de loi »), concernant, premièrement, certaines dispositions en matière
de justice pénale puis, deuxièmement, des modifications proposées au régime d’aide
juridique.
Programme d’adaptabilité du système de justice dans le
cadre d’un processus de réhabilitation
L’article 21 du
Projet de loi prévoit l’ajout au chapitre V du Code de procédure pénale – lequel chapitre porte sur la procédure
préalable à l’instruction – d’une section s’intitulant « Programme
d’adaptabilité du système de justice dans le cadre d’un processus de
réhabilitation ».
Les programmes
d’adaptabilité existent déjà dans certains districts judiciaires[1]
et sont plus généralement connus sous la désignation « programme
d’accompagnement justice ».
Ce sont des
programmes qui visent à accompagner à travers le processus judiciaire les
personnes qui présentent des problématiques psychosociales particulières
(troubles de santé mentale, itinérance) et qui sont accusées d’infractions
criminelles mineures, en adaptant le traitement judiciaire de leur dossier à
leur situation psychosociale.
À titre d’exemple, si
une personne participant à un tel programme respecte des conditions comme ne
pas consommer d’alcool et appliquer les recommandations d’une équipe traitante,
la poursuite peut demander le retrait des accusations ou l’imposition d’une
sentence non privative de liberté.
Si nous ne pouvons
que nous réjouir que ce type de programme reçoive un encadrement législatif,
notons que le Projet de loi est loin d’instaurer des programmes
d’accompagnement justice à la grandeur de la province.
Tout au plus, l’ajout
proposé au Code de procédure pénale vient
encadrer les programmes existants[2].
Sans l’octroi de ressources pour mettre sur pied davantage de programmes
accompagnement justice, nous voyons mal comment l’accès à la justice y gagnera.
Saluons néanmoins
ce premier pas en attendant les prochains.
L’aide juridique et les modes privés de prévention et
de règlement des différends
Selon les notes
explicatives, le Projet de loi viendrait modifier la Loi sur l’aide juridique et sur la prestation de certains services
juridiques (ci-après, la « Loi »)
afin « d’ajouter des services visant notamment à éviter la judiciarisation[3] ».
La seule réelle
modification proposée à ce sujet concerne l’article 4.4 de la Loi[4] :
Libellé actuel de l’article 4.4 de la Loi |
Libellé proposé de l’article 4.4 de la Loi |
L’aide juridique est accordée, dans la mesure déterminée par les dispositions de la présente sous-section et des règlements, pour les affaires dont un tribunal est ou sera saisi; elle peut être accordée en tout état de cause, en première instance ou en appel; elle s’étend, dans la même mesure, aux actes d’exécution. Elle est |
L’aide juridique est accordée, dans la mesure déterminée par les dispositions de la présente sous-section et des règlements, pour les services rendus avant la judiciarisation, notamment dans le cadre de la participation à des modes privés de prévention et de règlement des différends visant à éviter la judiciarisation, lorsque ces services s’avèrent nécessaires, ainsi que pour les affaires dont un tribunal est ou sera saisi. Elle peut être accordée à toute étape du processus et en tout état de cause, en première instance ou en appel. L’aide juridique s’étend, dans la même mesure, aux actes d’exécution. L’aide juridique |
Annoncée comme une
bonification du régime d’aide juridique, cette modification proposée nous laisse
perplexe, pour deux raisons.
Premièrement, les
services d’avocats pour la participation à des séances de conciliation sont
déjà couverts dans une certaine mesure en matière de logement, d’immigration,
de protection de la jeunesse ainsi qu’au Tribunal administratif du Québec.
Certes, ces services de conciliation supposent une judiciarisation préalable du
dossier. Il faudrait voir alors comment la modification proposée à l’article
4.4 de la Loi permet à des personnes dont le dossier n’a encore fait l’objet
d’aucune demande en justice de profiter des services de l’aide juridique pour
participer à des modes privés de prévention et de règlement des différends. Le
Projet de loi ne nous fournit aucun détail à ce sujet.
Deuxièmement, s’il
y a bien là une bonification du régime d’aide juridique, il faut encore une
fois poser la question des ressources. Injectera-t-on des fonds nouveaux pour
embaucher davantage d’avocats au sein des bureaux d’aide juridique ou pour
rémunérer les avocats en pratique privée qui accepteront ces mandats ? Aucune
annonce à ce propos n’a été faite en marge de la présentation du projet de loi.
Ici encore, il
faudra attendre des mesures concrètes avant de pouvoir se prononcer sur la
portée de ce qu’on nous présente comme une bonification du régime d’aide
juridique.
Les chroniques du CAP sont rédigées par un ou plusieurs membres du Comité Affaires publiques du JBM (« CAP »)
dans le but de susciter les discussions et de soulever les réflexions
au sein de la communauté juridique. Les auteurs sont donc seuls
responsables du contenu des articles et l’opinion qui y est véhiculée
n’est pas celle du JBM, mais bien celle des auteurs. Si vous désirez
rédiger une chronique, envoyez un courriel au cap@ajbm.qc.ca.
[1] À ce
jour, des programmes d’accompagnement justice existent sous la forme de projets
pilotes ou de programmes permanents à la Cour municipale des villes de Montréal
et de Québec, ainsi qu’à la chambre criminelle de la Cour du Québec des
districts de Terrebonne, Joliette, Trois-Rivières, Saint-François
(Sherbrooke) et Abitibi (Val-d’Or).
[2] Le nouvel
article 167.2 du Code de procédure pénale
se lirait comme suit : « Avant le début de l’instruction, le
poursuivant peut offrir à un défendeur qui n’a pas déposé de plaidoyer de culpabilité
ou qui a plaidé non coupable de participer à un programme d’adaptabilité, dans
la mesure où un tel programme est disponible (nous
soulignons). » – (article 21 du Projet de loi)
[3] Page 4 du
Projet de loi.
[4] Article
141 du Projet de loi.
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