Conseils pour les jeunes avocat.e.s : entrevue inspirante avec le juge Claude Champagne
Par Malika Rougaibi, Avocate
Lorsqu’on a la chance d’échanger avec un éminent juriste comme le juge à la retraite Claude Champagne, on repart inévitablement avec une vision renouvelée et rafraîchissante de la profession juridique. À travers ses années de pratique à titre d’avocat puis à titre de juge pendant 21 années à la Cour supérieure du Québec et aujourd’hui à titre d’avocat-conseil ainsi qu’arbitre et médiateur, il a partagé de précieux conseils, particulièrement pertinents pour les jeunes juristes en quête d’une carrière empreinte d’éthique, de rigueur et de passion. Voici les leçons et réflexions marquantes que j’ai tirées de cette rencontre inspirante.
Qui est le juge Champagne?
Membre du Barreau depuis 1969, le juge Champagne a débuté sa pratique au même endroit où il a effectué son stage tout en continuant des études supérieures en histoire du droit. En effet, bien que celui-ci se prédestinait à une carrière d’historien, un conseil de son père à l’effet que le droit menait à tout le motiva à entreprendre des études en droit. Ses études en histoire du droit lui ont bien évidemment servi puisqu’elles lui ont permis de bien comprendre les différences et les particularités propres au système de common law et de droit civil.
Cette connaissance approfondie des systèmes juridiques amena son patron de l’époque à lui confier la rédaction de tous les mémoires d’appel de ses clients. Le juge Champagne enseignera aussi, pendant plusieurs années, le cours d’Histoire du droit (mieux connu aujourd’hui sous le cours de Fondements du droit) à l’Université de Montréal. Celui-ci ne s’en cache pas; les études dans un domaine autre que le droit « traditionnel » ne sont jamais perdues, elles forgent notre pensée critique, contribuent au développement du savoir-faire et savoir-être d’un juriste. Les avocats ne devraient certainement pas s’empêcher de retourner sur les bancs de l’université s’ils en ont le désir.
Le début de pratique
Le juge Champagne débute sa pratique dans une société nominale à titre d’avocat généraliste et développe au fil des années un penchant pour les dossiers en droit criminel. À l’époque, le Directeur des poursuites criminelles et pénales n’existait pas, ainsi, le gouvernement confiait ses mandats de poursuites criminelles et pénales à divers avocats de pratique privée, dont à son patron qui l’initia ainsi à cette spécialité. S’il a pu exercer le droit dans plusieurs domaines variés, il est d’avis que la multidisciplinarité chez un.e avocat.e n’est plus possible, le droit s’étant significativement complexifié. Son conseil pour les jeunes juristes : mieux vaut développer une expertise dans une branche du droit et développer, au besoin, quelques champs de pratiques connexes selon nos intérêts afin de bien maîtriser sa discipline et représenter adéquatement son client.
La pratique en tant que jeune avocat.e peut parfois donner le vertige surtout lorsque vient le temps de faire ses premières représentations à la Cour ou de rencontrer ses premiers clients. À cet effet, le juge Champagne rappelle l’importance d’être bien entouré et de ne pas se gêner pour demander des conseils. Le piège à éviter : ne jamais avoir trop confiance en soi! En effet, bien que la confiance soit de mise, il faut être prudent et éviter à tout prix l’arrogance. Par ailleurs, avoir trop confiance en soi amène un avocat à moins se préparer, à moins se questionner ce qui, ultimement, peut nuire à ses clients et à ses relations professionnelles.
Les difficultés vécues et l’adaptation face à celles-ci
Durant notre entretien, le juge Champagne s’ouvre avec beaucoup d’humilité sur certaines des embuches qu’il a rencontrées dans sa carrière. À commencer par des audiences parfois très difficiles où rien ne semble se dérouler comme on le souhaite ou des confrères/consœurs qui agissent de façon intransigeante. Celui-ci ne cache pas avoir vécu des moments extrêmement angoissants qui lui ont causé plusieurs nuits d’insomnie et d’anxiété. N’ayant pas de remèdes miracles face aux nuits blanches, le juge Champagne m’explique toutefois que ces événements ont forgé le juriste qu’il est aujourd’hui.
Quant à la fameuse boule dans l’estomac qu’on ressent avant de plaider, le juge Champagne me rassure en me m’expliquant qu’elle ne disparaîtra jamais. On apprend à vivre avec celle-ci et il en profite pour faire une allusion entre le litige et le théâtre. Il compare l’avocat qui plaide à un comédien qui entre en scène et ajoute : « un comédien qui n’a pas le trac, c’est dit-on, un mauvais comédien ». Le litige c’est angoissant et c’est un monde qui peut user rapidement, il faut s’en rappeler et surtout prévenir les effets néfastes de l’anxiété et du surmenage. À l’époque où il plaidait, le juge Champagne quittait le palais de justice tous les midis pour une prendre une pause santé. Cette pause impliquait forcément de ne pas dîner avec ses clients (puisque cela conduirait inévitablement à discuter du dossier), mais le juge Champagne ne s’en cache pas, une telle pause est bénéfique pour prendre du recul et revenir en pleine forme l’après-midi.
Un autre conseil pour survivre aux moments plus difficiles : prendre des vacances régulières, mais surtout ne pas culpabiliser lorsqu’on prend des vacances. En tant que jeune juriste, on peut penser qu’on doit faire sa place à tout prix, se démarquer et qu’à cet effet on ne peut pas prendre des vacances, mais cette vision est en porte-à-faux avec la réalité. Le juge Champagne me rappelle que les clients et notre réputation seront toujours bien présents à notre retour de vacances. Au contraire, c’est quand on est épuisé et à bout de souffle qu’on risque de perdre gros.
Et justement, les clients qui sont parfois exigeants comment est-ce qu’on gère ces situations parfois délicates? Selon le juge, un.e bon.ne avocat.e doit être détaché.e de ses dossiers et de ses clients, il faut éviter de se lier d’amitié ou d’accepter des cadeaux qui nous placent dans des positions difficiles. Le juge Champagne illustre son propos avec un exemple fort intéressant : un client qui nous passe son chalet parce qu’il est satisfait de notre travail, comment est-ce qu’on lui explique la prochaine fois qu’on ne veut pas le représenter dans un dossier? Il faut rester indépendant et éviter de se sentir obligé d’accepter un dossier ou gêné de dire qu’un dossier a peu de chances de succès parce qu’on a accepté un cadeau.
La route vers la magistrature
C’est en parcourant les corridors réservés à la magistrature au Palais de justice de Montréal, aux côtés de son meilleur ami, dont le père était lui-même juge, que germe chez le juge Champagne l’idée d’une carrière dans la magistrature. Un peu plus tard, son travail de président suppléant dans divers conseils de discipline où il entend des causes et rend des décisions alimente son désir de devenir juge. À titre d’arbitre et responsable, avec d’autres avocats, de l’instauration du service d’arbitrage des comptes d’honoraires d’avocats, le juge Champagne devient convaincu qu’une carrière à titre de juge s’aligne parfaitement avec ses intérêts. On peut dire que la vie fait bien les choses puisqu’il aura la chance de partager les bancs de la magistrature avec son meilleur ami pendant environ 15 ans.
Pour les jeunes avocat.e.s qui souhaitent devenir juge, outre les dix années de Barreau et l’excellence du dossier de candidature, le juge Champagne souligne l’importance de l’implication. À cet effet, il précise que l’implication bénévole peut prendre diverses formes : comité de parents, équipes sportives, organismes communautaires et sans oublier la participation aux activités de son ordre professionnel. Devenir juge, c’est d’abord et avant tout démontrer qu’on est un.e bon.ne citoyen.ne, qu’on a un intérêt pour sa collectivité, il faut voir au-delà du droit.
Après 21 années passées à siéger à la Cour supérieure, le juge Champagne a eu l’occasion d’observer une grande diversité d’avocats défiler devant lui et il m’a partagé avec franchise ce qu’il a le plus admiré, mais aussi ce qui l’a parfois déçu chez certains plaideurs. D’abord, il appréciait qu’un avocat fasse preuve d’honnêteté lorsqu’il ne connaissait pas la réponse à une question qu’il lui posait et que celui-ci lui propose d’ajourner ou de revenir avec une réponse écrite le lendemain. Les avocat.e.s doivent connaître leur cause dans les moindres détails, le juge Champagne, m’explique, sourire aux lèvres, que le juge ne doit pas mieux connaître le dossier que ceux qui viennent plaider. Bien évidemment on ne peut pas tour préparer, puisqu’il y aura toujours des impondérables, toutefois on a toujours le contrôle sur notre réaction et le juge Champagne y va d’une autre comparaison : « Il faut savoir rebondir sur ses pieds comme le font les acrobates! »
Enfin, on l’oublie parfois mais l’humilité et la courtoisie sont deux qualités très appréciées par les juges. Inversement, les avocats qui prennent un dossier de façon personnelle, qui réagissent avec des attaques font dresser les poils sur l’échine de plusieurs juges. L’impolitesse ou des avocats qui se tutoient entre eux, qui tutoient leurs clients ou des témoins en salle d’audience, mieux vaut éviter!
L’importance des modes de prévention et règlement des différends (les « PRD »)
L’avocat.e joue un rôle crucial dans notre société, en début de pratique, on peut parfois oublier que ce rôle inclut également la promotion active des PRD auprès de ses clients et de la partie adverse. Les PRD représentent des économies de temps, d’argent, de ressources judiciaires, mais de façon plus importante une économie sur le plan émotif et psychologique qu’on met parfois rapidement de côté. Lorsqu’un confrère refuse d’envisager sérieusement cette avenue avec son client, les avis de gestion soulevant cette situation peuvent toujours servir me répond le juge Champagne.
Le mot de la fin
À travers son bagage de connaissances et d’expériences, le juge Champagne s’est confié avec beaucoup d’humilité sur son parcours en prenant le temps de me partager ses conseils, ses réflexions et quelques anecdotes. Le juge Champagne s’est révélé être un juge généreux et humble, toujours prêt à offrir de son temps et écouter avec attention. Sa citation préférée « Demain est un autre jour » illustre parfaitement cet esprit d’optimisme et d’ouverture qui a marqué sa carrière et qui continue à l’inspirer encore aujourd’hui.
Commentaires (0)
L’équipe du Blogue vous encourage à partager avec nous et nos lecteurs vos commentaires et impressions afin d’alimenter les discussions sur le Blogue. Par ailleurs, prenez note du fait qu’aucun commentaire ne sera publié avant d’avoir été approuvé par un modérateur et que l’équipe du Blogue se réserve l’entière discrétion de ne pas publier tout commentaire jugé inapproprié.