Constitutionnel : Le Conseil cri de la santé et des services sociaux n’avait pas une compétence exclusive quant à l’adoption d’une enfant autochtone crie qui avait sa résidence habituelle à l’extérieur du territoire prévu à la Convention de la Baie James et du Nord québécois, en famille d’accueil.
Intitulé
: Adoption — 1212, 2012 QCCQ 2873
Juridiction
: Cour du Québec, Chambre de la jeunesse (C.Q.), 525-43-005200-072
Décision de
: Juge Ann-Marie Jones
Date : 18 avril 2012
Références
: SOQUIJ AZ-50849607, 2012EXP-2073, J.E. 2012-1089 (119 pages).
Retenu pour publication dans le recueil [2012] R.J.Q.
Une requête en déclaration
d’admissibilité à l’adoption d’une enfant autochtone crie présentée par la DPJ,
qui avait la compétence requise à cette fin, est accueillie, vu l’intérêt
supérieur de l’enfant visée.
adoption — déclaration d’admissibilité à l’adoption — enfant autochtone —
absence de soins ou d’entretien — absence de probabilité de reprise en charge —
adoption par des non-autochtones — compétence — dépôt de la requête en
admissibilité — directeur de la protection de la jeunesse — Conseil cri de la
santé et des services sociaux — adoption coutumière — reconnaissance — intérêt
supérieur de l’enfant.
CONSTITUTIONNEL
(DROIT) — autochtones — admissibilité à l’adoption — adoption par des
non-autochtones — compétence — directeur de la protection de la jeunesse —
Conseil cri de la santé et des services sociaux — adoption coutumière —
validité.
PROTECTION DE
LA JEUNESSE — tribunaux, organismes et personnes chargés de la protection —
directeur de la protection de la jeunesse — compétence — déclaration
d’admissibilité à l’adoption — enfant autochtone — adoption par des
non-autochtones.
Requête en déclaration
d’admissibilité à l’adoption d’une enfant autochtone crie. Accueillie.
Après avoir reçu des
signalements, le centre jeunesse de la ville où habitait la mère de l’enfant a
appliqué des mesures de protection immédiates pour une période de
48 heures et a placé l’enfant et sa fratrie en famille d’accueil. Le
23 janvier 2007, la sécurité et le développement des quatre enfants ont
été déclarés compromis en vertu de l’article 38 e) de la Loi sur
la protection de la jeunesse en raison du fait que les comportements de la
mère et son mode de vie risquaient de créer pour eux un danger moral ou
physique. Une ordonnance d’hébergement dans une famille d’accueil désignée par
la directrice de la protection de la jeunesse (DPJ) a été rendue pour un an. De
plus, il a été prévu que la DPJ devait établir un plan permanent pour les
enfants si la mère ne réglait pas son problème de consommation d’alcool. Enfin,
il a été ordonné que les contacts entre la mère et sa fille soient suspendus.
Vu le manque de collaboration de la mère à l’intervention sociale et son
absence d’engagement auprès de ses enfants, un plan de vie permanent à
l’extérieur de leur milieu familial a été mis en oeuvre. Entre le 1er mars
et le 17 octobre 2007, il a été impossible d »informer la mère des
décisions prises à l’égard de ses enfants et du transfert de sa fille dans une
famille d’accueil de type banque mixte puisqu’elle avait disparu et ne
participait pas au suivi social. Elle n’a été informée de ce fait qu’à la fin
du mois de mai de la même année. Bien qu’elle se soit opposée au transfert de
sa fille, elle a de nouveau disparu, et il n’y avait aucune façon de la
joindre. Au mois d’août 2008, elle a consenti à l’adoption coutumière de sa
fille par son oncle et l’épouse de celui-ci, laquelle a été entérinée par le
conseil de bande. Toutefois, comme la soeur de l’enfant a dû être retirée
d’urgence de ce milieu en raison de problèmes sociaux, le conseil de bande a
trouvé un autre couple dans la communauté crie. La mère a approuvé ce
changement. Par ailleurs, elle a admis ne pas avoir assuré le soin, l’entretien
et l’éducation de sa fille pendant plus de six mois avant le dépôt de la
présente requête au sens de l’article 559 paragraphe 2 du Code civil du
Québec (C.C.Q.) et ne pas avoir repoussé la présomption selon laquelle il
est improbable qu’elle reprenne la garde de sa fille au sens de l’article 561
C.C.Q., consentant ainsi aux deux premières étapes de la procédure
d’admissibilité à l’adoption. Par contre, elle a toujours maintenu qu’il
n’était pas dans l’intérêt supérieur de son enfant d’être déclarée admissible à
l’adoption. Selon elle, la DPJ n’avait pas compétence pour déposer la présente
requête et elle soutient que le Conseil cri de la santé et des services sociaux
possède une compétence exclusive à l’égard de sa fille aux motifs que celle-ci
est une enfant crie bénéficiaire de la Convention de la Baie James et du
Nord québécois et que la mère est «habituellement résidente» de la
communauté crie. Enfin, elle prétend que sa fille a été adoptée de façon
coutumière.
Décision
La mère savait pertinemment que ses enfants étaient placés dans des familles
d’accueil non autochtones dans la région de la ville qu’elle habitait à
l’époque. En outre, elle a confirmé son accord aux mesures ordonnées en signant
un plan d’intervention. C’est sur la foi des informations fournies par le
Conseil cri selon lesquelles il n’y avait pas de familles d’accueil disponibles
pour prendre en charge les enfants dans la communauté et que les membres de la
famille élargie présentaient des problèmes sociaux que la DPJ a cherché des
familles d’accueil à même ses ressources. De surcroît, la mère n’a jamais
contesté les ordonnances de placement, lesquelles sont toujours en vigueur et
continuent de s’appliquer. D’autre part, les reproches adressés au centre, à
savoir que celui-ci avait décidé trop tôt que l’enfant nécessitait un plan de
vie permanent, que la mère n’avait pas été informée adéquatement de la
situation, qu’il avait entravé les contacts entre la mère et l’enfant et qu’il
avait l’obligation de présenter une requête en révision avant de transférer
l’enfant dans une famille d’accueil de type banque mixte, ne peuvent entraîner
une perte de compétence, car aucune disposition de la Loi sur les services
de santé et les services sociaux ne le prévoit. En outre, ces reproches
auraient dû être formulés dans le contexte du dossier de protection. Vu
l’historique des placements ainsi que la nature, la gravité et la chronicité
des faits signalés, le centre devait tenir compte du passé de la mère. La
question de savoir s’il a considéré trop tôt que l’enfant nécessitait un projet
de vie permanent n’est pas pertinente à l’étape de l’admissibilité à
l’adoption, au motif que la mère a consenti aux deux premières étapes. Enfin,
lorsque la collaboration d’un parent est déficiente comme en l’espèce, la DPJ
doit continuer à mettre en oeuvre le plan d’intervention. L’enfant avait un an
lorsque sa mère a disparu, et la famille d’accueil qui l’hébergeait n’était pas
en mesure de la garder à long terme. Il était donc nécessaire de la déplacer.
Dans ce contexte, la DPJ avait le devoir de trouver une ressource apte à
s’occuper de l’enfant à long terme. Quant à l’entrave, la mère n’ayant pas
porté en appel la décision de suspendre les contacts, elle a acquis l’autorité
de la chose jugée. Dans l’état actuel du droit, le centre ne pouvait déposer
une requête en révision en vertu de l’article 95 de la Loi sur la protection
de la jeunesse puisque le transfert d’un enfant dans une autre famille
d’accueil ne constitue pas un fait nouveau. L’article 7 de cette loi
prévoit seulement que le parent et l’enfant doivent être consultés. À partir du
moment où les intervenants du centre en sont venus à la conclusion que
l’adoption était la mesure la plus susceptible d’assurer le respect des droits
de l’enfant, ils devaient entreprendre les démarches nécessaires pour qu’elle
soit déclarée admissible à l’adoption. Dans ces circonstances, le centre
pouvait décider de l’orientation de l’enfant et déterminer quel projet de vie
devait être envisagé dans son intérêt. L’admissibilité à l’adoption était l’une
des options qu’il pouvait privilégier en vertu de l’article 71
paragraphe 4 de la Loi sur la protection de la jeunesse. En ce qui
concerne la compétence exclusive du Conseil cri, bien que celui-ci ait accepté
de collaborer avec le centre, il n’a jamais mentionné avoir une compétence sur
les dossiers des enfants de la mère ni offert de services à cet égard. Par
ailleurs, il n’y a pas de définition de «résidence habituelle» dans la
convention, cette notion étant généralement déterminée à partir des faits de
chaque situation. De plus, il ne s’agit pas de déterminer son domicile, mais sa
résidence habituelle. En l’espèce, la ville était devenue sa résidence
habituelle. Or, en vertu des dispositions de la convention, la compétence du
Conseil cri est exercée sur le territoire qui y est mentionné. En outre,
l’article 14.0.1 de la convention stipule que les lois provinciales régissant
les services de santé et les services sociaux s’appliquent aux Cris. Il n’y a
pas de dispositions dans le chapitre 14 de la convention, dans la Loi sur
les services de santé et les services sociaux pour les autochtones cris ou
dans la Loi sur la protection de la jeunesse qui permettent d’affirmer
que le Conseil cri possède une compétence exclusive pour administrer ou fournir
des services en dehors du territoire prévu à la convention. La compétence du
Conseil cri sur les bénéficiaires de la convention demeure donc limitée et se
bute à la compétence territoriale des autres régions du Québec. La position
voulant que les termes «résidant habituellement» signifient que, lorsqu’un Cri
est temporairement à l’extérieur du territoire prévu à la convention, le
Conseil cri continue d’exercer sur ce bénéficiaire une compétence «exclusive»
ne peut donc être retenue. En vertu de l’article 31 de la Loi sur la
protection de la jeunesse, le critère de rattachement à un centre jeunesse
est le territoire. En l’espèce, les services sociaux ont été fournis par le
centre et aucune disposition de la loi ne prévoit qu’un avis doit être signifié
au Conseil cri dans le cas d’un enfant cri. Le centre avait donc compétence
pour déposer la présente requête. Quant à l’adoption coutumière, le déplacement
volontaire de l’enfant chez les adoptants coutumiers constitue une condition
essentielle. D’autre part, la législation québécoise sur l’adoption ne reconnaît
pas l’adoption coutumière. En l’espèce, l’adoption coutumière de l’enfant par
son grand-oncle n’a pas été réalisée du fait que l’enfant ne lui a jamais été
confiée. Quant à la deuxième adoption coutumière, celle-ci a été entièrement
orchestrée par le Conseil cri sans que la mère participe au choix de la famille
adoptive, contrairement aux coutumes et pratiques ancestrales chez les Cris. Il
n’existe pas, en l’espèce, une continuité raisonnable entre le droit
contemporain revendiqué et la pratique ancestrale. Qui plus est, puisque
l’enfant faisait déjà l’objet d’une ordonnance d’hébergement en famille
d’accueil et que sa situation avait été confiée à la DPJ par la voie
d’ordonnances judiciaires non contestées, la mère n’était pas autorisée
juridiquement à consentir à l’adoption coutumière de sa fille. Il faut prendre
en considération les facteurs suivants: l’enfant est maintenant âgée de
6 ans; elle a vécu avec sa mère et sa fratrie jusqu’à l’âge de
8 mois; à l’âge de 16 mois, elle a intégré sa famille d’accueil de
type banque mixte, où elle réside toujours depuis maintenant 4 ans 1/2;
même si ses parents d’accueil sont séparés, des droits de garde et d’accès ont
été établis; et, enfin, la question de l’intérêt supérieur de l’enfant doit
être analysée non seulement du point de vue de son héritage culturel, mais
également en tenant compte de l’ensemble de sa situation personnelle,
c’est-à-dire de son âge, de sa personnalité, de ses difficultés ainsi que de ce
qu’elle a vécu depuis sa naissance sur le plan des liens affectifs et des
déplacements. En l’espèce, le bien-être affectif de l’enfant commande son
maintien auprès de sa famille d’accueil actuelle, qui désire l’adopter si elle
est déclarée admissible à l’adoption. Il y a donc lieu de privilégier la stabilité
et la sécurité du lien d’attachement unissant l’enfant à sa famille d’accueil
et la mettre à l’abri du préjudice sérieux qui résulterait d’une rupture du
seul milieu de vie qu’elle connaît. Il faut également souligner que le
changement de filiation par l’adoption au sens des lois provinciales n’a pas de
conséquences juridiques sur le statut d’un enfant d’origine autochtone au sens
de la Loi sur les Indiens. Par ailleurs, s’il est vrai que l’enfant
perdra l’exercice de ses droits et avantages en vertu de la convention après
10 ans à l’extérieur du territoire qui y est mentionné, elle pourra les
récupérer en établissant son domicile dans le territoire.
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