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Antoine Hammam
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20 Oct 2021

Publie ou perd ton titre! Chroniques et fatalités d’une action en passation de titre.

Par Antoine Hammam, avocat

La procédure est la servante du droit, mais en matière de passation de titre, un mauvais choix procédural peut s’avérer fatal à celui qui cherche à forcer la vente du bien qu’il convoite. Un arrêt récent de la Cour d’appel[i] illustre bien cette réalité et met en lumière un aspect fondamental et déterminant de ce type de recours : la course à la publication des droits.

Contexte

Il s’agit d’un scénario typique d’offres d’achat concurrentes – et de possibles remords du vendeur – devenu monnaie courante dans un marché immobilier bouillonnant.

La trame factuelle ce résume comme suit : le 4 mars 2021, l’appelante Tanwani (première acheteuse) et les Intimés-vendeurs Nathan et Banakoun (vendeurs) signent une promesse d’achat pour un terrain vacant à Dollard-des-Ormeaux. Le 17 mars, l’intimé-intervenant Sharma (deuxième acheteur) soumet aux vendeurs une offre plus alléchante, pour un prix d’achat supérieur. Le 19 mars, les Intimés-vendeurs déclarent l’offre de l’appelante nulle en invoquant le défaut de l’Appelante d’avoir respecté ses conditions de financement et acceptent l’offre de Sharma.

Telle est la toile de fonds de la bataille judiciaire qui se déclenche entre le trio et qui aboutit en un sort malheureux pour l’Appelante, résultat d’un jeu de procédures qui s’avèrera regrettable.

C’est l’appelante qui, le 22 mars, prend l’initiative de la première action en passation de titre contre les vendeurs, en s’assurant de préinscrire son droit au registre foncier le même jour.

Un règlement rapide intervient le 30 mars entre les parties, par lequel les vendeurs acceptent de vendre l’immeuble en litige à l’appelante. Leur entente est consignée dans un échange de courriels entre procureurs.

Le 1 avril 2021, ignorant l’existence de ce règlement, Sharma dépose une demande d’intervention volontaire dans le litige entrepris par l’appelante. Il cherche, à son tour, à forcer la passation du titre des vendeurs sur l’immeuble convoité. Sharma s’assure également de préinscrire son action au registre foncier le même jour.  L’appelante s’oppose à l’intervention et force ainsi Sharma à requérir l’autorisation du tribunal, ce qu’il fait le 9 avril.

En réaction, le 15 avril, l’Appelante dépose une demande pour faire homologuer la transaction intervenue entre elle et les vendeurs.

Le 22 avril, Sharma dépose une nouvelle action en passation de titre contre les vendeurs et la préinscrit au registre foncier le jour suivant.

Le 23 avril, la demande de Sharma pour être autorisé à intervenir et la demande de l’Appelante en homologation de la transaction sont entendues simultanément par le juge Bernard Synnott de la Cour supérieure. Le juge rend jugement séance tenante. Il autorise Sharma à intervenir dans le litige et réfère la demande d’homologation au juge du fonds.

Mécontente, l’appelante se pourvoit en appel. Elle cherche à infirmer le jugement du premier juge et obtenir la radiation des préinscriptions faites par Sharma, le 1er et le 23 avril.

Décision

Quoique la Cour d’appel opine dans le sens contraire du premier juge, l’appelante n’obtient pas tout à fait le résultat qu’elle espérait.

D’abord la Cour tranche assez aisément la question de l’intervention volontaire de Sharma, la jugeant tardive puisque la transaction du 30 mars 2021 avait mis fin au litige entre l’appelante et le vendeur :

« The Respondent cannot intervene in litigation which has been settled, particularly since he does not contest the existence or validity of the transaction settling the litigation »[ii]

De la concision de ce raisonnement découle le rejet de la demande d’intervention volontaire et la radiation de sa préinscription en date du 1er avril 2021.

La question de l’homologation de la transaction et ses conséquences sur la deuxième préinscription (celle du 23 avril) s’avère, toutefois, plus nuancée. Sans omettre de soulever la superfluité de cette procédure alors que les vendeurs ne cherchaient pas à se soustraire au règlement intervenu, la Cour homologue la transaction du 30 mars 2021, celle-ci n’étant pas contestée, ni contraire à l’ordre public :

« With respect, there is no issue if illegality, much less public order. The parties have the right to enter into a transaction and settle their litigation. Nobody was contesting the existence of validity of the transaction. There was no reason not to homologate the transaction. »[iii]

Il demeure la question de la radiation de la préinscription effectuée par Sharma le 23 avril. La Cour d’appel partage l’inquiétude du premier juge quant aux conséquences d’une telle radiation au stade préliminaire des procédures :

«The judge was obviously concerned that homologating the transaction and radiating the Respondent’s advance registration would resolve the title issue in the Appellant’s favour, without any debate on which of the two promises has priority:

[20] Le demandeur demande que le Tribunal homologue dès à présent la transaction, ce qui leur permettrait selon sa demande, de procéder à la radiation de la préinscription de l’intervenant et de passer le titre immédiatement. Bref, le sort de l’intervenant serait réglé à son détriment, sans qu’un Tribunal ne se soit penché sur ses arguments. 

[21] En d’autres mots, l’on recherche ni plus ni moins un jugement ex parte et sommaire, en l’absence de procès.

[22] Le Tribunal est d’avis que cette façon de faire serait contraire aux intérêts de la justice. »[iv]

Malgré cela, la Cour d’appel n’écarte pas si facilement la possibilité d’une radiation au stade préliminaire, soulevant l’application du premier alinéa de l’article 2968 C.c.Q.:

2968. Sont réputés publiés à compter de la préinscription les droits qui font l’objet du jugement ou de la transaction qui met fin à l’action, pourvu qu’ils soient publiés dans les 30 jours qui suivent celui où le jugement est passé en force de chose jugée ou celui de la transaction.

[…]

(Nous soulignons)

Selon la Cour, cet article soulève deux interrogations : (i) qu’est-ce qui doit être publié et (ii) dans quel délai?

La question du délai est claire : « dans les 30 jours qui suivent celui […] de la transaction »[v], soit celle du 30 mars 2021.

Quant à ce qui doit être publié, l’appelante et Sharma proposent des interprétations différentes. Selon l’appelante, la transaction ne pouvait pas être publiée à cause de sa forme (échange de courriels). Un jugement d’homologation était donc nécessaire à cette fin. Sharma réplique que l’appelante pouvait publier un avis à l’effet qu’un règlement était intervenu.

La Cour rejette les deux arguments :

« [40] Both arguments miss the point. Article 2968 C.C.Q. requires the publication of the “[r]ights which are the subject of a […] transaction terminating an action”, meaning the transfer of title. The exchange of e-mails that constitute the transaction do not purport to transfer title. Rather, they provide that the parties agree to execute a deed of sale. It is that deed of sale which, in principle, needed to be executed by the parties and published within 30 days of the transaction for her title to be deemed published on the date of her advance registration.[8] Had the Appellant done so, the Respondent’s advance registration would have been radiated as being posterior to her title. Instead, the Appellant chose to seek the homologation of the transaction, which was not necessary, and thereby failed to publish her deed of sale within the 30-day delay. »[vi]

Dans ces circonstances, la Cour conclu que le titre de l’appelante ne pourra être réputé publié à compter de sa préinscription, soit avant celle faite par Sharma le 23 avril 2021. La demande en radiation de cette dernière préinscription est donc rejetée.

La Cour conclue en reconnaissant que les parties et leurs titres respectifs demeurent dans un état de précarité :

« [44] This does not resolve the title issue, but that issue cannot be settled by the Court at this stage of the proceedings. In principle, the Respondent must still proceed on the merits of his action to pass title and satisfy the trial judge that his promise takes precedence over the Appellant’s promise. If he succeeds, his title will retroact to April 23, 2021 and will have priority over any title that the Appellant might acquire pursuant to the transaction. If the Respondent fails in his action, then his advance registration will fall and the Appellant’s title will be valid.

[45] The Court recognizes that this leaves the parties in a difficult situation. […] »[vii]

Commentaire

Ayant opté de demander l’homologation de sa transaction plutôt que de passer chez le notaire pour conclure et publier un acte de vente dans les 30 jours du règlement, l’appelante a perdu une opportunité en or de cristalliser son titre et se libérer d’une bataille judiciaire. Elle se retrouve plutôt dans une situation de précarité équivalente à celle qui existait au moment de l’introduction de son recours.

Tels sont les écueils de la course à la publication des droits, inhérente à toute action en passation de titre. Qu’il s’agisse de la préinscription ou de l’inscription définitive du droit de propriété, c’est celui qui publie en premier qui aura, souvent, la haute main dans le litige.

Le texte intégral de la décision est disponible ici.


[i] Tanwani c. Nathan, 2021 QCCA 1331

[ii] Id., par. 18

[iii] id., par. 28

[iv] id. par. 32

[v] 2968 C.c.Q.

[vi] Tanwani c. Nathan, préc. note 1, par. 40

[vii] id., par. 44, 45

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