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Alexandra Haiduc
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08 Juin 2022

R. c. J.F. : un devoir d’agir de façon proactive qui incombe également à l’accusé

Par Alexandra Haiduc, avocate

Récemment, la Cour suprême a précisé dans, R. c. J.F., 2022 CSC 17, le contexte d’application de l’arrêt Jordan et décide que le fait de présenter lors d’un deuxième procès une requête en arrêt des procédures fondée sur les délais survenus lors du premier procès est contraire au devoir qu’ont les parties de prendre des mesures proactives et nuit à la saine administration de la justice. Ainsi, la computation des délais reprend à zéro dès qu’une cour d’appel ordonne la tenue d’un nouveau procès criminel. L’accusé ne peut donc plus invoquer les délais déraisonnables survenus lors du premier procès, sauf circonstances exceptionnelles. 

Contexte

En février 2011, l’accusé J.F., maintenant âge de 74 ans, est inculpé de plusieurs chefs d’accusation portant sur des infractions de nature sexuelle à l’égard de sa fille. Les accusations couvrent une période allant de 1986 à 2001. Il est acquitté en février 2017 de l’ensemble des chefs d’accusation, soit six ans après son inculpation. 

Au mois de juin 2018, la Cour d’appel casse l’acquittement et ordonne la tenue d’un nouveau procès pour motif que le juge de première instance a analysé la crédibilité de la plaignante en se fondant erronément sur des stéréotypes et des préjugés. Avant que le deuxième procès ne débute, l’accusé dépose une requête en arrêt des procédures pour cause de délai déraisonnable en vertu de l’alinéa 11b) de la Charte canadienne. 

Décision

  • La majorité du juge en chef Wagner et des juges Moldaver, Karakatsanis, Brown, Rowe, Martin Kasirer et Jamal 

La majorité est d’avis que l’accusé doit soulever en temps utile le caractère déraisonnable des délais liés à son procès. Ainsi, un accusé qui soulève le caractère déraisonnable des délais après la tenue de son procès et particulièrement après la déclaration de culpabilité n’agit pas en temps utile. 

C’est donc seulement à titre exceptionnel que l’accusé peut soulever pour la première fois en appel la violation de son droit d’être jugé dans un délai raisonnable. Or, le silence ou le défaut d’agir de l’accusé ne peut permettre d’inférer une renonciation tacite à contester les délais. Il faut un acte exprès dont on peut déduire l’acquiescement au délai de la part de l’accusé pour que le tribunal puisse conclure à la renonciation. La présentation tardive d’une requête en arrêt des procédures fondée sur 11b) demeure toutefois un facteur important pour décider si l’accusé a renoncé à invoquer les délais. Présenter lors d’un deuxième procès une requête en arrêt des procédures fondée sur les délais survenus lors du premier procès est contraire au devoir des parties d’agir de façon proactive et nuit à la bonne administration de la justice. 

Les plafonds présumés établis par Jordan s’appliquent aux délais liés au nouveau procès et il n’est pas opportun d’adopter des plafonds différents à l’égard des deuxièmes procès. L’absence d’empressement à agir et de priorisation du dossier ans un contexte où les délais du premier procès excèdent le plafond applicable pourrait militer en faveur de la conclusion que le délai du deuxième procès est déraisonnable, mais ce sont les délais du deuxième procès qui demeurent au cœur de l’analyse. 

Dans les circonstances du présent dossier, l’accusé n’a pas agi en temps utile puisque ce n’est que quelques mois avant la tenue de son deuxième procès qu’il a présenté sa requête fondée sur l’article 11 b). Les délais liés à son premier procès ne sont donc pas considérés dans le calcul du délai total. Seuls les délais survenus depuis l’ordonnance intimant la tenue du nouveau procès sont comptabilisés. Le délai total entre l’ordonnance intimant la tenue d’un nouveau procès et la conclusion réelle ou anticipée de ce dernier, 10 mois et 5 jours, est bien en deçà du plafond présumé de 30 mois. Aucun des facteurs liés à ce contexte particulier ne permet de conclure à la violation du droit de l’accusé d’être jugé dans un délai raisonnable : le délai anticipé du deuxième procès est très court et le dossier a été priorisé. Le délai est raisonnable et il n’y a pas matière à arrêter les procédures.

Le pourvoi à la Cour suprême est accueilli, l’arrêt des procédures est annulé et l’affaire est donc renvoyée à la Cour du Québec pour un nouveau procès. 

  • La dissidence de l’Honorable Suzanne Côté 

Quant à elle, la juge Côté est plutôt d’avis que le dossier de l’accusé devrait être l’un des cas d’exception dans lequel l’arrêt des procédures doit être ordonné, même si l’accusé n’a soulevé la violation de son droit qu’après l’ordonnance de deuxième procès puisque l’affaire était en délibéré lorsque la Cour a rendu l’arrêt Jordan. Lorsque le dossier n’est pas très complexe comme le présent cas, même un délai de 10 mois et 5 jours peut être suffisamment long pour qu’il soit justifié de tenir compte des délais du premier procès. Sur une période de 8 ans de procédures, seule une période de 39 jours survenue lors du premier procès peut lui être imputée. 

La juge Côté précise qu’obtenir un acquittement n’est pas une stratégie, mais un droit et qu’il ne peut être reproché à l’accusé d’avoir adopté une conduite incohérente avec un changement de culture qui n’existait pas au moment des faits. 

Le texte intégral de la décision est disponible ici.

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