Sommaire de la Cour d’appel : J.C. c. Douville, 2022 QCCA 958
Par SOQUIJ, Intelligence juridique
PROCÉDURE CIVILE : Une victime alléguée d’agression sexuelle ayant démontré qu’un intérêt public à la protection de sa dignité doit primer la règle de la publicité des débats judiciaires obtient une ordonnance de confidentialité visant la non-publication et la non-diffusion de renseignements permettant de l’identifier ainsi que la banalisation de son nom en cas de publication ou de diffusion de toute décision dans ce dossier.
2022EXP-2330
Intitulé : J.C. c. Douville, 2022 QCCA 958
Juridiction : Cour d’appel (C.A.)
Décision de : Juges François Pelletier, Martin Vauclair et Sophie Lavallée
Date : 31 août 2022
Références : SOQUIJ AZ-51865277, 2022EXP-2330 (23 pages)
–Résumé
PROCÉDURE CIVILE — dispositions générales — publicité des débats — caractère public des audiences — ordonnance de non-publication — confidentialité — protection de l’anonymat — dénonciation — acte à caractère sexuel — application du test établi dans Sherman (Succession) c. Donovan (C.S. Can., 2021-06-11), 2021 CSC 25, SOQUIJ AZ-51772339, 2021EXP-1617 — risque sérieux — intérêt public — atteinte à la dignité — fardeau de la preuve.
Appel d’un jugement de la Cour supérieure ayant rejeté une demande d’ordonnance visant la non-publication et la non-diffusion de tout renseignement permettant d’identifier la partie appelante ainsi que la banalisation du nom de celle-ci en cas de publication ou de diffusion de toute décision dans ce dossier. Accueilli.
Dans le contexte d’un recours en diffamation ayant été intenté par l’intimé notamment contre la partie appelante, celle-ci a déposé une demande d’anonymat dans laquelle elle alléguait avoir subi des agressions sexuelles de la part de ce dernier et elle annonçait son intention de déposer une demande reconventionnelle en dommages-intérêts à cet égard. Le juge de première instance n’a pas fait droit à l’ordonnance réclamée. Dans sa décision, il a insisté sur le fait que, afin d’écarter la présomption en faveur de la publicité des débats judiciaires, il fallait démontrer, preuve à l’appui, que l’on cherche à éviter un danger grave qui découlerait de la diffusion d’informations.
Décision
Mme la juge Lavallée: Une forte présomption existe en faveur de la publicité des débats, mais celle-ci n’est pas absolue et peut être écartée par les tribunaux, dans certaines circonstances exceptionnelles, lorsque ce principe entre en conflit avec d’autres intérêts publics jugés tout aussi importants, comme la nécessité de protéger la dignité d’une personne.
Selon le premier volet du test jurisprudentiel applicable, tel qu’il a été reformulé dans Sherman (Succession) c. Donovan (C.S. Can., 2021-06-11), 2021 CSC 25, SOQUIJ AZ-51772339, 2021EXP-1617, la personne qui demande à un tribunal d’exercer son pouvoir discrétionnaire de façon à limiter la présomption en faveur de la publicité des débats doit établir que celle-ci pose un risque sérieux pour un intérêt public important. En l’espèce, ce qui devait être démontré, c’est l’existence d’un risque de «préjudice objectivement discernable» en matière d’intérêt public en ce qui a trait à la protection de la dignité humaine, lequel pouvait être établi par de simples inférences logiques plutôt que par une preuve directe. Contrairement à ce que le juge a conclu, l’intimité et la dignité de la partie appelante sont en jeu puisque cette dernière devra témoigner publiquement à l’audience des gestes à caractère sexuel qu’elle a subis sous la contrainte, et ce, tels qu’ils sont décrits dans les allégations de sa demande, lesquelles sont appuyées par sa déclaration sous serment. Selon le juge, ces allégations sont insuffisantes parce qu’elles sont trop générales. Or, l’exigence d’une démonstration convaincante ne requiert pas la présentation d’une preuve formelle et probante à la suite d’un débat contradictoire. À cette étape des procédures, la demande d’anonymat ne pouvait être analysée qu’à la lumière d’une preuve partielle, et donc forcément incomplète. Le juge a commis une erreur de fait manifeste et déterminante en concluant que la preuve présentée n’était constituée que de «simples affirmations» qui ne permettaient pas de démontrer un risque sérieux. Par ailleurs, la publication de quelques articles de journaux ne peut constituer une fin de non-recevoir à l’ordonnance recherchée. Il s’agit d’une deuxième erreur. Il faut conclure que le principe de la publicité des débats entraînerait un risque sérieux pour un intérêt public important, soit la dignité de la partie appelante.
Quant au second volet du test, il est difficile d’imaginer comment d’autres mesures plus raisonnables que l’ordonnance d’anonymat permettraient d’écarter le risque invoqué.
Enfin, pour ce qui est du troisième volet, même si l’ordonnance d’anonymat est rendue, l’intimé conservera ses droits en tant que demandeur et, dans le cadre d’une éventuelle demande reconventionnelle en dommages-intérêts, de défendeur. De plus, une telle ordonnance est révisable selon l’évolution du dossier. Quant aux médias et au public, l’atteinte à la publicité est minime et ceux-ci pourront tout de même assister aux audiences, consulter les pièces, entendre les témoignages et en rapporter le contenu. Les avantages de l’ordonnance l’emportent sur ses effets négatifs.
Instance précédente : Juge Daniel Urbas, C.S., Montréal, 500-17-117116-213, 2021-08-06, 2021 QCCS 3374, SOQUIJ AZ-51787425.
Réf. ant : (C.S., 2021-08-06), 2021 QCCS 3374, SOQUIJ AZ-51787425, 2021EXP-2354; (C.A., 2021-10-01), 2021 QCCA 1525, SOQUIJ AZ-51800372, 2021EXP-2587.
Le texte intégral de la décision est disponible ici.
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