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Sophie Estienne
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28 Sep 2022

Affaire Mike Ward-Jeremy Gabriel : la saga judiciaire se poursuit

Par Sophie Estienne, avocate

Diffamation, discrimination, liberté d’expression. Après une saga aussi connue dans le monde juridique que médiatique, la Cour du Québec, dans la décision Gabriel c. Ward, 2022 QCCQ 3692, a rejeté le recours en diffamation intenté par la mère de Jérémy Gabriel contre Mike Ward.

Contexte

L’affaire, qui a fait couler beaucoup d’encre, est celle d’une blague faite par l’humoriste Mike Ward dans un de ses spectacles au sujet de Jérémy Gabriel, qui était à l’époque un chanteur adolescent handicapé connu. M. Gabriel, blessé par cette blague, ses parents portent plainte contre M. Ward à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse pour discrimination. Cette plainte est alors soumise au Tribunal des droits de la personne qui, en 2016, tranche en faveur de M. Gabriel et conclut à une discrimination[1].

Pourtant, l’affaire ne s’arrête pas là. En effet, M. Ward interjette alors appel de cette décision. La Cour d’appel maintient la décision de première instance[2].

Face à ce rejet, M. Ward se tourne donc vers la Cour suprême. Le plus haut tribunal juge en octobre 2021 que le Tribunal des droits de la personne n’avait pas les compétences nécessaires pour rendre un jugement sur la plainte de M. Gabriel, puisqu’il s’agissait plutôt de diffamation[3].

Après avoir essuyé ce revers en Cour suprême, M. Gabriel et sa mère ont tous deux déposé des poursuites distinctes en diffamation contre M. Ward. Face à ces poursuites, M. Ward réplique en déposant dans les deux poursuites des demandes en irrecevabilité et déclaration d’abus.

La décision résumée dans le présent article concerne la poursuite intentée par la mère de M. Gabriel (ci-après « Mme Gabriel »).

Décision

M. Ward plaide notamment que la demande est manifestement mal fondée et irrecevable en droit, en vertu de l’article 168, al. 2 du Code de procédure civile, car prescrite, et que la demanderesse utilise de manière excessive la procédure, ce qui constituerait un détournement des fins de la justice.

Mme Gabriel plaide que la prescription est interrompue depuis l’introduction du recours devant le Tribunal des droits de la personne. Elle invoque en outre que certaines allégations de la demande en irrecevabilité et déclaration d’abus ne sont pas appuyées par la preuve au dossier ou par une déclaration sous serment conformément à l’article 101 du Code de procédure civile de telle sorte que le Tribunal ne devrait pas en tenir compte.

La juge Manon Gaudreault de la Cour du Québec accueille la demande de M. Ward en irrecevabilité et rejette la demande de Mme Gabriel. Elle soutient que le délai d’un an pour déposer une plainte en diffamation, en vertu de l’article 2929 du Code civil du Québec, était passé — même en tenant compte de tout le temps que cette affaire a passé devant d’autres instances judiciaires.

La juge Gaudreault rejette toutefois l’affirmation de M. Ward selon laquelle la poursuite de Mme Gabriel constituait un abus de procédure et un exercice excessif ou déraisonnable de son droit d’ester en justice.

Conclusion

Comme sa mère, Jérémy Gabriel a déposé en Cour supérieure une poursuite en diffamation contre Mike Ward et le débat sur l’irrecevabilité de cette demande devait être entendu le 29 juin 2022. Toutefois, en raison de l’annonce de Mme Gabriel d’interjeter appel de la décision déclarant irrecevable sa demande, les parties ont convenu qu’elles allaient attendre la décision de la Cour d’appel avant de débattre du dossier, puisqu’il s’agit essentiellement de la même trame factuelle.

Ainsi, il est fort probable que si la Cour d’appel confirme la décision de la juge Manon Gaudreault, cela entraînera la fin, également, du dossier de M. Gabriel.

Le texte intégral de la décision de la Cour du Québec est disponible ici.


[1] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Gabriel et autres) c. Ward, 2016 QCTDP 18.

[2] Ward c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Gabriel et autres), 2016 QCCA 1660.

[3] Ward c. Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse), 2021 CSC 43. Pour un résumé plus approfondi de cette décision, voir l’article de Gabrielle Champigny et Mey Chiali sur le Blogue du CRL, en ligne : <www.blogueducrl.com>.

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