La modernisation de la Loi sur la radiodiffusion : Exemple d’une adaptation aux nouveaux médias
Par Ariane Deschênes, avocate, H264 Agrégation
Le Projet de loi C-11 Loi modifiant la Loi sur la radiodiffusion et apportant des modifications connexes et corrélatives à d’autres lois[1] (ci-après « Projet de loi C-11) a été adopté par la Chambre des communes le 21 juin 2022 et sa deuxième lecture auprès du Sénat vient tout juste de se terminer. Il s’agit d’un exemple d’une tentative concrète pour soumettre les nouvelles technologies, ici les plateformes de vidéo à la demande, canadiennes et étrangères, comme Netflix ou Disney, au cadre réglementaire applicable depuis longtemps aux radiodiffuseurs traditionnels canadiens, par exemple à Bell et à Vidéotron.
En effet, les nouveaux modes de distribution et de diffusion des contenus audiovisuels rendus possibles par les technologies numériques, notamment par les plateformes de vidéo à la demande, ont remis en question le système traditionnel canadien de radiodiffusion ainsi que son pouvoir de réglementation.
Qu’est-ce que la Loi sur la radiodiffusion?
La Loi sur la radiodiffusion[2] énonce, entre autres, la politique canadienne de radiodiffusion et le rôle et les pouvoirs du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (le « CRTC »). Elle veille à la disponibilité du contenu canadien et à son accessibilité. Le CRTC détient un éventail impressionnant d’outils lui permettant de règlementer les entreprises de radiodiffusion, soit à l’aide de licences assorties ou non de conditions, de son pouvoir de prendre des règlements, d’émettre des ordonnances, des instructions et des avis.
Cependant, les plateformes de vidéos à la demande diffusant du contenu audiovisuel sur Internet ne sont pas assujetties à la Loi sur la radiodiffusion et aux exigences en matière de licences, qui obligent les radiodiffuseurs, par exemple, à verser une part de leurs revenus vers des fonds de soutien à la création canadienne[3] ou de diffuser une part importante de contenus canadiens sur leurs ondes[4]. Elles bénéficient d’exemptions créées afin de favoriser le développement d’Internet et des nouveaux médias[5] depuis 1999 et elles ne sont donc pas considérées comme des radiodiffuseurs. De plus, les entreprises étrangères ne peuvent détenir actuellement de licence de radiodiffusion, les soustrayant ainsi aux exigences du système de radiodiffusion canadien. Cela signifie, entre autres, qu’elles n’ont pas l’obligation de participer au financement de la création canadienne et qu’elles ne sont pas limitées par les quotas imposés aux radiodiffuseurs. Ainsi, une part des revenus provenant des plateformes n’est pas réinvestie dans la production canadienne.
Un aperçu des modifications clefs
Le Projet de loi C-11 contient des dispositions intéressantes visant à moderniser le système traditionnel de radiodiffusion et les plateformes de vidéo à la demande. Par exemple, l’article 2 aurait pour effet de créer une nouvelle catégorie d’entreprise, « les entreprises en ligne » en les incluant dans la définition d’entreprises de radiodiffusion, afin qu’elles soient désormais assujetties à la Loi sur la radiodiffusion (ci-après la « Loi »). Seraient donc visées par cette Loi une « entreprise de transmission ou de retransmission d’émissions par Internet destinées à être reçues par le public à l’aide d’un récepteur.[6] » Sont cependant exclus de cette définition, les contenus générés par les utilisateurs et partagés en ligne, telles que les vidéos sur Facebook, TikTok ou autres réseaux sociaux[7].
Également, l’article 3(1) a pour effet de reconnaître que le système canadien de radiodiffusion comprend des entreprises de radiodiffusion étrangères qui fournissent de la programmation aux canadiens et que celles-ci seront tenues de contribuer au système canadien, notamment en faisant appel aux talents créateurs d’ici, par exemple, en mettant en valeur et en recommandant la programmation canadienne[8].
De plus, l’article 9 soustrairait les entreprises en ligne à l’obligation de détenir une licence, alors que l’article 10 du Projet de loi C-11 donnerait au CRTC le pouvoir de prendre des ordonnances imposant des conditions, tant aux entreprises canadiennes qu’étrangères, portant notamment sur la présentation, la mise en valeur et la découvrabilité des émissions canadiennes ainsi que des conditions sur la communication de tout autre renseignement que le CRTC estime nécessaire pour l’exécution de la Loi, y compris des renseignements financiers ou commerciaux[9].
Les limites du Projet de loi C-11
La principale critique entourant le Projet de loi C-11 est qu’il crée encore une distinction entre les entreprises de radiodiffusion canadiennes et étrangères.
Actuellement, l’exemption de licences pour les plateformes de vidéo à la demande ne permet pas au CRTC de les soumettre à la réglementation en vigueur, notamment en ce qui concerne la contribution au financement du contenu canadien et, d’un autre côté, l’inadmissibilité des non-canadiens à l’obtention de licences empêche le CRTC d’exercer son pouvoir règlementaire, notamment sur les plateformes étrangères. Ainsi, le Projet de loi C-11, en donnant le pouvoir au CRTC de rendre des ordonnances, autant sur les entreprises de radiodiffusion canadiennes qu’étrangères, aurait pour effet de renforcer son pouvoir de réglementation sur les entreprises canadiennes déjà soumises à une réglementation stricte, alors que les entreprises en ligne étrangères ne pourront faire l’objet que d’ordonnances. Ces ordonnances ne feront pas l’objet d’audiences publiques, alors que les décisions prises sur les licences accordées aux entreprises canadiennes le demeurent[10]. Également, le Projet de loi C-11 ne permettrait pas le renvoi d’une ordonnance pour réexamen. Ce manque de transparence sur les ordonnances qui seront prise par le CRTC au regard des entreprises en ligne contribuera à perpétuer l’inégalité dont font actuellement l’objet les entreprises traditionnelles de radiodiffusion canadiennes.
[1] Loi modifiant la Loi sur la radiodiffusion et apportant des modifications connexes et corrélatives à d’autres lois, projet de loi no C-11 (2e lecture au Sénat et adoption du rapport de comité – 14 décembre 2022), 1ère sess., 44e légis. (Can), (ci-après : « Projet de loi C-11).
[2] Loi sur la radiodiffusion, L.C. 1991, ch. 11.
[3] Ibid., art. 34(2).
[4] Ex : art. 4 (7), a), b), Règlement de 1987 sur la télédiffusion, D.O.R.S./87-49.
[5] Par exemple : Avis public 1999-197, Ordonnance d’exemption relative aux entreprises de radiodiffusion de nouveaux médias, Ottawa, le 17 décembre 1999.
[6] Art. 2 (2), Projet de loi C-11.
[7] Art. 4 (1), Ibid.
[8] Art. 3 (7) (q et r), Ibid.
[9] Art. 10 (1)e) et (o)i), Ibid.
[10] Art. 16, Projet de loi C-11 et art. 18(1) Loi sur la radiodiffusion, L.C. 1991, ch. 11.
Commentaires (0)
L’équipe du Blogue vous encourage à partager avec nous et nos lecteurs vos commentaires et impressions afin d’alimenter les discussions sur le Blogue. Par ailleurs, prenez note du fait qu’aucun commentaire ne sera publié avant d’avoir été approuvé par un modérateur et que l’équipe du Blogue se réserve l’entière discrétion de ne pas publier tout commentaire jugé inapproprié.