par
Sophie Estienne
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et
Jane Ghoussoub
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11 Mai 2023

Le devoir d’information du médecin connaît-il des exceptions?

Par Sophie Estienne, avocate et Jane Ghoussoub, étudiante à l'Université de Montréal

Le médecin a l’obligation de fournir au patient ou à un proche, s’il n’est pas en mesure de donner son consentement, les informations nécessaires pour permettre un consentement éclairé. Ce devoir découle du principe de l’inviolabilité de la personne et vise à établir un processus décisionnel qui respecte les choix des patients. Toutefois, certains éléments n’ont pas à être dévoilés, tels que les risques exceptionnels et les risques inhérents à toute intervention. La décision Frenette c. Clément, 2023 QCCA 109, qui confirme une décision de la Cour supérieure, illustre cette exception à l’obligation d’information. 

Contexte

Monsieur Frenette a souffert d’un épisode de diverticulite compliquée avec microperforation. Le 5 février 2015, le Dr Clément a réalisé une sigmoïdectomie par laparoscopie et anastomose, c’est-à-dire une intervention chirurgicale moins invasive, pour retirer une partie de son intestin.

À la suite de cet événement, M. Frenette a un problème d’éjaculation rétrograde. Ainsi, à la place de se diriger vers l’extérieur, son sperme se reflue dans sa vessie.

Les demandeurs, M. Frenette et sa conjointe, Mme Hamel, poursuivent le Dr Clément. Ils allèguent que le docteur a manqué à son devoir d’information en omettant de mentionner que la sigmoïdectomie pouvait entraîner cette conséquence. Les demandeurs affirment ne pas avoir donné leur consentement de manière libre et éclairée.

Ils considèrent que ce risque, dont la fréquence est évaluée à 1%, aurait dû leur être révélé compte tenu de l’âge de M. Frenette, des conséquences potentielles, de l’existence d’une option de traitement non chirurgical, ainsi que du caractère non urgent de la procédure. En particulier, le couple, qui est jeune, avait pour projet de fonder une famille.

Décision de la Cour supérieure

Le juge doit répondre principalement à deux questions :

  1. Était-il de la responsabilité du Dr Clément d’informer M. Frenette du risque exceptionnel?
  2. Est-ce que le Dr Clément a commis une faute, directement ou par présomption, lors de l’intervention chirurgicale?

Obligation d’information

Le juge rappelle que le médecin est tenu de fournir une information adéquate et suffisante à son patient pour obtenir un consentement valide. Cette information doit être à la fois générale, spécifique et adaptée à la situation du patient concerné. Les deux experts impliqués dans le dossier s’entendent sur le fait que le risque survenu est rare, affectant environ 1 % des cas[1].

En ce qui concerne l’incapacité des demandeurs d’avoir un enfant, les experts ont des opinions divergentes. L’un estime que ce risque devait être mentionné au patient, tandis que l’autre soutient que ce risque n’avait pas besoin d’être divulgué selon les normes de pratique en vigueur[2].

Le juge conclut que ce qui doit être dévoilé ce sont les risques raisonnablement prévisibles, mais non exceptionnels, associés à l’opération et aux conditions particulières du patient. Le désir de M. Frenette d’avoir un enfant n’a pas d’impact sur le droit d’information du médecin. Il serait exigeant de demander au médecin de dénoncer les risques en fonction des plans de vie du patient, comme ici plaidé concernant le désir d’avoir un enfant, surtout quand le médecin n’est pas informé de ces aspirations[3]. L’obligation d’information n’a donc pas été enfreinte. Le consentement de M. Frenette était donc libre et éclairé.

De toute manière, tout porte à croire que même s’il avait été informé de ce risque minime, le patient aurait consenti à l’intervention chirurgicale proposée. En effet, le patient venait de vivre un épisode de diverticulite qui avait entraîné des complications douloureuses, une hospitalisation et un arrêt de travail. En prenant en compte ces facteurs, le patient avait accepté de subir l’intervention malgré son inquiétude quant au risque de stomie (installation d’un sac).

Responsabilité du médecin

Concernant la responsabilité du médecin, le juge doit se demander si des présomptions graves, précises et concordantes démontrent qu’une faute aurait été commise. Il est admis, dans le cas présent, que le risque d’éjaculation rétrograde est inhérent à la procédure pratiquée et peut survenir même lors de son exécution en conformité avec les règles de l’art.

Le juge a ainsi examiné les conclusions des experts et a conclu que la présomption de faute n’a pu être établie dans cette affaire. En conséquence, le juge a conclu à l’absence d’une faute professionnelle.

Décision de la Cour d’appel

M. Frenette et Mme Hamel interjettent appel de la décision de première instance. Le couple soulève des arguments qui portent sur l’appréciation de la preuve faite par le juge de première instance.

Obligation d’information

Les appelants soutiennent que le juge a commis une erreur en concluant que le Dr Clément avait rempli son devoir d’information[4].

Cependant, la Cour d’appel est en désaccord avec cette position. Le juge de première instance a correctement évalué que seuls les risques raisonnablement prévisibles devaient être divulgués au patient, en fonction de la probabilité statistique que ces risques se matérialisent et de la gravité de leurs conséquences[5]. Le juge a pris en compte la gravité de l’éjaculation rétrograde, mais s’est interrogé sur la pertinence de divulguer cette information étant donné l’âge du patient. Sa conclusion selon laquelle un médecin dans la position du chirurgien n’avait aucune obligation de divulguer des risques en fonction des plans, intentions ou désirs d’un patient dont il n’avait pas connaissance ne signifie pas qu’il a imposé au couple le fardeau de divulguer leur intention de fonder une famille[6].

En outre, le juge n’a pas commis d’erreur en concluant que le patient aurait accepté l’intervention chirurgicale même s’il avait été informé de ce risque minime. Il a tenu compte du fait que le patient, sans l’intervention, aurait été exposé à une nouvelle crise de diverticulite. Parmi les risques associés à l’intervention chirurgicale d’urgence à laquelle il aurait dû se soumettre se trouve la stomie, ce qui préoccupait grandement le couple.

Responsabilité du médecin

Les appelants considèrent que le juge a commis une erreur en ne prenant pas en compte l’aveu de l’intimé concernant la ligature non nécessaire de l’artère rectale supérieure. Ils soutiennent que cet aveu est présent dans le témoignage du médecin et dans le protocole opératoire. Cependant, la Cour d’appel n’est pas d’accord.

Contrairement aux allégations des appelants, le Dr Clément n’a pas admis avoir effectué une ligature non nécessaire de l’artère rectale supérieure. Il a simplement reconnu que cela était une possibilité. Le juge de première instance a examiné la preuve avec minutie et a conclu que l’éjaculation rétrograde n’était pas le résultat d’une erreur chirurgicale.

Conclusion

En conclusion, la Cour d’appel rejette l’appel, la décision de la Cour supérieure est donc maintenue. Le Dr Clément n’a pas commis de faute tant au niveau de son devoir d’information, que dans ses actes chirurgicaux.


Le texte intégral de la décision de la Cour supérieure est disponible ici.

Le texte intégral de la décision de la Cour d’appel est disponible ici.


[1] Frenette c. Clément, 2021 QCCS 1986, par. 135 et 137.

[2] Ibid., par. 138 et 139.

[3] Ibid., par. 148 et 149.

[4] Frenette c. Clément, 2023 QCCA 109, par. 9.

[5] Ibid., par. 11.

[6] Ibid., par. 16.

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