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Intelligence juridique
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05 Mai 2023

SÉLECTION SOQUIJ : A.B. c. Google, 2023 QCCS 1167

Par SOQUIJ, Intelligence juridique

RESPONSABILITÉ : La défenderesse, dont le moteur de recherche Google Search renvoie à une publication diffamatoire au sujet du demandeur, devra verser à ce dernier 500 000 $ en dommages moraux et faire en sorte que son moteur de recherche cesse de diriger les utilisateurs québécois vers les sites sur lesquels se trouve cette publication.

2023EXP-1097

Intitulé : A.B. c. Google, 2023 QCCS 1167

Juridiction : Cour supérieure (C.S.), Montréal

Décision de : Juge Azimuddin Hussain

Date : 28 mars 2023

Références : SOQUIJ AZ-51928690, 2023EXP-1097 (87 pages)

-Résumé

RESPONSABILITÉ — atteintes d’ordre personnel — diffamation — propos diffamatoires — atteinte à la réputation — Internet — intermédiaire offrant des services de référence à des documents technologiques — moteur de recherche — Google Search — liste de sites — renvoi à une publication diffamatoire — allégation de pédophilie — application de Crookes c. Newton (C.S. Can., 2011-10-19), 2011 CSC 47, SOQUIJ AZ-50795314, 2011EXP-3133, J.E. 2011-1751, [2011] 3 R.C.S. 269 — lien de causalité — absence d’atteinte illicite et intentionnelle — dommage non pécuniaire — injonction permanente.

DOMMAGE (ÉVALUATION) — dommage moral — propos diffamatoires — atteinte à la réputation — Internet — intermédiaire offrant des services de référence à des documents technologiques — moteur de recherche — Google Search — liste de sites — renvoi à une publication diffamatoire — allégation de pédophilie — répercussions sur la vie professionnelle et personnelle — perte d’estime de soi — durée de la diffusion — revue de la jurisprudence.

COMMUNICATIONS — Internet — intermédiaire offrant des services de référence à des documents technologiques — moteur de recherche — Google Search — liste de sites — renvoi à une publication diffamatoire — propos diffamatoires — allégation de pédophilie — application de Crookes c. Newton (C.S. Can., 2011-10-19), 2011 CSC 47, SOQUIJ AZ-50795314, 2011EXP-3133, J.E. 2011-1751, [2011] 3 R.C.S. 269 — atteinte à la réputation — absence d’atteinte illicite et intentionnelle — dommage non pécuniaire — injonction permanente.

INTERNATIONAL (DROIT) — conflit de lois — diffamation — Internet — intermédiaire offrant des services de référence à des documents technologiques — moteur de recherche — Google Search — liste de sites — renvoi à une publication diffamatoire — article 22 de la loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information — application de l’article 3126 C.C.Q. — loi du lieu où la faute a été commise (lex loci delicti) — préjudice subi au Québec — responsabilité extracontractuelle — article 1457 C.C.Q.

PRESCRIPTION EXTINCTIVE — délai — recours en dommages-intérêts — diffamation — Internet — intermédiaire offrant des services de référence à des documents technologiques — moteur de recherche — Google Search — liste de sites — renvoi à une publication diffamatoire — application de l’article 2929 C.C.Q. — point de départ du calcul du délai.

INJONCTION — circonstances d’application — injonction permanente — divers — diffamation — atteinte à la réputation — Internet — intermédiaire offrant des services de référence à des documents technologiques — moteur de recherche — Google Search — liste de sites — renvoi à une publication diffamatoire — propos diffamatoires — allégation de pédophilie — retrait du nom du demandeur — portée territoriale — courtoisie internationale — compétence — Cour supérieure.

PROCÉDURE CIVILE — dispositions générales — publicité des audiences — caractère public des audiences — ordonnance — confidentialité — protection de l’anonymat — propos diffamatoire — atteinte à la réputation — Internet — intermédiaire offrant des services de référence à des documents technologiques — moteur de recherche — Google Search — liste de sites — renvoi à une publication diffamatoire — allégation de pédophilie — intérêt public — risque sérieux — droit à la dignité — interdiction de publication — suspension.

Demande en réclamation de dommages moraux (1 M $) et de dommages punitifs (5 M $), en injonction ainsi qu’en interdiction de publication. Accueillie en partie (500 000 $).

En 2007, le demandeur a pris connaissance d’une publication diffamatoire le concernant lorsqu’il a saisi son nom dans Google Search, le moteur de recherche de la défenderesse. Cette publication indiquait notamment qu’il avait déjà été déclaré coupable de pédophilie. Le demandeur a multiplié les démarches en vue d’obtenir le retrait de la publication du site Internet où elle se trouvait, puis d’obtenir de la défenderesse qu’elle supprime de la page de résultats du moteur de recherche les liens vers le site Internet ainsi qu’un court extrait de la publication. En 2009, la défenderesse a supprimé de son site Internet canadien le lien vers la publication. En 2015, lorsque le lien vers la publication est réapparu, elle a refusé de le supprimer, vu son interprétation de l’arrêt rendu dans Crookes c. Newton (C.S. Can., 2011-10-19), 2011 CSC 47, SOQUIJ AZ-50795314, 2011EXP-3133, J.E. 2011-1751, [2011] 3 R.C.S. 269.

Le demandeur, qui a rencontré plusieurs obstacles dans sa vie professionnelle et personnelle depuis la mise en ligne de la publication, réclame 1 million de dollars en dommages moraux, 5 millions en dommages punitifs, une injonction ainsi que des ordonnances d’anonymisation et d’interdiction de publication. L’affaire soulève des questions liées à la responsabilité d’une société comme la défenderesse, qui fournit des services de moteur de recherche sur Internet, pour avoir mis à la disposition des utilisateurs de son moteur de recherche une publication diffamatoire en ligne ayant été rédigée par un tiers et figurant sur le site d’un autre tiers, et ce, alors qu’elle sait qu’elle facilite l’accès à une activité illicite, à savoir un contenu diffamatoire.

Décision
Droit applicable et compétences des tribunaux québécois

La défenderesse agit à titre d’intermédiaire en offrant des services de référence à des documents technologiques au sens de l’article 22 de la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information. Elle peut engager sa responsabilité notamment si elle a connaissance du fait que les services qu’elle offre servent à la réalisation d’une activité à caractère illicite et si elle ne cesse pas promptement de fournir ses services aux personnes qu’elle sait engagées dans cette activité. En vertu de l’article 3126 du Code civil du Québec, le lieu du fait dommageable allégué détermine le droit substantiel applicable aux actions en responsabilité civile. Or, si le préjudice se manifeste dans une autre juridiction et que son auteur aurait dû le prévoir, c’est la loi de cette autre juridiction qui s’applique. En l’espèce, puisque le demandeur était domicilié au Québec lorsqu’il a découvert que le lien vers la publication était de nouveau disponible, que le préjudice allégué s’y est nécessairement manifesté et que la défenderesse aurait dû le prévoir au moment de rendre le lien disponible, le droit québécois s’applique à la réclamation du demandeur. Par conséquent, si un utilisateur accède à Google Search au Québec, le droit québécois sur la diffamation trouvera application.

Prescription

Lorsque la défenderesse a modifié sa position à la lumière de Crookes et qu’elle a de nouveau rendu le lien disponible au Québec après le prononcé de cet arrêt, elle a commis un nouvel acte et le délai de prescription de 1 an a commencé à courir au moment où le demandeur a découvert le lien, en juillet 2015. Le recours ayant été introduit durant l’année, celui-ci n’est pas prescrit.

Faute

Google a commis une faute lorsqu’elle a rendu de nouveau disponible le lien vers la publication diffamatoire aux utilisateurs québécois après le prononcé de Crookes. La faute découle d’une interprétation erronée de cet arrêt. D’une part, le contexte dans Crookes se distingue de celui dans le dossier en litige. Il y était question de la responsabilité de l’auteur d’un texte contenant des références sous forme d’hyperliens. Or, alors que l’auteur d’un texte n’a pas pour mission de fournir des hyperliens, il en va autrement d’un moteur de recherche. La défenderesse déclare d’ailleurs au public qu’elle fournit un contenu digne de confiance et qu’elle s’efforce de supprimer les informations erronées et préjudiciables ou d’en réduire la diffusion. D’autre part, l’analyse juridique dans la présente affaire diffère de celle appliquée dans Crookes, un dossier de la Colombie-Britannique dans lequel la common law et le Libel and Slander Act s’appliquaient. En l’espèce, il s’agit d’appliquer le droit civil sur la diffamation et la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information, qui, ensemble, fournissent un cadre d’analyse différent pour déterminer s’il y a eu diffamation en raison de la disponibilité d’hyperliens attribuable à un intermédiaire Internet. Ce cadre d’analyse distinct n’est pas abordé dans Crookes.

Dans le présent cas, la défenderesse a fourni en toute connaissance de cause l’accès à un texte illicite. Elle a ainsi commis une faute. En effet, un intermédiaire Internet raisonnable dont l’activité consiste à fournir des résultats de recherche en réponse à des mots-clés et des liens vers des sites Internet pour ces résultats ne diffuse pas sciemment de fausses informations.

Préjudice

Une personne ordinaire penserait que la fourniture par la défenderesse d’un accès à la publication diffamatoire jette le discrédit sur la réputation du demandeur. Cela tient compte du fait qu’une personne ordinaire sait que la défenderesse n’est pas l’auteure de la publication, mais qu’elle sait aussi que cette dernière prétend que sa mission est de fournir du contenu digne de confiance. Par ailleurs, le crime reproché au demandeur dans la publication est d’une telle gravité qu’une personne ordinaire ne penserait pas que l’accusation est dénuée de tout fondement. Le demandeur a fait la preuve d’une perte de réputation dans ses affaires et dans sa vie publique de même que de répercussions sur ses relations familiales, amicales et amoureuses.

Lien de causalité

Il y a un lien de causalité clair entre la faute et le préjudice subi. La défenderesse n’a par ailleurs pas démontré que d’autres facteurs auraient contribué au préjudice subi, que ce soit la personnalité du demandeur ou son omission de réduire ses dommages. La réaction de ce dernier appartient à celles qu’aurait été susceptible d’avoir une personne ordinaire. Quant aux gestes que le demandeur aurait pu accomplir pour réduire ses dommages, il ne s’agit pas d’un facteur pertinent en l’espèce.

Quantum

Le montant des dommages moraux s’établit en analysant le préjudice subi par le demandeur au moyen des approches conceptuelle, personnelle et fonctionnelle. En fonction de l’approche conceptuelle, il faut tenir compte de la nature des propos diffamatoires perpétués par Google Search, de la période de temps pendant laquelle cette publication a été disponible pour les utilisateurs québécois du moteur de recherche et du fait que rien ne justifie l’insistance de la défenderesse à rendre l’hyperlien disponible. Quant à l’approche personnelle, il y a lieu d’accorder un poids à la souffrance que le demandeur a vécue et qu’il continue à vivre ainsi qu’à son incertitude quant aux effets futurs de la publication. Enfin, au regard de l’approche fonctionnelle, il faut retenir que le demandeur n’a pas prouvé tous les dommages allégués de même que prendre en considération la jurisprudence en la matière et le caractère inédit des faits de l’espèce. Le demandeur aura donc droit à 500 000 $ en dommages moraux.

Dommages punitifs

Étant donné que la défenderesse croyait qu’elle était justifiée dans sa position, vu sa compréhension de Crookes, le tribunal ne retient pas une intention de violer les droits du demandeur. Il n’y a donc pas lieu d’accorder de dommages punitifs.

Injonction

Le tribunal fait droit à la demande d’injonction, mais uniquement en ce qui a trait à l’affichage des résultats de recherche lorsque le nom du demandeur figure sur les pages Internet contenant la publication, et seulement à l’égard des utilisateurs québécois de Google Search. Le fait de restreindre ainsi la portée territoriale de l’injonction établit un juste équilibre entre la courtoisie internationale et la compétence de la Cour supérieure d’accorder un redressement efficace aux demandeurs.

Interdiction de publication

Le demandeur n’a pas démontré qu’une interdiction de publication serait justifiée par des considérations d’ordre public ou encore visant la préservation de sa dignité et de celle de ses proches ou la protection d’intérêts substantiels et légitimes. Néanmoins, vu les enjeux et l’omniprésence de la défenderesse dans la société actuelle, le présent jugement pourrait attirer l’attention du public. Le rejet de la demande d’ordonnance de non-publication sera suspendu pour une période de 45 jours afin de permettre à la Cour d’appel de se prononcer sur la question, le cas échéant.

Suivi : Déclaration d’appel, 2023-05-02 (C.A.), 500-09-030526-230.

Le texte intégral de la décision est disponible ici

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